Comment est surveillée la qualité sanitaire de l’eau de mer et des poissons et coquillages pour la consommation ?

Baigneurs, professionnels de la mer ou consommateurs de poissons, coquillages, crustacés, algues… La santé de nombreux humains dépend d’une bonne qualité des eaux marines et des produits de la mer. L'Ifremer s’appuie sur ses réseaux de surveillance, déployés le long du littoral, pour suivre la présence de contaminants chimiques, de microalgues ou de bactéries dangereuses pour les humains.

En mer, les activités humaines impactent la qualité des eaux et la vie des organismes. Il est donc important de contrôler cette qualité, pour garantir la santé des consommateurs de produits de la mer, des professionnels de la mer et des touristes (baignade, sports nautiques). L’Ifremer répond à sa mission d’appui aux politiques publiques en coordonnant des réseaux de surveillance de la qualité de l’eau et de la présence de microorganismes potentiellement dangereux pour la santé humaine :

  • le Réseau d’observation de la contamination chimique du littoral (ROCCH) : pour surveiller les contaminants chimiques. 
  • le Réseau de surveillance microbiologique des zones de production de coquillages (REMI) : pour surveiller les bactéries issues de l'activité humaine et potentiellement dangereuses pour les humains.
  • le Réseau d’observation et de surveillance du phytoplancton et de l’hydrologie dans les eaux littorales (REPHY) : pour suivre les microalgues marines toxiques, qui présentent un risque pour la santé humaine, principalement en saison chaude lorsqu'elles sont nombreuses dans l'eau et forment des blooms de phytoplancton. Le Réseau de surveillance des phycotoxines dans les organismes marins (REPHYTOX) complète ce dispositif en surveillant dans les coquillages la présence de toxines issues de microalgues. 

Ces trois réseaux consistent à prélever des échantillons d’eau, de sédiment et d’organismes marins pour y identifier les molécules ou les organismes recherchés. Les données issues de ces réseaux de surveillance sont ouvertes au public, aux collectivités et professionnels concernés.

Pister les contaminants chimiques

Le Réseau d'Observation de la Contamination CHimique du littoral (ROCCH) suit la présence de (sidenote: Contaminant chimique Un contaminant désigne « toute substance décelée dans un lieu et à un niveau de concentration où elle ne se trouve pas normalement ». Le terme de « polluant » sous-entend une nuisance. Le terme contaminant permet d’englober une large palette de composés chimiques, dont certains éléments dont la toxicité est mal connue.Chimique signifie « qui relève de la chimie » (par opposition, par exemple, à des contaminants biologiques). Ce terme recouvre aussi bien les molécules naturelles que celles de synthèse. ) en mer. Ce réseau mesure la concentration à la fois des composés de synthèse et des éléments d’origine naturelle, qui peuvent être présents en quantités excessives du fait des activités humaines. La liste des contaminants surveillés est mise à jour régulièrement, lorsque la réglementation évolue.

Une fois par an, les équipes des laboratoires côtiers de l’Ifremer, récupèrent des échantillons de coquillages, souvent en partenariat avec les pêcheurs et conchyliculteurs. Ces échantillons sont analysés par l’Ifremer et par des laboratoires agréés tels que Oniris (école vétérinaire de Nantes), selon les éléments chimiques recherchés. Les concentrations maximales autorisées peuvent être atteintes plus ou moins vite en fonction de la  capacité de chaque espèce de mollusque à accumuler : par exemple, l’huître concentre 5 fois plus le cadmium, alors que la moule concentre bien plus le plomb. Ceci peut conduire à des interdictions différenciées pour l’ostréiculture et la mytiliculture, selon le contaminant présent.

Coquillages et sédiments, témoins des éléments chimiques présents dans l’eau

Les éléments chimiques suivis sont à l’état de traces dans l’eau de mer. Pour les trouver, les scientifiques s’appuient sur des concentrateurs naturels, les coquillages filtreurs : huîtres, moules, coques, palourdes, tellines… La chair de ces coquillages est un précieux indicateur car ils filtrent et accumulent les éléments dispersés à de faibles concentrations dans l’eau de mer.

Les scientifiques prélèvent également du sédiment du fond marin car les fonds meubles (sables, vases…) concentrent et retiennent les contaminants. Ils peuvent témoigner de la présence de contaminants récents (ceux qui sont piégés dans les couches supérieures) ou passés (ceux qui sont piégés dans les couches les plus profondes qui se sont déposées il y a des dizaines d’années).

La disparition des éléments chimiques peut prendre plusieurs années, décennies ou centaines d’années, selon les molécules. Les composés se diluent, partent au large. Certains se dégradent, mais cela prend du temps et certaines molécules issues de la dégradation peuvent aussi présenter un risque pour l’environnement ou la santé. 

Dans la chair d’un mollusque, on a un aperçu des contaminants qui étaient présents  les dernières semaines ou mois dans l’eau.

Anne Grouhel
Ifremer | Coordinatrice du réseau ROCCH

Quelques exemples de molécules de synthèse surveillées :

  • les dioxines et les PCB1 (des molécules principalement utilisées comme isolants et interdites depuis 1987)
  • les pesticides 
  • les perfluorés ou PFAS (présents par exemple dans les poêles antiadhésives), sont surveillés depuis 2023. Ce sont des molécules qui persistent très longtemps dans l’environnement.

Le réseau s’intéresse aussi aux molécules d’origine naturelle, dont les activités humaines peuvent augmenter la concentration par rapport à la concentration initiale naturelle liée à  la géochimie des fonds marins. Certaines peuvent présenter un risque pour la santé humaine si elles sont en quantités trop importantes, par exemple :

  • les hydrocarbures, 
  • les métaux comme le plomb, le zinc, le mercure, le cadmium…

L’Ifremer transmet chaque année les résultats des analyses des contaminants réglementés aux services de l'État pour la gestion adaptée des zones de production conchylicoles. En cas d’accident chimique (déversement accidentel sur le littoral, marée noire …), les résultats du ROCCH peuvent servir de référence pour détecter l’apparition de la pollution, puis le retour à la normale.

Le ROCCH en chiffres

157

points de prélèvement de coquillages

60

molécules suivis pour la réglementation européenne (dont 43 pour la consommation humaine de mollusques)

1979

date de création du réseau de suivi dans les mollusques

Développer de nouveaux outils pour les prélèvements

Les chercheurs de l’Ifremer développent l’usage des « échantillonneurs passifs », c’est-à-dire des filtres qui, laissés un certain temps dans l’eau, peuvent concentrer des éléments chimiques. Ils pourraient ainsi compléter ou remplacer l’utilisation de coquillages là où ils ne sont pas présents. Cependant ces dispositifs sont souvent spécifiques d’une seule famille de contaminants. Il faudra donc développer, installer et récupérer plusieurs filtres, là où un coquillage sait concentrer une multitude de contaminants. Ils ont en revanche l’avantage de pouvoir concentrer des molécules qui sont peu captées par les coquillages, comme certains pesticides ou composés de crèmes solaires.

Traquer les bactéries dangereuses pour les humains

Les virus et bactéries fécales des humains se retrouvent parfois en mer, notamment en cas de débordement ou de malfonctionnement de station d’épuration. Il peut s’agir de norovirus, de salmonelles, d’Escherichia coli, etc. (responsables de gastro-entérites).  Si ces agents pathogènes sont filtrés par des coquillages, la consommation de ces coquillages présente un risque pour les humains.

Pour évaluer et prévenir ce risque, l’Ifremer a mis en œuvre le Réseau de surveillance microbiologique des zones de production de coquillages (REMI). Plutôt que de chercher toutes les espèces d’agents pathogènes, le réseau se concentre sur la bactérie Escherichia coli. Celle-ci joue un rôle d’indicateur de contamination fécale des eaux marines. Dans les zones de production de coquillages, les partenaires du REMI prélèvent huîtres, palourdes, moules, gastéropodes filtreurs, etc. pour y chercher la présence d’Escherichia coli

Le REMI en chiffres

477

lieux de prélèvement

4 200

résultats par an

1

bactérie « indicateur » suivie

1989

date de création du réseau

Lorsque les niveaux de contamination dépassent les normes sanitaires établies par la réglementation européenne, l’Ifremer alerte les pouvoirs publics. Les services de l’État ont mis en place une classification des zones de récolte en 3 niveaux. Selon la qualité obtenue, des mesures sont mises en place : 

  • A, bon : les coquillages peuvent être mis à la consommation directement après la récolte  
  • B, moyen : les coquillages nécessitent obligatoirement une purification avant mise à la consommation
  • C, dégradé : les coquillages nécessitent obligatoirement un (sidenote: Reparcage Le reparcage des coquillages consiste à les déplacer vers une zone aux eaux de bonne qualité, avant commercialisation. Les animaux sont laissés durant le temps nécessaire à la réduction des contaminants dans leur organisme, afin d’éviter le risque pour la consommation humaine. ) ou un traitement thermique avant mise à la consommation

Depuis 2018, les prélèvements et analyses sont confiés à d’autres partenaires. L’Ifremer assure la coordination du réseau, regroupe les résultats, les diffuse et alerte les pouvoirs publics en cas de dépassement des seuils. Il adapte chaque année le plan d’échantillonnage du réseau, identifie les lieux les plus pertinents sur de nouveaux sites de suivi et uniformise les méthodes et les rapports. L’institut peut aussi peut apporter son expertise sur toute question relative à la surveillance microbiologique des coquillages. 

Le REMI est responsable du déclenchement et du suivi des alertes : en cas de fortes pluies, de débordement de station d’épuration, de naufrage d’un bateau… Dans un délai de 48h, des échantillonnages de coquillages sont organisés. En cas de contamination avérée, les ostréiculteurs prennent les mesures nécessaires jusqu’au retour à la normale. 

En parallèle, le REMI a un lien fort avec la recherche, pour développer les travaux sur d’autres microorganismes potentiellement dangereux (par exemple les norovirus, les salmonelles ou d’autres microorganismes potentiellement pathogènes), en utilisant notamment des approches basées sur la génomique, la métagénomique etc. 
 

Surveiller les microalgues toxiques

Certaines microalgues présentes en milieu marin peuvent présenter un risque pour la santé humaine, notamment pour les baigneurs, les professionnels de la mer ou les consommateurs de poissons et fruits de mer. Ces microalgues forment chaque année, principalement au printemps et en été, des proliférations très rapides, appelées blooms de phytoplancton ou efflorescences algales qui peuvent donner lieu à des eaux colorées observables depuis la côte. C’est lors de ces proliférations que les quantités de microalgues présentes dans l’eau et les coquillages peuvent présenter un risque.

Le Réseau d’observation du phytoplancton et de l’hydrologie dans les eaux littorales (REPHY) surveille la présence de microalgues sur le littoral, et notamment les microalgues toxiques, dans les coquillages. Il est complété du REPHYTOX, un réseau qui surveille la présence des toxines dans les coquillages, lorsque les microalgues toxiques sont repérées.

Trois (sidenote: Genre Ce terme de la classification des êtres vivants désigne un groupe d’espèces proches, ayant en commun plusieurs caractères. Par exemple, le genre Canis est celui du chien, mais il regroupe aussi le chacal et le coyote. ) de microalgues sont surveillées, ainsi que les toxines qu’elles produisent :

  • les Dinophysis, qui fabriquent des toxines diarrhéiques,
  • les Pseudo-Nitzschia, qui produisent des toxines amnésiantes,
  • les Alexandrium, qui génèrent des toxines paralysantes.

Le REPHY et le REPHYTOX en chiffres

3

groupes de microalgues surveillées

196

points de prélèvement d’eau

297

points où les coquillages peuvent être prélevés, selon les alertes (environ 200 utilisés chaque année)

À fréquence régulière, des prélèvements d’eau et de coquillages (huîtres et moules) sont effectués et analysés. Ils répondent à la fois aux besoins de recherche et à la surveillance réglementaire pour les directives cadres européennes2 et la protection sanitaire des consommateurs et des usagers de la mer. Depuis 2018, les prélèvements et analyses de coquillages sont effectués par les laboratoires départementaux d’analyse (LDA), des services dépendants des départements. L’Ifremer coordonne ce dispositif, stocke les données et les met à disposition du public en Open data.

En cas de dépassement de certains seuils de présence de microalgues ou de toxines, l’Ifremer alerte les services de l’État. Ceux-ci mettent en place des mesures de gestion, le plus souvent une interdiction de vente. Les coquillages sont alors laissés à l’eau ; les professionnels peuvent travailler sur leur élevage, mais pas sortir de l’eau et vendre leurs coquillages. Les acteurs du REPHY et du REPHYTOX augmentent alors la fréquence de leurs prélèvements. Lorsqu’ils obtiennent deux résultats de bonne qualité dans les coquillages, avec au moins 48h d’écart, la vente est à nouveau autorisée.

Des mesures de gestion sont prises chaque année par les services déconcentrés de l’État. La plupart du temps, les restrictions durent quelques semaines, mais cela peut aller parfois jusqu’à 2-3 ans pour certaines zones, si la présence de microalgues toxiques se prolonge.

Les mesures de protection des consommateurs sont déclenchées par les services de l’État, à réception d’un résultat défavorable.

Maud Lemoine
Ifremer | Biologiste
Coordinatrice des réseaux de surveillance REPHY et REPHYTOX

L’appui des nouvelles technologies

Ces réseaux de surveillance sont constamment améliorés, au fur et à mesure des avancées technologiques. Ils sont complétés d’autres outils, par exemple :

L’ADN environnemental. Le projet de réseau ROME est basé sur la technologie, relativement récente, de l’ADN environnemental. Il vise à identifier les traces d’ADN laissées par une grande variété de microorganismes présents dans l’eau, qu’il s’agisse de bactéries ou de microalgues, ou d’autres organismes encore.

Les satellites. Ils permettent de repérer la couleur de la surface de l’eau. Ils détectent ainsi la chlorophylle a et d’autres familles de pigments, qui témoignent de la présence de microalgues en grandes quantités. Ils aident ainsi à repérer les blooms de phytoplancton qui se produisent plus au large.

La modélisation. Le développement de modèles numériques aide les chercheurs à comprendre les phénomènes, voire à les anticiper. L’Ifremer travaille par exemple à adapter les modèles développés sur le SARS-Cov2 (responsable du Covid-19). Ceci pourrait avoir un intérêt pour détecter l’émergence de nouveaux pathogènes, qui devient plus probable sous l’effet du changement climatique. Pour le REMI, les modèles sont un outil d’analyse des données, par exemple pour intégrer les données sur les 30 ans d’existence du réseau. La modélisation présente aussi un intérêt pour l’aménagement du territoire, par exemple pour anticiper l’impact d’un projet de station d’épuration.