Qu’est-ce que la circulation océanique ?
La circulation océanique désigne le mouvement à grande échelle de l'eau de mer dans les océans. Ce mouvement est déterminé par une combinaison de facteurs : vents, différences de température, rotation de la Terre, topographie des fonds marins... Il existe deux grands types de circulation océanique : les courants intensifiés en surface (créés par les vents et la force de
(sidenote:
La force de Coriolis
C'est une force qui dévie la trajectoire d'un corps à cause de la rotation terrestre. Elle provoque une déviation vers la droite dans l'hémisphère nord et vers la gauche dans l'hémisphère sud. Elle influe donc sur la direction générale des masses d'air et d'eau en mouvement.
Par exemple, c’est à cause de la force de Coriolis que les cyclones tournent dans le sens anti-horaire dans l’hémisphère nord et dans le sens horaire dans l’hémisphère sud.
)
) et les courants profonds (créés par les différences de densité de l’eau, sous l’effet de la température et de la salinité).
L'eau de surface est refroidie dans les régions polaires et subpolaires, créant des eaux denses qui alimentent les courants profonds et qui s'écoulent le long du plancher océanique, généralement près du bord ouest des océans sous l’effet de Coriolis. Ces courants profonds transportent d'importants volumes d'eau autour du globe, reliant les océans de la planète dans un système complexe et relativement lent.
La boucle de courants qui connecte l’océan de surface et l’océan profond est appelée « circulation méridienne de retournement » ou MOC, et AMOC pour l’océan Atlantique (Atlantic Meridional Overturning Circulation). Cette circulation océanique joue un rôle crucial dans la redistribution de la chaleur, des nutriments et des gaz dissous (notamment le CO2) dans l'ensemble de l'océan. Elle influence donc le climat et les écosystèmes marins.
La régulation du climat par l’océan
Globalement, la circulation océanique est un système dynamique et interconnecté qui contribue à réguler le climat de la Terre et à redistribuer la chaleur autour de la planète et qui influence la vie marine. Il s'agit d'un élément clé du système climatique de la Terre qui a un impact profond sur les conditions météorologiques ou sur la distribution des nutriments et du carbone dans l'océan.
L’océan agit comme un puits naturel de carbone. La pompe océanique de carbone est un processus primordial du cycle du carbone de la Terre et joue un rôle essentiel dans la régulation de la concentration de dioxyde de carbone (CO2) dans l'atmosphère. Elle implique des processus qui transportent le carbone dissous de la surface de l'océan vers les couches profondes, le séquestrant ainsi pour de longues périodes (de quelques années à plusieurs centaines d'années).
En complément de la séquestration du carbone par la MOC, il y a la pompe biologique de carbone qui participe à la régulation du carbone. Le CO2 dissous est transformé en matière organique par le phytoplancton : une partie de cette matière organique est recyclée dans les mille premiers mètres de l’océan alors que l’autre partie coule dans l’océan profond où elle est séquestrée.
La pompe océanique de carbone contribue à atténuer l'impact des activités humaines qui libèrent un excès de CO2 (carbone anthropique) dans l'atmosphère et contribuent à augmenter l’effet de serre. L’Ifremer cherche à comprendre les mécanismes et les facteurs qui influent sur l'efficacité de la pompe océanique de carbone. Ceci afin de prédire l’évolution du rôle de l'océan dans le cycle du carbone, en réponse aux changements environnementaux.
La précision des données du système carboné issues de campagnes océanographiques est à ce jour essentielle pour mieux comprendre le rôle de l‘océan comme régulateur du climat.
Est-ce que la circulation océanique ralentit ?
L’Ifremer a effectué des estimations à partir de mesures de l’océan et de modélisations de l’intensité de l’AMOC depuis 1993. Les résultats indiquent pour le moment des successions de périodes de ralentissement et d'accélération en réponse aux dépressions atmosphériques régionales. La fréquence de ces changements est également différente entre les bassins subarctiques (changements plutôt lents) et subtropicaux (changements plutôt rapides).
Au sein de la communauté scientifique internationale, certaines simulations de l’évolution du climat tendent à montrer que la circulation méridienne de retournement pourrait ralentir significativement dans les prochaines décennies.
Dans tous les cas, on sait aujourd'hui que la représentation simplifiée d’une circulation océanique fonctionnant comme un tapis-roulant à vitesse lente et continue n’est pas réaliste.
Il est donc impératif de continuer à engranger des mesures de l’intensité de l’AMOC, la série actuelle la plus longue s’étendant sur 20 ans, pour pouvoir détecter ce ralentissement.
Une évolution due à des changements naturels ou anthropiques ?
La circulation océanique varie de façon naturelle sur toute une gamme d’échelle de temps en réponse à toute sorte de changements affectant, par exemple, les vents ou les flux de chaleur à l’interface air-mer. Ces variations naturelles (variation de l’intensité ou de la position des grands courants marins) ont un impact prépondérant sur l’état de l’atmosphère, de l’océan ou des écosystèmes sur des échelles de temps importantes (saisons, années, décennies…). L’Ifremer et la communauté internationale cherchent à observer, décrire et comprendre ces variations.
Ces changements d’origine naturelle peuvent, en outre, venir moduler voire masquer des signaux dus aux activités humaines. Aujourd’hui, il est difficile de dissocier dans les observations ces composantes naturelles et anthropiques.
Il est nécessaire d’engranger les mesures directes de l’AMOC sur plusieurs décennies pour dissocier les variations dues à l’activité humaine de celles liées à des cycles naturels.
Quels sont les impacts d’un éventuel ralentissement de l’AMOC ?
Les modèles développés par la communauté internationale ont aussi pour objectif d’évaluer les conséquences d’un éventuel ralentissement de l’AMOC : ralentissement régional du réchauffement d’origine anthropique, diminution des précipitations et augmentation des épisodes hivernaux rigoureux en Europe... Dans le cas le plus extrême d’un effondrement de l’AMOC, ce qui reste très peu probable au cours du 21e siècle et même au-delà, les conséquences seraient d'autant plus importantes : refroidissement de plusieurs degrés, baisse des précipitations estivales en Europe, propagation de la banquise et renforcement des vent d’ouest dominants en Atlantique Nord...
En outre, l’éventuel ralentissement de l’AMOC pourrait également avoir des conséquences sur la capacité de l’océan à capter et le stocker le CO2 (sidenote: Anthropique Les phénomènes anthropique sont dus à l’activité humaine. ) par diminution du transfert de ce carbone anthropique vers les eaux plus profondes (diminution de la pompe physique à carbone), ainsi que sur les écosystèmes marins qui utilisent les carbonates, comme les coraux d’eau froide pour le développement de leur squelette et leur coquille de calcaire. Étroitement lié aux changements de la circulation océanique, le réchauffement des océans réduirait aussi la solubilité du CO2 et de l’oxygène dans l’eau, en réduisant davantage la capacité des océans à absorber le CO2 contenu dans l’atmosphère.
L’Ifremer, expert en observation la circulation océanique
L’observation de la circulation océanique est indispensable pour pouvoir comprendre et prédire le climat.
Avant 1950, les caractéristiques de l'océan sous sa surface étaient pratiquement inconnues. L‘observation de l’océan a d’abord été basée sur des campagnes océanographiques. Elles sont réalisées ponctuellement, de manière éparse et de préférence en été. Durant ces deux dernières décennies, les systèmes d’observation par satellite (surface de l’océan) et l’instrumentation autonome en mer, comme les mouillages (instruments fixes et permanents), les gliders (planeurs sous-marins) ou les flotteurs autonomes Argo (flotteur-profileur mesurant l’océan en profondeur), se sont développés très rapidement. L’océan est aujourd’hui surveillé plus systématiquement et globalement en temps réel, toute l’année et quelles que soient les conditions météorologiques.
L’observation grâce aux campagnes en mer
Aujourd'hui, le programme GO-SHIP, programme international de campagnes océanographiques, continue dans le même esprit de coordonner et recueillir des séries de mesures. L’Ifremer fait partie de ce programme via la réalisation des campagnes OVIDE depuis 2002.
Au cours de ces campagnes, les scientifiques effectuent des prélèvements d’eau et des analyses de très haute précision pour disposer de données telles que la température, la salinité, l’oxygène dissous, la pression, le pH ou les sels nutritifs, de la surface jusqu’au fond. Ces propriétés chimiques sont des traceurs de la circulation océanique, de (sidenote: L'âge d'une masse d'eau L'âge d'une masse d'eau est le temps écoulé depuis son dernier contact avec l'atmosphère. ) et de l'activité biologique. Les vitesses des courants marins sont également mesurées.
Les données issues de ces campagnes en mer permettent aux scientifiques de l’Ifremer d’étudier les courants océaniques et leur variabilité, de quantifier et d’informer sur le réchauffement de l’océan, l’augmentation de niveau de la mer, la désoxygénation et l’augmentation du CO2 et d’autres composés carbonés qui créent une acidification de l’océan. Ces estimations leur permettront, en dernière instance, de comprendre et différencier plus finement les évolutions liées au changement climatique de celles dues à la variabilité naturelle.
Avec l’Ifremer et le programme OVIDE, nous avons traversé l’Atlantique Nord tous les 2 ans pour mesurer les courants et les propriétés des masses d’eau.
Le programme OVIDE (Observatoire de la Variabilité Interannuelle à Décennale en Atlantique Nord) est un projet piloté par le LOPS, Laboratoire d'Océanographie Physique et Spatiale sous la tutelle de l’Ifremer, du CNRS, de l’IRD et de l’UBO, issu d’une collaboration entre la France et l’Espagne. Il s’agit d’une série de campagnes en mer à grande échelle, du Groenland au Portugal, effectuées tous les deux ans depuis 2002. Ces traversées de l’Atlantique Nord ont fourni une coupe de l’océan sur plus de 20 ans. L'objectif principal d’OVIDE est de contribuer à la compréhension de la variabilité de la circulation océanique de l'Atlantique Nord et des masses d'eau formées dans cette région dans le contexte du changement climatique. En particulier, les scientifiques de l’Ifremer s’intéressent à caractériser la variabilité de la circulation océanique et les transports de chaleur, d'eau douce, de sels nutritifs et de carbone. Parmi les résultats et conclusions publiés dans une centaine d'articles, on trouve que :
- l'AMOC ne présente pas de tendance à la baisse
- elle est plus intense en hiver qu’en été
- elle subit de grandes oscillations de 10 ans environ, liées à la rigueur des hivers plus au nord
- l’intensité de l’AMOC est reliée quantitativement avec le stockage profond du carbone anthropique dans l’Atlantique Nord
L’observation grâce aux systèmes d’observation globaux autonomes
Le réseau mondial de flotteurs autonomes Argo, dont les données sont centralisées à l’Ifremer, fournit en continu et en temps réel des indicateurs du changement climatique, en mettant particulièrement en évidence l'augmentation de la température globale des océans, reflet du dérèglement climatique. Les flotteurs du réseau Argo contribuent également à suivre la circulation de l’océan à grande échelle et donc sa capacité à continuer à absorber la chaleur. D’autres données, telles que le pH, et donc l'acidification des océans, les concentrations en oxygène dissous, les nutriments, la chlorophylle, essentielles pour surveiller la santé des écosystèmes marins, sont également mesurées.
La combinaison de données issues de campagnes océanographiques et de flotteurs Argo nous permet de mieux comprendre la variabilité de la pompe à carbone océanique et sa relation avec l’AMOC sur une large gamme d’échelles spatio-temporelles.