Sur le continent, le nombre de bactéries résistantes aux antibiotiques est en augmentation, que ce soit chez les humains, les animaux ou dans l’environnement (où elles arrivent via les eaux usées notamment). Mais en mer, les connaissances scientifiques sur la présence d’antibiotiques ou de bactéries résistantes sont encore limitées. Certaines bactéries présentent naturellement des résistances, mais sont-elles nombreuses ? Présentent-elles un risque pour la santé des animaux marins ou pour la santé humaine ?
L’antibiorésistance, un risque pour les écosystèmes, la santé humaine et la santé animale
Chez les humains ou les animaux, les bactéries porteuses de gènes de résistance aux antibiotiques peuvent survivre à un traitement médicamenteux, ou nécessitent l’emploi de doses élevées. Ainsi, elles présentent un risque pour la santé humaine : face à des résistances plus nombreuses et des résistances à plusieurs types d’antibiotiques, la médecine risque d’être dans l’impasse face à certaines infections bactériennes. Dans l’océan, elles pourraient aussi altérer la santé des espèces.
La prolifération de bactéries résistantes est renforcée par un usage abusif ou mal approprié des antibiotiques : en présence d’antibiotiques, les bactéries sensibles sont détruites. Ne restent que les résistantes, qui peuvent alors se développer plus facilement sans compétition.
D’où viennent les antibiotiques et les bactéries résistantes ?
Certaines bactéries marines portent naturellement des gènes de résistance aux antibiotiques. Mais la plupart des bactéries résistantes sont liées à des activités humaines :
- les rejets d’eaux traitées. Les stations d’épuration ne traitent pas spécifiquement les antibiotiques, donc les eaux peuvent contenir des molécules antibiotiques, voire des bactéries résistantes.
- les eaux usées non traitées, par exemple via des débordements de station lors de pluies abondantes.
- les élevages aquacoles, en quantité limitée : en France les antibiotiques sont peu utilisés. Pour la pisciculture, en bassins comme en cages en mer, ils sont administrés sous contrôle vétérinaire et uniquement en cas de maladies. En crevetticulture et en conchyliculture ils sont parfois utilisés en écloserie (donc en bassins fermés, ce qui limite les rejets). D’autres pays, notamment en Asie, les utilisent plus largement.
Les bactéries résistantes aux antibiotiques sont-elles nombreuses ?
Pour les scientifiques, une première étape consiste à évaluer l’abondance, dans les écosystèmes marins et côtiers, de ces bactéries résistantes. L’Ifremer a développé des travaux plus particulièrement en Charente-Maritime et dans les lagunes méditerranéennes, deux zones côtières fortement soumises aux apports issus des activités humaines via les cours d’eau, et où sont situés des élevages conchylicoles. Sur le littoral méditerranéen, l’institut étudie plus particulièrement la lagune de Thau, dans l’Hérault. C’est un milieu semi-fermé, qui reçoit les eaux traitées de stations d’épuration, mais dont l’eau est de bonne qualité.
En Charente-Maritime, l’Ifremer a lancé en 2019 un premier projet d’évaluation de la présence de bactéries résistantes sur six populations naturelles d’huîtres creuses, sur des sites plus ou moins proches d’embouchures de rivières (et donc plus ou moins exposés aux rejets issus des activités humaines). Les scientifiques se sont intéressés à la bactérie Escherischia coli, responsable de gastro-entérites chez les humains, et aux bactéries du genre Vibrio, responsables de mortalités chez les huîtres.
Les nouvelles sont plutôt bonnes ! Les Escherischia coli échantillonnées en Charente-Maritime ne présentaient pas de multirésistance, et ce quelle que soit leur niveau d’exposition aux rejets des activités humaines.
Concernant Vibrio, certaines bactéries prélevées possèdent des gènes de résistance, mais la littérature montre que des Vibrio en possèdent naturellement. Les scientifiques cherchent maintenant à évaluer le risque lié à la présence de ces résistances.
Sur ces sujets, l’Ifremer travaille en partenariat avec d’autres instituts de recherche européens, notamment pour disposer de comparaisons avec d’autres sites côtiers en Europe.
Des gènes de résistance qui se transmettent entre bactéries
Les scientifiques de l’Ifremer souhaitent aussi évaluer le risque que les bactéries résistantes représentent. Au-delà des bactéries pathogènes (du genre Vibrio ou Escherischia coli), d’autres bactéries, pourtant a priori inoffensives pour les humains ou les coquillages, représentent toutefois un risque. En effet, les bactéries ont la capacité d’échanger de petits fragments d’ADN entre elles. Une bactérie résistante pourrait ainsi transmettre des morceaux d’ADN porteurs de gènes de résistance à une autre bactérie pathogène des humains ou des animaux, qui acquerrait alors cette résistance.
Quel risque pour la filière conchylicole ?
L’Ifremer porte un intérêt particulier à la détection de l’antibiorésistance autour des sites conchylicoles. Connaître les gènes des bactéries pathogènes ou du microbiote des huîtres creuses est important pour la santé des élevages. En effet, comme chez les humains, le microbiote des huîtres creuses est un facteur majeur de leur santé.
Les scientifiques évaluent en laboratoire, le risque d’apparition de gènes de résistance aux bactéries Vibrio, chez des huîtres exposées à des antibiotiques. Ils ont mené des essais dans les stations Ifremer de la Tremblade et d’Argenton. Les premiers résultats montrent qu’on ne retrouve que très peu de bactéries résistantes aux antibiotiques quel que soit le stade (larves, juvénile ou adulte) où les huîtres et leur microbiote ont été exposés.
Les métaux lourds et pesticides favorisent-ils l’apparition d’antibiorésistances ?
La présence de pesticides dans les écosystèmes marins est un fait avéré. Or, plusieurs études ont montré le rôle des pesticides et des métaux lourds dans le développement de résistances aux antibiotiques dans les sols, sur le continent.
En effet, la littérature scientifique montre que les bactéries qui survivent bien aux métaux lourds (et qui possèdent donc les gènes de résistance adéquats) portent souvent, à proximité sur leur ADN, des gènes d’antibiorésistances. Deux gènes situés à proximité peuvent plus facilement être transmis ensemble, via le même fragment d’ADN, à une autre bactérie. De même, dans les sols continentaux, plusieurs herbicides sont connus pour activer chez les bactéries des mécanismes de résistance aux antibiotiques. Les bactéries exposées à ces herbicides deviennent plus tolérantes aux antibiotiques, et ce même à de faibles doses.
Ces mécanismes de sélection des résistances, favorisés par les pesticides et les métaux lourds, se produisent-ils aussi en mer ? C’est l’une des questions explorées à l’Ifremer au sein du bassin de Thau, la lagune étant un réceptacle de métaux lourds comme le cuivre, utilisé comme fongicide en viticulture. Il faudra attendre le temps des recherches, qui sur ce sujet sont encore récentes, pour en savoir plus.