Sciences participatives : une application pour explorer les fonds marins et accélérer les recherches
Pour mieux comprendre les fonds marins, les scientifiques utilisent des observatoires et des engins sous-marins qui enregistrent, parfois en continu, des images de la faune et des habitats benthiques. Une grande quantité de photos et vidéos doit ensuite être analysée pour identifier les espèces qui y apparaissent. Pour accélérer cette tâche, les chercheurs de l’Ifremer lancent cet été la plateforme de sciences participatives « Espions des océans ». Les utilisateurs de tous âges découvrent ainsi des images collectées dans quatre écosystèmes, dans l’Atlantique et le Pacifique, de 6 à 2 200 mètres de profondeur : comme le feraient les scientifiques, ils inspectent les images afin de décrire la faune présente, et contribuent aux recherches de l’Ifremer.
Les scientifiques et les utilisateurs de la plateforme construisent alors ensemble des collections d’images commentées, qui servent à entrainer des algorithmes d’intelligence artificielle. Un premier outil pour automatiser l’identification des espèces a déjà été construit ; il est actuellement en cours de perfectionnement. Une évolution future de la plateforme proposera aux citoyens de vérifier les annotations proposées par l’algorithme.
DES ÉCOSYSTÈMES RENDUS ACCESSIBLES À TOUS
Depuis 2017, les équipes de l’Ifremer ont également mis en place des actions de médiation pour sensibiliser le jeune public à la nécessité d’étudier et protéger ces écosystèmes cachés. Des livrets scolaires, adaptés aux classes du cycle 1 au cycle 3, et des présentations de l’application Espions des Grands Fonds ont été proposés aux enseignants de collège et de lycée pour initier les enfants à l’exploration et la connaissance des grands fonds. Des élèves, du CP au lycée, ont déjà expérimenté ce projet et échangé avec les scientifiques du laboratoire « Environnement profond » de l’Ifremer.
Pour accompagner le lancement de « Espions des océans » et aider les enseignants à s’approprier les programmes de sciences participatives de cette nouvelle plateforme, un nouveau module de formation leur sera proposé cette année. L’ajout de deux autres environnements, les coraux d’eau froide et la rade de Brest, leur permet aussi d’aborder de nouveaux enjeux scientifiques et sociétaux adaptés à leur projet d’enseignement.
Découvrir « Tour Eiffel », une cheminée hydrothermale à 1700 mètres de profondeur
Le volet « Espions des grands fonds » propose aux utilisateurs un voyage dans les grands fonds marins à plus de 1 700 mètres de profondeur, aux côtés des scientifiques en charge de la campagne océanographique Momarsat de l’Ifremer. Cette campagne annuelle assure la maintenance de l’observatoire installé sur des sources hydrothermales de la dorsale médio-Atlantique, au large des Açores. Depuis 2010, le dispositif filme la faune foisonnante de la cheminée hydrothermale Tour Eiffel, adaptée aux conditions extrêmes de cet environnement.
La plateforme intègre également des images collectées par le module d’observation « Tempo-mini » de l’Ifremer sur les sources hydrothermales Grotto de la dorsale Juan de Fuca (site Endeavour, à 400km des côtes canadiennes), dans le cadre d’une collaboration internationale avec le réseau Ocean Networks Canada. Les internautes peuvent ainsi observer la faune des sources hydrothermales du Pacifique et de l’Atlantique, pour mieux comprendre les points communs de ces sites, pourtant distants de milliers de kilomètres.
« Chaque année, ces observatoires fournissent environ 780 heures d’images de la faune des sources hydrothermales : crevettes, crabes, escargots, poissons des abysses, vers mobiles ou tubicoles, mais aussi cousines des araignées terrestres, et bien d’autres espèces uniques à ces environnements, explique Marjolaine Matabos, chercheure au laboratoire « Environnement profond » et cheffe de la mission MoMARSAT 23. Ces images sont précieuses, car il reste beaucoup de choses à apprendre sur ces espèces, comme leur comportement ou l’évolution de leur population. »
Espionner les coraux d’eau froide dans les canyons sous-marins au large de la Bretagne
Avec le volet « Espions des récifs profonds », les explorateurs en herbe rejoignent l’observatoire « Marley », installé depuis 2021 dans le canyon de Lampaul au large de la Bretagne, pour observer les coraux d’eau froide à 780 mètres de profondeur.
« La station restera au fond pendant 5 ans, avec une caméra placée dans un jardin de coraux et qui filme une colonie pendant 15 minutes tous les jours, précise Julie Tourolle, ingénieure de recherche en cartographie des habitats marins profonds et co-cheffe des missions ChEReef. Cela nous permet de suivre le comportement et la croissance de ces coraux, et de découvrir la faune associée aux récifs coralliens du golfe de Gascogne. »
De nouvelles images viendront enrichir la collection de l’application dès le mois de septembre, au retour de la mission ChEReef 2023. Les scientifiques sont actuellement à bord du Pourquoi Pas ?, du 22 août au 2 septembre, pour assurer la maintenance de l’observatoire et récupérer les vidéos enregistrées depuis l’an dernier. Ils ramèneront également des coraux vivants qui seront installés dans des aquariums, à la pression du fond et à pression atmosphérique, pour étudier leur adaptation au changement climatique.
Observer la faune qui se cache sur les fonds de la rade de Brest
Les photographies sous-marines sont également très utilisées par les scientifiques pour assurer un suivi de la biodiversité des environnements côtiers. En rade de Brest, les scientifiques emploient depuis 2016 le traineau instrumenté Pagure 2. En multipliant des passages parallèles, de plusieurs centaines de mètres en ligne droite, il permet de collecter une mosaïque de photographies des fonds, entre 6 et 30 mètres de profondeur. Jusqu’ici, cela représente près de 3 000 photos, mais d’autres habitats pourraient être visités à l’avenir.
Avec « Espions des côtes », les utilisateurs peuvent découvrir ces images et décrire de nombreuses espèces de mollusques, de crustacés, d’échinodermes (étoiles de mer) et de vers marins caractéristiques de ces environnements et pourtant assez méconnues. En participant à la description et l’analyse de cette faune benthique, ils contribuent à mesurer l’abondance relative de ces espèces, y compris de certaines espèces envahissantes, et donc à évaluer l’état de santé des écosystèmes côtiers.