Anthony Bertucci : « La santé des organismes aquatiques dépend de la santé de leur microbiome »

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Collection d’huitres creuses sur le site de "La Coupelasse" en baie de Bourgneuf.

Porteur de la première Chaire Bleue de l’Ifremer sur le thème « contaminants, mer et santé » depuis un an, Anthony Bertucci, chercheur en biologie moléculaire et en écotoxicologie, étudie le microbiome sous toutes les coutures. Le microbiome, ce grand inconnu, vit pourtant en association avec tous les êtres vivants sur Terre et sa santé semble conditionner la santé de la faune et de la flore terrestre et marine mais aussi la santé humaine. Petit point d’étape sur une problématique de recherche aussi pleine de mystère que porteuse d’avenir.

Le microbiome, beaucoup ignorent sans doute son existence et plus encore son importance. Pourtant les scientifiques découvrent petit à petit son rôle fondamental. Le microbiome désigne l’ensemble des communautés microbiennes (bactéries, virus, archées, champignons…) avec lesquels tous les organismes vivants vivent en symbiose, et c’est justement un des sujets de prédilection d’Anthony Bertucci.

L’esprit chercheur : ne pas se contenter du monde connu

Originaire d’Ajaccio en Corse, le chercheur explique l’origine de sa vocation par la volonté de comprendre le fonctionnement des organismes vivants. « Je crois que j’étais le genre d’enfant à poser beaucoup de questions à ses parents, s’amuse-t-il aujourd’hui, la biologie a toujours fait partie de mes centres d’intérêt. En faisant le choix de la recherche, mon état d’esprit était de ne pas me contenter de ce qui est déjà connu, de participer à la création de connaissances. C’est stimulant et sûrement un des rares métiers où l’on peut penser qu’on est le seul à se poser certaines questions le matin ! »

Après une formation universitaire en sciences de la vie et un master en écologie et évolution acquis sur les bancs de l’Université de Nice Côte d’Azur, il obtient son doctorat en sciences de l’environnement à Aix-Marseille Université, en menant ses recherches au centre scientifique de Monaco.

En symbiose avec les coraux

« Mon sujet de thèse concernait les coraux tropicaux qui ont la particularité de vivre en symbiose avec des algues photosynthétiques. J’ai d’ailleurs pu effectuer mon premier post-doc en Australie à la James Cook University dans le plus grand centre d’études au monde sur les récifs coralliens ». Anthony Bertucci refait ensuite cap vers la France au sein de l’unité mixte de recherche EPOC (Environnements et Paléoenvironnements Océaniques et Continentaux) à l’Université de Bordeaux pour travailler en écotoxicologie avant de fusionner ses deux thématiques de recherche : la symbiose et l’écotoxicologie à INRAE. « C’est là que j’ai vraiment commencé à travailler sur le microbiome en analysant comment les polluants environnementaux modifient le microbiome intestinal des anguilles ».

La chaire bleue : du temps pour creuser un sujet innovant

Aussi quand il a vent de la Chaire Bleue « Mer, contaminants et santé » lancée et financée par l’Ifremer dans le cadre d’un plan d’investissement exceptionnel, Anthony candidate sans hésiter. « Né dans le monde universitaire anglo-saxon, ce type de dispositif a fini par percoler dans le monde de la recherche français. Tout l’intérêt d’une chaire est de favoriser l’émergence de thématiques nouvelles et les interactions entre équipes de recherches. On peut explorer une thématique sur une durée plus longue – 5 ans en l’occurrence – et développer plusieurs projets simultanément. On a le temps pour élaborer des choses ambitieuses. Ce qui m’a intéressé aussi dans cette chaire « contaminants, mer et santé » c’est également l’approche de santé globale dite « One Health » qui montre que santé des organismes aquatiques, des écosystèmes et santé humaine sont intimement liées et interdépendantes. J’ai été aussi convaincu par les nombreuses compétences transversales présentes sur le Centre Ifremer Atlantique de Nantes, avec pas moins de 6 unités impliquées sur ces thématiques1  ». L’objectif est d’étudier le microbiome des espèces aquatiques et sa réponse face aux contaminants présents dans leur environnement avec un axe plus spécifiquement considéré : le microbiome comme cible des contaminations mais aussi comme voie d’entrée de ces contaminations chez les bivalves (huîtres creuses) ou encore les micro-algues.

Le microbiome : l’extension cachée des organismes vivants

Quelques chiffres suffisent à montrer son importance. Longtemps, la communauté scientifique a considéré que le nombre de cellules bactériennes dépassait d’un facteur 10 le nombre de cellules humaines. Une réévaluation récente revoit ce rapport à la baisse et estime que chez un sujet masculin de 1,70m et 70 kg, on retrouve 39 000 milliards de bactéries, majoritairement dans l’intestin. Ce chiffre est très proche des 30 000 milliards de cellules humaines qui constituent cet individu. Soit 13 bactéries pour 10 cellules humaines chez l’homme. Dû à quelques différences morphologiques (par exemple une taille moyenne plus faible pour un volume intestinal comparable) et physiologiques (par exemple un volume sanguin réduit de 20-30%), ce rapport peut monter à 17 pour 10 chez les femmes. Nous ne serions donc moins qu’à « moitié » humains ! Selon ces chiffres, notre microbiome pèserait environ 200 grammes. Un poids proche du rein (120 grammes) ou du cœur (330 grammes). Autre particularité, contrairement à ces organes « humains » qui sont formés de quelques types cellulaires possédant tous le même matériel génétique (environ 60 000 gènes), le microbiome contient plusieurs milliers d’espèces qui représentent un répertoire additionnel de près de 10 millions de gènes.

« Le sujet du microbiome est passionnant car il constitue une véritable révolution de la biologie, insiste Anthony Bertucci. Des études récentes, depuis 2010 environ, montrent qu’il amène à redéfinir la notion même d’individu car on peut considérer le microbiome comme un organe à part entière des êtres vivants. C’est un pan entier de la physiologie des organismes qui est mis à jour ».

Extraction d'ADN au laboratoire.

La symbiotoxicité : un nouveau mot dans la littérature scientifique

Il est encore tôt pour les premiers résultats de la Chaire mais celle-ci a déjà permis, via une publication intitulée « Symbiotoxicity : The Ability of Environnemental Stressors to Damage Healthy Microbiome Structure and Interactions with the Host », d’introduire pour la première fois le terme de symbiotoxicité dans la littérature scientifique. « Ce mot désigne la toxicité indirecte qui touche un organisme à travers la perturbation de son microbiome. À partir du moment où l’on considère le microbiome comme un organe, il semblait logique de l’intégrer dans le champ de la toxicologie » argumente le chercheur de l’Ifremer.

Mais la symbiotoxicité s’est d’ores et déjà greffée à plusieurs projets existants. Par exemple, dans le cadre du projet ANR PESTO, (Early Developmental and Multigenerational Effects of Pesticide Exposure in the Pacific Oyster, 2020-2024), coordonné par la chercheuse en génomique fonctionnelle, Rossanna Sussarellu, une équipe de chercheurs de l’Ifremer a étudié les effets d’un cocktail de pesticides sur des larves d’huîtres2 . Anthony Bertucci s’attache désormais à savoir si cette exposition a pu provoquer une modification du microbiome chez les huitres adultes. Autre exemple, parallèlement aux prélèvements réalisés lors de la campagne annuelle du ROCCH (Réseau d’observation de la contamination chimique) des huitres supplémentaires ont été collectées sur les mêmes sites, aux mêmes dates, afin de caractériser la communauté de micro-organismes présente et déterminer s’il y a des liens avec la nature et l’abondance des polluants décelés. Objectif : analyser ensuite l’impact potentiel d’altérations du microbiome sur la physiologie des huîtres. Ces travaux seront approfondis dans le cadre d’une thèse qui a débuté à l’automne 2023.

Si le microbiome peut être un cheval de Troie par lequel les contaminants touchent les organismes et affectent leur santé, il peut aussi grâce à l’extraordinaire réservoir génétique qu’il représente (100 fois plus de gènes bactériens que de gènes humains chez nous) offrir des capacités d’adaptation rapide face aux perturbations environnementales. Bref, c’est un acteur qu’il est urgent de comprendre avec la plus grande attention car il apparaît déterminant pour préserver la santé des écosystèmes comme la santé humaine.

Notes

  • 1Les unités de l’Ifremer ASIM (Adaptation et Santé des Invertébrés Marins), CCEM (Contamination Chimique des Écosystèmes Marin), EMMA (Expérimentations Mollusques Marins Atlantique), PHYTOX (PHYsiologie et TOXines des micro-algues toxiques et nuisibles), MASAE (Microbiologie Aliment SAnté Environnement) et Littoral.
  • 2Travaux menés dans le cadre de la thèse du doctorant d’Ifremer, Thomas Sol Dourdin