Instrumenter l’océan pour l’observer sur la durée

L’Ifremer déploie des réseaux d’observation de l’océan, en surface, dans la colonne d’eau, sur les petits et grands fonds marins… depuis la côte jusqu’au large. Qu’observons-nous ? À quoi servent ces données ?

Instrumenter l’océan… pourquoi ?

L’océan change : de manière saisonnière, annuelle, ou par cycles plus longs. Ainsi, on ne mesure pas la même chose à un endroit donné selon la météo, la marée, la saison, etc.

Observer l’océan et l’instrumenter est d’une difficulté variable selon le lieu (éloignement des côtes, profondeur…) ou la fréquence des phénomènes à observer. Les scientifiques doivent donc adapter les dispositifs d’observation pour couvrir tous les aspects des phénomènes étudiés, à diverses échelles spatiales et temporelles.

Nous avons besoin d’avoir de longues séries temporelles de données, notamment dans le contexte du changement climatique.

Alain Lefevre
Ifremer | Co-directeur du réseau d’observation ILICO

Pour surveiller l’océan à une fréquence adaptée, les scientifiques ne peuvent pas envoyer des bateaux en permanence et partout (pour des questions de coût, de disponibilités des bateaux et des personnels, mais aussi de bilan carbone !). Ils s’appuient sur des dispositifs instrumentés plus ou moins autonomes, fixes ou mobiles, installés pour des durées de quelques heures à plusieurs décennies, équipés de nombreux capteurs : des observatoires sous-marins, des bouées instrumentées, etc.

Grâce au développement des connaissances et des technologies, la recherche cible mieux ses besoins en données pour concentrer ses efforts sur les données les plus pertinentes et utiles. 

Nous souhaitons observer l’océan de manière raisonnée : mieux on connaît un phénomène, plus on adapte l’observation.

Lucie Cocquempot
Ifremer | Ingénieure de recherche

Qu’observe-t-on ?

Les données recueillies sont de natures multiples ! Les scientifiques récupèrent à la fois des données :

  • physiques : température, salinité, luminosité… ;
  • physico-chimiques : oxygène et CO2 dissous, contaminants chimiques, microplastiques… ;
  • biologiques (données ou échantillons) : planctons végétal et animal, bactéries, virus, poissons, mammifères marins, (sidenote: ADN environnemental C'est une technique qui permet d'identifier les espèces présentes dans un milieu, sans isoler chaque organisme au préalable. L’ADNe peut être extrait à partir d’un échantillon naturel (eau, sédiment, etc.). Il s’agit d’analyser à la fois l'ADN de cellules intactes, mais aussi les traces d’ADN laissées par les organismes, via des urines, morceaux de peau, mucus... ) … ;
  • géologiques : secousses sismiques, déplacement du plancher océanique, bombement d’un volcan...

Ces mesures sont réalisées via des capteurs, des enregistrements sonores (animaux marins, tremblements de terre…), des photos, des vidéos, ou encore des prélèvements d’eau, de (sidenote: Sédiments En géologie, les sédiments sont des matériaux créés par l'érosion, la dégradation ou l'altération de matières minérales (roches, coraux, animaux, sable…). Les sédiments peuvent être transportés par le vent, les précipitations, les courants… et se déposent, par exemple, au fond de l'océan. ) , de matériel biologique. Elles sont soit stockées sur l’observatoire et relevées au cours des opérations de maintenance soit télétransmises régulièrement à terre.

Ces données sont ensuite traitées par les scientifiques. Il faut d’abord valider et qualifier la donnée, c’est-à-dire vérifier si la donnée est pertinente (pas de défaillance du capteur, de donnée aberrante, etc.). Puis chaque donnée est renseignée et accompagnée de ses métadonnées (à quelle date cette donnée a-t-elle été obtenue ? dans quel lieu ? avec quel outil ?). La donnée est ensuite (sidenote: Bancariser Sauvegarder dans une base de données ) et mise à disposition d’autres réseaux et plateformes de diffusion afin de permettre un accès à la communauté scientifique Elle sera analysée pour en extraire le plus d’information possible.

Les données seront aussi utilisées pour développer des modèles pour faire de la prédiction, construire des scénarios d’évolution des milieux. Elles vont aussi permettre de calibrer ou valider des données obtenues par satellite.

L’Ifremer dispose de quantités colossales de données d’observation, certaines séries remontent jusqu’aux années 70 ! L’institut est expert dans le traitement, l’analyse et le stockage des données marines. Il souhaite mettre le plus possible de données en Science ouverte (Open data) selon le principe du FAIR (Findable Available Interoperable Reusable, en français : des données faciles à trouver, accessibles, interopérables et réutilisables).

À quoi servent ces données ?

Les données d’observation de l’océan sont utilisées par les chercheurs pour faire avancer la connaissance de l’océan et des zones littorales et côtières. Elles servent aussi les missions de surveillance et d’appui aux politiques publiques de l’Ifremer, pour des objectifs très divers. Il s’agit, par exemple, de mesurer l’impact des activités humaines et du changement climatique sur les écosystèmes marins, de surveiller la qualité de l’eau, d’anticiper la présence de microorganismes toxiques, de comprendre des phénomènes géologiques

Comment observe-t-on l’océan ?

Historiquement, l’observation de l’océan était réalisée depuis le littoral ou en bateau. Les développements technologiques ont permis de varier les outils disponibles : des bateaux mieux équipés, des satellites (uniquement pour la surface de l’océan), des flotteurs profileurs Argo, ou encore des bouées connectées, des drones et des observatoires sous-marins, véritables stations “spatiales” sous-marines comme l’observatoire MOMAR sur la dorsale médio-Atlantique.

Qu’est-ce qu’un observatoire sous-marin ?

Un observatoire sous-marin est une structure qui regroupe des instruments de mesure de paramètres physiques ou biologiques et de prélèvements d’eau, d’organismes, etc. L’observatoire fournit de l’énergie aux instruments (via une batterie ou un câble relié au continent) et peut rassembler et transmettre les données. Installé sur le fond ou en pleine eau, un observatoire permet une mesure automatisée dans une zone donnée.

L’Ifremer conçoit et gère de nombreux systèmes d’observation, installés dans les divers écosystèmes de l’océan. L’institut est notamment impliqué dans :

  • Le réseau européen d’observatoires sous-marins EMSO vise à étudier les écosystèmes marins et les risques naturels sur le long terme, via des observatoires permanents, câblés ou non, installés sur le fonds ou sur une bouée en surface.  L’Ifremer et le CNRS pilotent les observatoires d’EMSO-France, installés pour plusieurs décennies au large de Nice et au large des Açores.
  • Près de Mayotte, le développement de l’observatoire MARMOR, à l'horizon 2026-2027, en lien avec d’autres partenaires français vise à surveiller l’évolution du nouveau volcan Fani Maoré. Il sera complété de capteurs pour mesurer d’autres paramètres environnementaux (température, salinité, oxygène, courants...), connectés sur une ligne de mouillage dans le cadre du projet ScInObs1. Une autre ligne de mouillage est déployée depuis 2023 en Nouvelle-Calédonie, pour l’étude des monts sous-marins et leurs écosystèmes.
  • Tout le long du littoral français, l’infrastructure de recherche ILICO fédère neuf réseaux d’observation nationaux qui acquièrent en permanence, sur le long terme, des données sur les eaux côtières, le trait de côte, la biodiversité du littoral, etc. Cette infrastructure est co-dirigée par l’Ifremer et le CNRS.
  • Plus au large, pour connaître l’état de l’Océan mondial en temps réel, la communauté scientifique mondiale a déployé plus de 4000 flotteurs profileurs Argo, qui dérivent au gré des courants et mesurent en continu des paramètres utiles pour comprendre le fonctionnement de l’océan et son rôle sur le climat.

Le futur de l’observation : améliorer les capteurs et le traitement des données

Depuis les années 90, les données que les scientifiques parviennent à obtenir sont en très forte augmentation, notamment grâce au développement des nouvelles technologies et à l’automatisation. Plus récemment, l’intelligence artificielle ou la science participative apportent des solutions pour traiter différemment ces volumes considérables de données. La modélisation numérique est aussi un appui pour concevoir les dispositifs d’observation, par exemple pour trouver l’endroit le plus approprié pour un capteur : selon son emplacement, il peut être représentatif d’une petite zone particulière, ou de toute la façade Atlantique !

L’Ifremer développe par exemple des algorithmes de traitement de l’image pour étudier et suivre la biocolonisation ou fouling qui se forment sur les structures des éoliennes offshores. Des caméras informent de l’état de colonisation des structures. Le traitement par intelligence artificielle permet d’identifier les différents organismes, leur nombre, leur type…  afin d’optimiser la fréquence de la maintenance des structures. 

En parallèle, l’institut travaille à l’amélioration des instruments de mesure. Il s’agit d’une part, sur des paramètres dont on maîtrise la mesure, de développer des capteurs « low-tech », pour obtenir la même qualité de mesure avec des systèmes plus simples et moins coûteux. Le développement des stations de fond autonomes Mastodon contribue aussi à cet objectif de disposer d’outils de qualité à moindre coût, notamment pour faciliter le déploiement d’un grand nombre.

L’Ifremer travaille d’autre part à développer des instruments et des plateformes de capteurs innovants pour le suivi de nouveaux paramètres et avec des fréquences de maintenance plus faibles (par exemple pour diminuer les (sidenote: Biosalissure Accumulation d’organismes (bactéries, algues, petits crustacés fixés, coquillages…) sur les structures immergées, comme les coques de bateaux, les parcs à huîtres, les piliers d’éoliennes offshores… ou les instruments scientifiques. ) qui recouvrent les optiques des caméras). Enfin, les scientifiques s’activent aussi à automatiser tous ces capteurs, à les rendre plus sobres et à mieux les intégrer sur les bouées instrumentées, profileurs et observatoires.

Tous ces développements nécessitent un travail très interdisciplinaire, impliquant l’électronique des capteurs, le traitement du signal, l’optique, la chimie, la biologie… et l’expérience de ce milieu très difficile d’accès pour connaître les éléments à mesurer et les contraintes.  

Quelques exemples de capteurs en développement :

  • Des capteurs d’oxygène et de turbidité low-cost pour les écosystèmes côtiers. L’objectif est de disposer de systèmes performants, avec une meilleure résolution spatiale, et ce à moindre coût. Ceci permettrait de les déployer plus largement, par exemple dans le cadre de l'infrastructure ILICO.
  • Des capteurs permettant de détecter automatiquement in-situ et d’identifier les microplastiques (actuellement, les analyses sont faites au laboratoire à partir de prélèvements d’eau). Ceci vise à mieux comprendre la distribution de ce type de pollution.  
  • Des capteurs à (sidenote: ADN environnemental C'est une technique qui permet d'identifier les espèces présentes dans un milieu, sans isoler chaque organisme au préalable. L’ADNe peut être extrait à partir d’un échantillon naturel (eau, sédiment, etc.). Il s’agit d’analyser à la fois l'ADN de cellules intactes, mais aussi les traces d’ADN laissées par les organismes, via des urines, morceaux de peau, mucus... ) . Il s’agit de mettre au point notamment un nouveau capteur adapté pour l’environnement profond, pour équiper le ROV Victor, puis les autres engins de la Flotte océanographique française pour lesquels ce serait pertinent. 
  • Le Zoocam, une caméra qui permet une reconnaissance et une classification automatisée des œufs et de larves de poissons. Il est utilisé lors des campagnes d’évaluation des stocks de poissons d’intérêt.  
  • Des projets avec l’institut Carnot-MERS, comme un capteur de salinité destiné aux profileurs ou un détecteur de fluorescence permettant de repérer les bactéries productrices de méthane, ou encore la miniaturisation de capteurs de pH pour en équiper les flotteurs profileurs Argo.

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