Les organismes marins participent aussi à la régulation du climat

Plongeur observant un herbier de zostère (Zostera marina) à Sainte-Anne-du-Portzic.

Plongeur observant un herbier de zostère (Zostera marina) à Sainte-Anne-du-Portzic.

L’océan est l’un des puits de carbone les plus importants sur le globe. Depuis les années 1960 jusqu’aux années 2010, il a absorbé 25 % du CO2 atmosphérique émis par les activités humaines. Cette absorption implique des processus physico-chimiques, mais aussi biologiques assurés par les organismes marins eux-mêmes : ils font partie intégrante du processus de régulation du CO2 atmosphérique. L'Ifremer étudie ces mécanismes de captation et de stockage de carbone et l'ampleur des phénomènes en jeu. L'Ifremer s'intéresse particulièrement à certaines zones de l’océan, comme les grandes profondeurs ou les zones côtières qui sont encore mal prises en compte dans l’évaluation de la capacité de l’océan à capter, absorber et stocker le CO2 atmosphérique.

Comment l'océan capte et stocke le CO2 atmosphérique ?

Le cycle du carbone, régulateur du climat

Le carbone est un élément chimique présent dans toute forme de vie. La circulation du carbone est régie par des processus et échanges biogéochimiques sur l’ensemble de la planète impliquant les compartiments terrestre, aquatique, atmosphérique et qui composent le « cycle du carbone ». Cela correspond au cycle naturel qui permet de réguler le carbone de l’atmosphère, en le stockant dans le sol, l’océan ou les êtres vivants. Le cycle du carbone est primordial dans la régulation du climat. Ce cycle naturel est perturbé par les activités humaines qui augmentent notamment la présence de deux gaz à effet de serre : le dioxyde de carbone (CO2) et le méthane (CH4). Ces gaz ont une incidence sur l'atmosphère terrestre, la température du globe, l'acidité de l'océan ou encore les quantités de carbone disponibles pour les êtres vivants.

278

est la concentration atmosphérique mondiale à l’ère pré-industrielle (exprimée en parties par million ou ppm)

419

est la concentration atmosphérique mondiale mesurée en 2022 (exprimée en parties par million ou ppm). Cette augmentation est majoritairement due aux activités humaines.

L’action de l’océan dans le cycle du carbone

L’océan est un acteur majeur du cycle du carbone et de la régulation des gaz à effet de serre. C’est une véritable « pompe » de carbone.

Le CO2 atmosphérique au-dessus d’une masse d’eau, peut se dissoudre dans l’eau et se transformer ensuite en ions bicarbonate et carbonate. L’ensemble forme alors le carbone inorganique dissous, qui est utilisé par les organismes marins. Ce phénomène de dissolution est principalement présent à la surface de l’océan, dans la (sidenote: Colonne d’eau Le volume d’eau compris entre le fond et la surface. ) . Il est provoqué par une différence de pression de CO2 entre la masse d’eau et l’atmosphère. Si la pression de CO2 est supérieure dans l’atmosphère, le CO2 sera dissous dans la masse d’eau. À l’inverse, si la pression de CO2 est supérieure dans la masse d’eau, le CO2 dissous dans l’eau sera alors libéré dans l’atmosphère.

Les organismes marins, partie prenante dans le stockage

L’océan est le plus important puits de carbone du globe grâce notamment aux organismes marins qui captent le CO2 dissous et produisent de la matière organique. Actuellement, la pompe de carbone biologique permet de stocker suffisamment de carbone au sein de l’océan pour maintenir le CO2 atmosphérique à un niveau inférieur (200 µatm) à ce qu'il serait sans son action.

Ce sont principalement les organismes photosynthétiques (microalgues, bactéries, végétaux…) qui assurent ce rôle de puits de CO2 atmosphérique. On dit que ces organismes sont une « pompe biologique primaire » car ils sont les premiers maillons des chaînes alimentaires. C’est grâce à eux que le carbone est ensuite intégré aux autres animaux qui vont les consommer.

Les organismes non photosynthétiques vont aussi participer au stockage du carbone : c’est le cas des organismes avec une coquille, comme les mollusques. Ces organismes utilisent le calcium et les carbonates présents dans l’eau pour former leur coquille. Même si la formation de coquille génère du CO2, elle contribue à la pompe dite “carbonate” (ions bicarbonate par exemple).

Il existe également des organismes qui n’utilisent pas la photosynthèse mais la chimiosynthèse. C’est le cas dans les environnements profonds, à plusieurs centaines voire milliers de mètres sous la surface de l’océan. La lumière n’atteint pas ces profondeurs et les organismes qui y vivent ont développé une capacité à capter et utiliser l’énergie produite par les réactions chimiques naturelles comme l’oxydo-réduction.

Lorsque les organismes qui ont capté du carbone meurent, les bactéries vont participer à leur décomposition et valoriser ce carbone en énergie. Lors de cette décomposition, du CO2 est aussi relargué par respiration. Les particules restantes, aussi chargées en carbone, composeront le sédiment qui constitue un stockage pérenne du carbone.

Les évolutions futures du climat vont changer l’ordre établi

Les prévisions du GIEC1 montrent que les températures globales vont augmenter. Les océans vont continuer à se réchauffer et ce changement va troubler la capacité de l’océan à capter le CO2 :

  • en réduisant la solubilité du CO2 dans l’eau
  • en modifiant la photosynthèse et la respiration des organismes.

Cela va faire baisser la capacité de captation et de stockage de l’océan et le CO2 dissous va potentiellement être relâché dans l’atmosphère au lieu d’y être stocké.

En parallèle, la captation du CO2 atmosphérique par les océans en excès provoque une baisse de leur pH et donc une acidification. Cet effet a un impact direct sur les organismes marins, notamment sur la formation et la structure des coquilles et sur les coraux. À partir d’une certaine concentration de CO2 atmosphérique (700 ppm), les organismes ne pourront plus former leur coquille et le corail ne pourra plus se développer. Même avant ce niveau, l’acidification pourra perturber la physiologie des organismes marins et notamment leur capacité à construire leur coquille ou leurs récifs.

Focus sur des zones encore mal évaluées dans les bilans carbone

La grande capacité de stockage du carbone des zones côtières

Les systèmes côtiers, tels que les zones humides, les marais doux et salés ou encore les zones intertidales à herbiers, et les mangroves sont de véritables systèmes “Carbone Bleu” : ils  ont la capacité de stocker de très grandes quantités de carbone (par unité de surface) dans leur sol, leur sédiment et leurs biomasses vivante et morte. Cependant, ces systèmes côtiers sont complexes et très variables car ils sont soumis aux effets des marées, à l’importance des saisons, de la variabilité interannuelle et aux flux qui mettent en jeu les différentes formes du carbone.

Ces zones sont encore entourées de nombreuses interrogations sur les différents processus et flux impliqués dans le cycle du carbone. Contrairement aux océans et aux domaines terrestres, la dynamique du carbone au sein de ces systèmes reste encore peu étudiée, en particulier de façon intégrée et pluridisciplinaire. Les scientifiques manquent de connaissances et de mesures. L’Ifremer cherche donc à caractériser ces systèmes côtiers pour comprendre leur place dans le cycle du carbone et pouvoir les intégrer aux budgets globaux de carbone.

En plus de la captation et la séquestration du CO2 atmosphérique, des échanges horizontaux se mettent en place, notamment au rythme des marées. Ainsi, le CO2 va être capté à un endroit et se déplacer avec la masse d’eau pour être stocké ou au contraire relargué vers l'atmosphère à un autre endroit. Le carbone sort alors du système et est exporté vers un autre. À ce phénomène s’ajoutent les processus biologiques (végétation, phytoplancton, zooplancton…) qui se retrouvent immergés ou non, selon la marée. L’alternance jour/nuit a également une incidence du fait de la photosynthèse selon la période d’immersion et la respiration des organismes.

Dans le contexte du changement climatique, ces systèmes seront de plus en plus immergés, sous l’eau ou avec des hauteurs d’eau plus importantes. Cela aura un impact sur la capacité de captation du carbone par les organismes. Chez certains organismes, une immersion plus fréquente favorisera leur rôle de puits de carbone car ils seront moins au contact de l’atmosphère. C’est le contraire pour les marais : face à une hausse du niveau de l’eau, leur rôle de puits de carbone pourra être réduit car sous l’eau, la photosynthèse et la respiration sont moins fortes qu’à l’air libre. De plus, une prolifération de ces organismes peut être problématique pour les espèces environnantes et déséquilibrer l’écosystème.

Les systèmes côtiers jouent un rôle important de régulation pour le climat. Ils sont comparables, voire plus importants que les autres systèmes, en quantité de CO2 atmosphérique capté et séquestré.

Les zones côtières ne représentent que 1 ou 2 % des quantités de CO2 capté et séquestré, c’est très faible par rapport à la surface du globe. Mais si on rapporte ces quantités par unité de surface, les quantités de carbone stockées sont considérables.

Pierre Polsenaere
Ifremer | Chercheur

Les sources hydrothermales, pompes biologiques insoupçonnées

Pendant longtemps les humains ont cru qu’il n’y avait pas ou peu de vie dans les fonds marins, du fait de l’absence de lumière et des conditions extrêmes. De nos jours, grâce aux avancées scientifiques et techniques, de nombreuses espèces ont été découvertes dans ces zones profondes.

Découvertes dans les années 70, les sources hydrothermales profondes ont quant à elles été explorées et étudiées plus tardivement. Ce sont des zones de chaleurs extrêmes, où les fluides hydrothermaux riches en gaz comme le méthane et en métaux, comme le fer ou le manganèse, sont expulsés au niveau du plancher océanique par ces geysers sous-marins. En se mélangeant à l'eau de mer environnante, ces fluides constituent les panaches hydrothermaux. Par différence de densité, ces panaches hydrothermaux (mélange d’eau de mer et de fluides hydrothermaux) peuvent s’élever dans la colonne d'eau jusqu'à 100-200 m au-dessus du fond, et s'exporter sur plusieurs centaines voire milliers de kilomètres dans l'océan au gré des courants.

Les chercheurs de l’Ifremer ont découvert qu’autour de ces sources vivaient des moules, des gastéropodes, des vers, des crevettes... Ces animaux sont en symbiose avec des bactéries qui vivent de chimiosynthèse pour produire une partie de leurs nutriments et qui subviennent aux besoins énergétiques des animaux des chaînes alimentaires. Les coquillages, poissons et crevettes de ces zones extrêmes utilisent eux aussi du carbone pour constituer leur coquille ou leur squelette.

L’Ifremer organise depuis plusieurs décennies des campagnes océanographiques pour mieux comprendre les organismes qui peuplent ces zones profondes.