Qu’est-ce que l’écotoxicologie ?
L'écotoxicologie est l'étude des contaminants chimiques (organiques ou inorganiques), présents dans les milieux marins à cause des activités humaines. Les chercheurs étudient leur occurrence, leur distribution et leur devenir dans l'environnement et dans le vivant et étudient leurs effets sur les organismes.
Les contaminants dits “naturels” (métaux traces métalliques, nitrate…) sont également étudiés. Ce sont des contaminants qui peuvent avoir une origine naturelle mais dont les activités humaines peuvent être responsables d'une augmentation de leurs concentrations.
On dit d’un organisme qu’il est contaminé, dès que l'on détecte, dans l'organisme, une substance qui ne devrait pas y être ou dès qu’il contient une concentration en contaminant naturel supérieure à celle qu’il a normalement. Ce n’est pas parce qu’un organisme est contaminé qu’il y a un impact biologique, cela dépend notamment de la quantité de contaminant dans l’organisme.
De la chimie de l’eau de mer à la biologie des organismes
L’écotoxicologie est un sujet vaste, à l’interface de beaucoup d’autres disciplines (écologie, physiologie, chimie analytique, biologie moléculaire et cellulaire…), à la fois pour connaître les molécules contaminantes, leur mode d’action sur des organismes et les réponses biologiques des organismes à leur exposition. De par leur biologie, leur physiologie, leur cycle de vie et leur position dans la chaîne alimentaire, les organismes peuvent être exposés de façon différente à la présence de contaminants chimiques. Même au sein d’une espèce ou d’une population, ils peuvent être plus ou moins sensibles au potentiel toxique des contaminants. Les scientifiques de l’Ifremer intègrent donc cette variabilité dans leurs recherches (sexe, poids, taille, environnement…).
De plus, il existe une grande diversité de contaminants chimiques, que l’on peut classer en deux grands types :
- « Historiques », étudiés depuis longtemps : hydrocarbures aromatiques polycycliques (émis lors de combustions), PCB (biphényles polychlorés, interdits depuis 1987 mais autrefois utilisés notamment comme isolants électriques), éléments traces métalliques (anciennement nommés « métaux lourds »)...
- Émergents, nouveaux et encore mal connus, ou associés à des problématiques « émergentes » : résidus de médicaments, PFAS (composés perfluorés, utilisés en 2024 dans le textile, les emballages, les revêtements antiadhésifs…), terres rares (métaux et composés métalliques utilisés dans la fabrication de produits de haute technologie)…
Dans l’eau de mer, les contaminants se transforment
L’Ifremer s’implique dans la détermination des effets des contaminants sur les organismes marins. En effet, les modèles classiques, utilisés de manière réglementaire, sont des modèles d’eau douce. Dans l’environnement marin, les contaminants peuvent se modifier sous l’action, entre autres, de la salinité. Les organismes marins ne présentent pas forcément la même sensibilité que les organismes d’eau douce. Il convient donc d’adapter les modèles, les outils et les méthodologies, au milieu marin.
Un contaminant peut être présent dans l’eau sous différentes formes : dissous, associé à d'autres molécules ou à des particules présentes dans le milieu… Selon la forme qu’il prend une fois dans l’eau,, un contaminant peut être plus ou moins
(sidenote:
Biodisponible
La biodisponibilité d’un élément, c’est-à-dire son assimilation par un organisme, peut dépendre de plusieurs paramètres.
Par exemple, pour assimiler de la vitamine C, le corps humain a besoin de fer, pour que la vitamine C soit sous forme biodisponible.
)
, c’est-à-dire que l’organisme est capable d’absorber ce contaminant en plus ou moins grande quantité.
Dans l’environnement, on retrouve des mélanges très complexes de contaminants chimiques. Ces molécules peuvent avoir des effets de synergies ou opposés entre elles : on parle d’« effet cocktail ». Cet effet est très complexe et peut modifier la toxicité des substances en mélanges.
Les scientifiques de l’Ifremer prennent tous ces facteurs en compte dans les mesures des concentrations de contaminants dans l’eau et dans les organismes vivants et dans leurs recherches sur les impacts de ces contaminants sur les organismes.
En mer ou au labo, l’Ifremer scrute les effets des contaminants
L’institut effectue des recherches de terrain dans l’environnement et dans les organismes aquatiques pour mesurer les concentrations en contaminants et les facteurs physico-chimiques (température, salinité…) qui peuvent influencer la toxicité des molécules contaminantes. Les scientifiques effectuent aussi des tests en laboratoire, en conditions contrôlées, pour observer les effets de l’exposition aux contaminants à des concentrations représentatives de celles de l’environnement. Les organismes sont alors exposés aux contaminants par contact soit par l’intermédiaire de l’eau ou de l’alimentation. Enfin, l’Ifremer étudie les modes d’action des polluants chimiques, à différentes échelles, du niveau moléculaire au niveau individuel voire de la population : quels sont leurs effets sur le génome, sur le fonctionnement et les performances physiologiques des organismes ?
Surveiller la présence des contaminants dans le milieu marin
L’expertise de l’Ifremer est très demandée par les pouvoirs publics pour la mise en œuvre de la Directive Cadre sur l’Eau. Cette directive européenne impose aux États membres de mesurer certains contaminants prioritaires dans toutes leurs eaux (littorale, eau de surface, nappe souterraine…). Pour la France, qui a l’une des zones littorales les plus importantes au monde en comptant les départements d’Outre-mer, l’application de cette directive et la protection de ses eaux sont primordiales.
Par ses recherches sur le terrain et en laboratoire, l’Ifremer fournit à l’État une partie des données scientifiques nécessaires pour appliquer cette directive et définir les seuils de toxicité des contaminants. Ces seuils peuvent notamment avoir un impact sur les réglementations, sur les activités aquacoles comme la conchyliculture, ou sur les mesures de gestion qui visent à améliorer l’état écologique des écosystèmes marins.
Nous sommes le thermomètre de l’environnement : nous observons, détectons, pour faire un diagnostic du territoire. À l’Ifremer, on surveille et on propose mais on ne prend pas de décisions : c’est le rôle des gestionnaires, des législateurs, des collectivités.
Comment déterminer les seuils de toxicité nécessaires à l’élaboration des réglementations par les pouvoirs publics ?
Les scientifiques cherchent à déterminer l’EC50 d’un contaminant, c'est-à-dire, une concentration qui va induire 50 % de la mortalité d’un type d’organisme donné.
Les EC50 sont les seuils qui sont à la base des réglementations. Ces seuils garantissent « la sécurité sanitaire » pour être sûr que quand on consomme un coquillage, on ne s'expose pas à un risque.
L’Ifremer coordonne des réseaux de surveillance (REPHY, REMI et ROCCH) sur tout le territoire français. Certains relevés remonte aux années 70. Certaines zones sont très suivies car elles subissent une pression liée aux activités humaines plus fortes que d’autres (industries, hydrocarbure…).
La force de ces réseaux de surveillance est d'acquérir chaque année des données avec un protocole normé, avec des standards et une manière identique de travailler en laboratoire (laboratoires accrédités pour l'analyse des contaminants). Ceci afin de pouvoir retracer une histoire de l'évolution des contaminants.
Un fort besoin d’accroître les connaissances sur les contaminants et leurs effets
L’unité COAST de l’Ifremer opère des suivis qui couvrent toutes les côtes de l’hexagone grâce à ses 10 laboratoires répartis sur tout le territoire. En laboratoire, les chercheurs peuvent créer des milieux contrôlés, dans lesquels les concentrations en contaminants sont connues, pour étudier la toxicité de certains contaminants. Ils travaillent principalement au niveau d’une cellule (in-vitro), pour ne pas travailler sur l’animal en entier. Il est également possible de travailler dans un milieu contrôlé sur plusieurs individus (in-vivo) ou directement dans le milieu naturel (in-situ) L’Ifremer possède plusieurs unités de recherche qui travaillent sur ces sujets et de nombreux équipements de pointe permettant de réaliser des analyses biologiques complexes.
La recherche sur les effets des contaminants à l’Ifremer
Les études de l’Ifremer sur les effets des contaminants sur les organismes marins peuvent aller de la mortalité aux effets génotoxiques tératogènes (cancer, problème de reproduction, malformation des larves d’huître…).
Les effets sont différents selon la taille et la nature des molécules. Les nanoparticules inférieures à 50 (sidenote: nm nm = nanomètre, soit un milliardième de mètre ) sont assez petites pour entrer dans l’organisme et avoir des effets sur le système immunitaire, sur les système nerveux, etc.
Les scientifiques de l’Ifremer ont montré que certains perturbateurs peuvent avoir des effets sur l’anxiété des poissons et la reconnaissance sociale. Cela peut engendrer un déficit comportemental et les handicaper pour se nourrir ou se reproduire. Des effets sont également visibles sur la mise en place du système endocrinien qui contrôle notamment la croissance et la production d’hormones.
Certains effets sont plus complexes à comprendre et à déterminer. C’est le cas des effets combinés déclenchés entre un contaminant et des effets environnementaux (ex : augmentation de la température). Le changement climatique va potentiellement augmenter la toxicité et le risque des effets de certains contaminants.
Des effets peuvent aussi être visibles à long terme, parfois sur plusieurs générations, notamment avec certains contaminants qui ont la capacité de toucher et modifier l’ADN des organismes. La pollution chronique provoque aussi la capacité d’adaptation aux stress chimiques des organismes, que des parents peuvent transmettre à leur descendance.
Étudier les nouvelles molécules contaminantes
Une des missions de l’Ifremer est de définir les nouveaux contaminants et de les mesurer. C’est un travail complexe car il existe un grand nombre de molécules dans l’environnement et une infime partie d’entre elles est connue. De plus, il est nécessaire que la concentration en contaminants soit assez élevée pour les détecter, surtout pour les molécules émergentes.
L’Ifremer initie donc des projets de recherche centrés sur ces contaminants émergents. Le programme VEILLE POP, mis en place depuis 2010, a pour objectif de réaliser une veille permanente sur les nouveaux polluants organiques persistants dans les mollusques marins. Cette veille est essentielle à cause de l’augmentation de la production de contaminants chimiques dans le monde. D’autres projets ont pour but, par exemple, de tracer les contaminants émergents qui ne sont pas encore réglementés afin d’évaluer si les chercheurs peuvent les détecter et les quantifier. À long terme, ces travaux pourront peut-être faire évoluer les réglementations.
L’un des grands enjeux pour l’Ifremer dans la recherche en écotoxicologie est d'étudier les contaminations que ce soit dans le milieu aquatique ou dans les organismes et de développer des outils de détection, des méthodologies d'analyse de ces contaminations et d'étudier les impacts.
Les produits biosourcés ou autorisés en « bio » sont aussi des polluants
Les matériaux biosourcés sont issus d’éléments biologiques (blé, maïs…) mais ils ne sont pas tous dégradables et ils peuvent polluer lorsqu'ils sont jetés dans la nature. Par exemple, la dégradation des bioplastiques crée des microplastiques qui ont des impacts chimiques et physiques notamment sur la reproduction des poissons.
Les biocides, tels que la bouillie bordelaise, sont des produits catégorisés comme « bio » qui ont quand même un impact sur l’environnement. Le cuivre contenu dans la bouillie bordelaise est très toxique lorsqu’il est en grande quantité. Les contaminations des eaux par les biocides augmentent.
La grande diversité des pesticides, avec des substances actives combinées à des adjuvants, engendre des effets complexes sur les organismes marins.
Les microalgues toxiques présentent des risques pour les humains mais également pour certaines espèces marines comme les poissons ou les coquillages.
Les énergies marines renouvelables sont-elles sources de contaminants ?
Les dispositifs d’énergies marines renouvelables (EMR), en plein essor, sont des sources potentielles de métaux lourds et autres contaminants (peintures, additifs…). Les scientifiques de l’Ifremer mesurent ces contaminants potentiels et étudient leur impact pour apporter les connaissances scientifiques nécessaires pour accompagner le développement de l’éolien et réduire l’impact des parcs sur l’environnement.
L’appui aux politiques publiques de l’Ifremer consiste à identifier les molécules les plus pertinentes à suivre et à développer des méthodes de mesure (échantillonneurs passifs ou éponges synthétiques qui concentrent les contaminants pour faciliter les analyses par exemple) et suivi d’organismes aquatiques sentinelles. L’institut transfère ensuite ces procédés (outils de mesure, méthodologies, procédures…) aux bureaux d’études et pouvoirs publics, après avoir été testés, validés et déployés pendant plusieurs années.
Après la surveillance et la compréhension des contaminations, l’Ifremer étudie des solutions afin de restaurer les milieux.