Sur les traces de la faune associée aux nodules polymétalliques dans les plaines abyssales de Clarion-Clipperton
La précipitation des métaux dissous dans l’eau de mer peut conduire dans certaines plaines abyssales, entre 4000 et 6000 mètres de profondeur, à la formation de nodules polymétalliques. Ces galets de 5 à 10 centimètres de diamètre grandissent d’une dizaine de millimètres par million d’années et forment des « champs de nodules » qui abritent une faune d’une grande diversité et encore très méconnue. Alors que certains industriels envisagent l’exploitation de ces roches riches en éléments métalliques, les scientifiques de l’Ifremer se rendent sur la zone française du contrat d’exploration, Clarion-Clipperton, pour mieux comprendre les écosystèmes qui dépendent de ces nodules. Du 19 novembre 2024 au 2 janvier prochain, à bord de L’Atalante, ils étudieront la faune de ces plaines abyssales et les liens entre la biodiversité et l’abondance et la répartition des nodules.
Il s’agit de la 5e campagne océanographique menée par l’Ifremer depuis 2004, dans le cadre du contrat d’exploration pour les nodules que l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM) a accordé à l’institut pour le compte de la France. L’objectif est d’identifier l’état de référence des écosystèmes des plaines à nodules, connaissance préalable pour ensuite évaluer l’impact que pourrait avoir une éventuelle exploitation minière. Ces recherches s’inscrivent également dans l’objectif d’acquisition de connaissances sur les grands fonds du programme « grands fonds marins » de France 2030, qui finance la campagne.
Les nodules sont un socle pour le développement de la faune des plaines abyssales
Les nodules polymétalliques sont le seul support solide disponible sur les sols meubles des plaines abyssales, un socle de choix pour les organismes fixés tel que les coraux d’eau froide, les éponges ou les cnidaires. Autour des nodules, enfouis dans le sédiment, crustacés, échinodermes (dont des étoiles de mers), vers marins et communautés microbiennes cohabitent.
Au cours de la campagne EDEN, les équipes de l’Ifremer réaliseront près de 120 prélèvements de sédiments sur la zone de Clarion-Clipperton. Leur objectif : utiliser les dernières méthodes de taxonomie (ADN environnemental, imagerie et intelligence artificielle) pour dresser un inventaire plus complet des espèces présentes dans ces écosystèmes et identifier les liens entre les différentes communautés d’organismes. Les scientifiques complèteront également les estimations de l’abondance et de la répartition des nodules sur la zone, commencée lors d’une précédente campagne en mars 2024. L’enjeu étant de mieux comprendre les liens entre la biodiversité et les nodules polymétalliques, à la fois parce qu’ils représentent un habitat pour les organismes fixés mais aussi de par leur rôle sur les courants de fond et le dépôt de matière organique.
La biodiversité peut-elle revenir après un essai d’extraction minière ?
La campagne EDEN permettra également de quantifier les impacts de l’extraction de nodules polymétalliques. Dans le cadre du projet de recherche européen MiningImpact de l’initiative de programmation conjointe Océans, les scientifiques se rendront également sur la zone de contrat belge où un prototype de collecteur de nodules a été déployé en 2021 par l’entreprise GSR.
« Après plusieurs années, on voit toujours les trace des chenilles sur le fond. Notre objectif sur place est de vérifier si la faune a pu revenir et se développer sur le site depuis le passage du collecteur, explique Pierre-Antoine Dessandier. C’est l’une des grandes inconnues sur les espèces des plaines abyssales : quelle est leur capacité à recoloniser une zone perturbée par des activités humaines ? Pour le savoir, nous cherchons à mieux comprendre leur cycle de vie, leurs réactions à court et à long terme au stress anthropique, à identifier leurs zones de reproduction et à mesurer la distance qu’elles peuvent parcourir. »
Dans la zone de contrat d’exploration français, près de 50% du fond est constitué par des pentes dont l’inclinaison est supérieure à 5 degrés, qui seront particulièrement étudiées lors de la campagne EDEN. En effet, dans le cas d’une autorisation d’exploitation des nodules par un pays, les prototypes de collecteurs ne sont pas capables d’opérer sur ces pentes et elles pourraient donc constituer des zones de refuges pour la biodiversité.
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