Arctique : l'évolution rapide d'un océan

L'océan Arctique est en pleine évolution. Ce qui se passe dans le Grand nord, où le changement climatique bouleverse les courants, la glace et les masses d'air, a des impacts sur la planète entière. L'Ifremer étudie de près les phénomènes qui expliquent la dynamique océanique.

Nous voulons comprendre pourquoi cet océan change, quelles sont les conséquences pour l'océan global et le climat.

Camille Lique
Ifremer | Physicienne de l'océan

Dans l’Arctique, où les températures augmentent plus vite qu'ailleurs, l'océan se transforme de manière spectaculaire. En trente ans, la moitié de la banquise a déjà disparu. Dans les trente prochaines années, l'océan sera parfois libre de glace en été. Le climat évolue, ainsi que les écosystèmes, en premier lieu le phytoplancton.

Pour comprendre ce qui se passe, une approche globale et détaillée était nécessaire. C'est l'objectif du projet CLIMArcTIC1 , coordonné depuis l'Ifremer par Camille Lique, physicienne de l'océan au LOPS2 et responsable de l’équipe Océan et Climat au LOPS. La dimension de ce projet est à la hauteur de l'enjeu : CLIMArcTIC réunit durant six ans 45 chercheurs au sein de 17 organismes de recherche. Il s'inscrit dans le programme prioritaire de recherche “Océan et climat”.

Certaines régions se réchauffent, d'autres refroidissent

« Quand on observe l'océan Arctique dans le détail, on se rend compte que des régions évoluent différemment, explique Camille Lique. Certaines se réchauffent, d'autres se refroidissent. Des régions océaniques deviennent plus salées, d'autres moins. Les changement de glace et de communautés de phytoplanctons ne sont pas uniformes ». Cette connaissance précise est désormais possible, grâce à la modélisation très haute résolution de l'océan (courants, salinité, température, propriétés des masses d'eau et de la glace), dont Camille Lique est une experte.

Suivre les courants du Grand Nord

L'étude des courants sous la banquise nécessite une approche innovante. Des flotteurs autonomes Argo sont modifiés pour opérer sous la glace et transmettre différentes données, comme les paramètres biogéochimiques de l'oxygène. La circulation des courants est ainsi reconstruite, à petite et grande échelle.

Le rôle des tourbillons océaniques

Hiver comme été, des tourbillons se détachent des grands courants et tournent dans un sens ou dans l'autre (cyclone et anticyclone). Ils mesurent jusqu'à une centaine de kilomètres de diamètre. Ils sont l'équivalent des tempêtes dans l'atmosphère. Ces tourbillons, qui ne sont pas forcément en surface, peuvent avoir une épaisseur de 1000 m.

Connus depuis longtemps, les phénomènes sont désormais analysés finement, à une méso-échelle. Au nord, ils sont plus petits, les plus énergétiques ayant une dizaine de kilomètres de diamètre. Ces structures océaniques n'étaient pas représentées jusqu'à présent dans les modèles d'évolution de l'océan et du climat. Leur rôle est pourtant crucial. « Les tourbillons ont une grande influence sur la glace de mer. Si la banquise fond davantage dans certaines régions, c'est peut-être à cause d'eux. Les tourbillons frappent contre la banquise avant de se dissiper ».

Les tourbillons sont importants pour la biologie de l'océan, car ils transportent de l'oxygène et permettent aux nutriments de remonter. Sans eux, pas de bloom de phytoplancton ! Ils ont un effet sur le climat, car ils sont responsables d'une grande partie de l'absorption du CO2 atmosphérique. « Nous voulons prendre en compte l'effet de ces tourbillons dans l'évolution de l'océan, de la banquise et des écosystèmes. »

L'avenir des quatre millions d'habitants de l'Arctique

Comment vont s'adapter les quatre millions d'habitants des régions arctiques ? Les sciences humaines et sociales sont parties intégrantes du projet CLIMArcTIC. Des chercheuses et chercheurs en sciences politiques, droit, anthropologie et géopolitique étudient les modes de vie des Inuits du Groenland et du Canada, des Américains d'Alaska, des Norvégiens, des Suédois et des Russes du grand Nord. « Les peuples arctiques dépendent de la banquise et des écosystèmes marins, rappelle Camille Lique. Les contextes socio-économiques étant très différents, ces peuples n'ont pas les mêmes armes pour s'adapter à un changement très fort de leur environnement. »

Le mouvement de la banquise suivi par satellite

Fanny Ardhuin, responsable de l'équipe Satellites et interfaces air-mer (SIAM) au LOPS, observe sur le long terme la glace de mer, sa dérive et sa lisière, depuis l'espace. Son équipe est spécialisée dans l'observation de la surface de l'océan via des satellites internationaux, des vents de surface aux vagues en passant par la température de la mer et les glaces en mer que sont les glaces de mer ou banquise et les icebergs. « Des capteurs permettent d'obtenir plusieurs types d'informations sur la banquise, notamment l'âge de la glace, la proportion d'eau gelée sur une surface et l'étendue de la banquise, qui est un indicateur très suivi de la fonte récente. » Plusieurs données satellitaires sont combinées astucieusement pour obtenir des cartes, à forte valeur ajoutée, des déplacements de la banquise.

Les observations par satellites permettent le suivi sur près de 30 ans des paramètres et l’estimation de tendances interannuelles et à long terme de la fonte des glaces en Arctique.

Fanny Ardhuin
LOPS | Responsable de l'équipe Satellites et Interfaces Air-Mer (SIAM)

L'intérêt de certains capteurs est leur capacité à scruter l'océan, même sous les nuages et pendant la nuit polaire. En qualifiant les données de différents capteurs, nous constituons des longues séries de données continues et homogènes Ils permettent ainsi un suivi quotidien toute l'année, leur résolution spatiale étant de 12 à 60 km. « Les séries de données que nous réalisons, dont les premières remontent à 1992, sont mises à disposition de la communauté scientifique internationale, notamment via les projets de bases de données Européennes de Copernicus CMEMS, INTAROS et les sites français CERSAT et ODATIS », poursuit Fanny Ardhuin. Ces recherches servent notamment à estimer le volume de flux de glace de mer qui sort annuellement de l'océan Arctique via le détroit de Fram, entre le Groënland et le Svalbard sur plusieurs hivers consécutifs.
En 2023 commence le projet CNES 4SICI pour trois ans visant à explorer les possibilités offertes par l’utilisation conjointe de deux capteurs (SWIM et RSCAT) embarqués par le satellite franco-chinois CFOSAT quant à la caractérisation des surfaces gelées, notamment la séparation des glaces de mer jeunes et pérennes et la caractérisation des icebergs.

Les nouvelles interactions entre l'air et l'océan

Peter Sutherland, également chercheur au LOPS, étudie les interactions entre l'air et la glace, grâce à la télédétection et à des campagnes sur le terrain. Il coordonne le projet européen WAAXT3 , pour lequel il a obtenu une bourse du Conseil européen de la recherche (ERC). Dans l'océan Arctique, progressivement libéré des glaces, il veut comprendre les nouveaux échanges d'énergie entre l'air et la mer.

Des processus à petite échelle ont le potentiel d'entraîner des rétroactions à grande échelle.

Peter Sutherland
LOPS | Chercheur
Coordinateur du projet WAAXT

Petit à petit, les vagues de surface jouent un nouveau rôle dans cette région du monde. Les mouvements des déferlantes modifient la turbulence à l'océan et la formation de la banquise. Les ruptures physique de la glace de mer étant plus fréquentes, les flux air-mer diffèrent, ce qui modifie en retour la fonte de la banquise.

La turbulence de l'océan sous la couche de glace

Le projet WAAXT va permettre de comprendre ces processus physiques, à petites échelles, qui peuvent entraîner des mécanismes de rétroaction à grande échelle. Par exemple, la turbulence engendrée par les vagues empêche, en hiver, la formation d'une couche de glace, qui isole l'atmosphère de l'océan. Cela signifie qu'une plus grande quantité de chaleur passe de l'océan à l'air. Près de la surface, l'océan se refroidit alors davantage que si la glace était présente. Lorsque celle-ci se forme enfin, le processus est alors plus rapide et la glace plus épaisse. C'est une rétroaction négative.

La banquise est moins importante, le vent mélange davantage l'océan, la tendance est à l'accélération des courants et des tourbillons.

Camille Lique
Ifremer | Physicienne de l'océan

A contrario, plus de vagues signifie une turbulence plus énergique dans la partie supérieure de l'océan. Cette turbulence pourrait entraîner l'eau des profondeurs intermédiaires, souvent plus chaude, vers la surface. Cette remontée provoquerait alors un réchauffement en surface, donc moins de banquise. Cette rétroaction est positive. Quelle sera la somme globale de tous les mécanismes de rétroaction ? Les connaissances acquises dans le cadre du programme WAAXT vont permettre cette meilleure compréhension, essentielle, du système atmosphère-glace-océan modulé par les vagues.

Même si l'Arctique nous semble éloigné, sa compréhension est importante pour notre avenir. « Les écosystèmes et le climat global sont connectés par les circulations atmosphériques et océaniques, explique Camille Lique. Ce qui se passe dans le grand Nord a des impacts à nos latitudes sur les tempêtes, leur nombre et leur intensité. Tout est relié, jusqu'aux moussons en Inde et en Chine. Le système Terre est global ».

Notes

  • 1CLIMArcTIC : From regional to global impacts of climate change in the Arctic : an interdisciplinary perspective.
  • 2LOPS : Laboratoire d'océanographie physique et spatiale (UBO-CNRS-IRD-Ifremer).
  • 3ERC WAXXT : Wave-modulated Arctic Air-sea eXchanges and Turbulence.