Séismes et volcans : observer les aléas sous-marins

L'Ifremer contribue à l’étude des dangers sous-marins, quels qu'ils soient, en observant les phénomènes et/ou en mettant en place des méthodes et instrumentations pour l’observation. Pour les habitants du littoral et des îles, les risques géologiques sont multiples, depuis les effets directs des volcans jusqu'aux tremblements de terre et aux tsunamis. La plus grande étude dans ce domaine consiste à comprendre et observer pour anticiper la situation tellurique et magmatique autour de Mayotte, dans l'océan Indien.

L'histoire géologique récente de l'archipel des Comores, entre Madagascar et les côtes du Mozambique, illustre de manière spectaculaire les risques liés à la géologie du fond des océans. L'île française de Mayotte compte plus de 280 000 habitants. Les îles de l'archipel sont sur une ligne volcanique, dans une zone de fracture entre deux plaques où les remontées magmatiques donnent naissance à des volcans depuis vingt millions d'années.

280 000 habitants inquiétés

Une surveillance inédite des fonds sous-marins de la région est mise en place depuis la crise sismo-volcanique débutée en mai 2018. “Des séismes de magnitude jusqu'à 5,9 ont fait trembler les maisons et fortement inquiété la population mahoraise, explique Louis Géli, géophysicien à l'Ifremer. L'activité sismique a repris en novembre 2018 et, cette année-là, plus de 2 000 séismes d'une magnitude supérieure à 3,5 ont été enregistrés”.

D’après les volcanologues, le risque de volcanisme explosif explosif existe à une dizaine de kilomètres de l'île, où la sismicité est concentrée. Les populations seraient menacées par des remontées de magma en quelques heures.

Louis Géli
Géophysicien à l'Ifremer

L'Ifremer et d'autres acteurs scientifiques1  sont mobilisés pour comprendre ce qui se passe sous l'eau. “En mai 2019, la mission océanographique Mayobs à bord du Marion Dufresne a permis de découvrir qu'un volcan s'était créé, à une cinquantaine de kilomètre à l'est de Mayotte, explique Emmanuel Rinnert, chef des mission Mayobs 13-2, 15, 18, 19 et 21 et chercheur en géosciences marines à l’Ifremer. Ce nouvel édifice a surgi à 3 500 m de fond et mesure 800 m de haut. Nous avons mesuré les panaches qui s'en échappent, les émissions de gaz, de fluides et de particules”. Les séismes constatés sont liés à la naissance de ce volcan actif.

Un volcan sous-marin naît, l'île se déplace

Le levé bathymétrique réalisé en 2019 lors de la campagne Mayobs1 a été comparé aux cartes sous-marines précédentes : “La structure volcanique est apparue en quelques mois, vraisemblablement suite à une éruption volcanique en partie explosive, explique Louis Géli. C'est un phénomène géologique rapide. Chaque mois, l'île s'est déplacée de 16 mm vers l'est et 9 mm en vertical”. De 2018 à 2020, les GPS ont enregistré un déplacement de Mayotte de plus de 21 cm vers l'est, ainsi qu'un affaissement moyen de 14 cm. Les tremblements de terre continuent. Un séisme de magnitude 4,15 a ainsi été ressenti sur l'île le 14 avril 2022.

Une surveillance sismologique en temps réel

Aux côtés de plusieurs autres institutions2 , l'Ifremer crée aujourd'hui une infrastructure d'observation sous-marine à Mayotte, appelé Marmor3  et dirigée par Louis Géli. L'objectif est d'assurer une surveillance sismologique en temps réel de la région, 24 heures sur 24 et toute l'année. Ce projet multidisciplinaire est la plus grande étude réalisée par la France dans le domaine sous-marin, pour anticiper une situation tellurique et magmatique. Tout comme les données actuellement enregistrées par le REVOSIMA, les données seront traitées en continu et continueront à donner lieu aux bulletins d'activité sismo-volcanique quotidiens et mensuels.

De nombreuses campagnes océanographiques

Avant la mise en place complète de l'observatoire Marmor, dont l'achèvement est programmé pour 2025, les missions de surveillance Mayobs ont débuté en 2019 à la demande de l'Etat. Elles sont réalisées dans le cadre du réseau de surveillance volcanologique et sismologique de Mayotte (Revosima4 ), créé suite au phénomène géologique exceptionnel de 2018. Ces missions impliquent l'Ifremer, les Instituts de physique du globe de Paris et Strasbourg (IPGP5  et IPGS), le Service géologique national (BRGM) et le CNRS.

Pour le suivi en mer de cette crise et la sécurité de la population mahoraise, le Revosima a besoin notamment de deux types d'informations, résume Emmanuel Rinnert. D'une part, les signaux des ondes émises par les séismes, mesurés pas les sismomètres au fond de la mer, appelés OBS6 , d'autre part la connaissance des émissions de gaz ou de particules venant du fond”.

Capteurs et câbles optiques au fond de l'océan

En attendant le démarrage opérationnel de l'observatoire constitué de câbles électro-optiques reliant plusieurs stations, des sismographes autonomes ont déjà été installés. Certains capteurs mesurent la pression au fond de l'océan : si celle-ci diminue, cela signifie que le fond monte et se déforme. D'autres instruments détectent les bruits environnementaux pouvant être en lien avec la mise en place de coulées de lave, des éboulements ou encore des séismes. Les tiltmètres mesurent l'inclinaison du fond. A terre comme en mer, l'instrumentation déployée sur le site est considérable. Elle inclut également des capteurs chimiques et des magnétomètres, qui sont des détecteurs des remontées magmatiques.

Cette approche innovante bénéficiera aux autres observatoires sismologiques et volcanologiques français à la Réunion, en Guadeloupe et en Martinique.

L'Ifremer a déjà déployé des observatoires sous-marins, notamment en Méditerranée, et s'appuie sur cette expertise. L'observatoire Marmor sera le plus long jamais installé, car il réunira deux lignes de stations reliées par fibre optique, l'une de 54 km, l'autre de 22 km. Le contexte géodynamique de la région est un cas d'école et les connaissances acquises seront être déployées où cela sera nécessaire, pour assurer la sécurité du littoral. Cet observatoire innovant, doté d'équipements de pointe pour la sismologie et la (sidenote: Géodésie La géodésie est la science qui étudie les dimensions et la forme de la Terre, ainsi que son champ de pesanteur. )  sous-marines, s'inscrit dans le projet Scinobs (Sciences and innovations for underwater observatories), financé sur fonds propres de l’Ifremer.

Notes

  • 1Le CNRS, le BRGM et l'IPGP.
  • 2BRGM, IPG Paris, IPG Strasbourg, IGN, OSU OPG Clermont-Ferrand, Ifremer, CUFR Mayotte, Shom, Université de La Réunion, GET-OMP Toulouse, Université de La Rochelle, IsTerre.
  • 3Le projet MARMOR bénéficie d’une aide de l’Etat gérée par l’Agence Nationale de la Recherche au titre du programme d’Investissements d’avenir intégré à France 2030 portant la référence ANR-21-ESRE-002 »
  • 4www.ipgp.fr/revosima
  • 5Sur le plan institutionel, l'IPGP a pour mission d'assurer la surveillance volcanologique et sismologique en France. L'Ifremer est chargé de surveiller tous les risques sous-marins.
  • 6OBS : Ocean-bottom seismometer