Vagues de chaleur : liées au changement climatique, elles perturbent la biodiversité

L’eau des océans connaît une hausse des températures et une acidification. Ces phénomènes globaux donnent lieu, localement et ponctuellement, à des événements extrêmes : vagues de chaleur, manque d’oxygène, efflorescence de phytoplancton nuisible, etc. L’Ifremer étudie ces crises et leurs conséquences sur la biodiversité et les filières des produits de la mer.

Quels événements extrêmes se forment sous l’effet du changement climatique ?

Le changement climatique induit une tendance globale au réchauffement des eaux marines et à leur acidification. Ces changements peuvent aussi apparaître de manière plus marquée, localement et pendant quelques jours ou semaines, principalement en été. On parle de vague de chaleur marine lorsque la température de surface de l’eau de mer est plus élevée, pendant plus de cinq jours, que 90 % des températures à la même période, comparé aux 30 années précédentes. Ces vagues de chaleur sont de plus en plus fréquentes et intenses (c’est-à-dire, avec des anomalies de température plus élevées).

Ces vagues de chaleur marines ont des effets directs sur la biodiversité. Elles ont aussi des effets indirects, en perturbant les équilibres chimiques des écosystèmes. Par exemple, l’augmentation de température diminue la capacité de l’eau à solubiliser les gaz. Lorsque l’eau est chaude et qu’il n’y a pas de vent, l’oxygène se dissout moins, favorisant l’apparition de crises (sidenote: Anoxie Manque d’oxygène. Ce phénomène peut concerner tous les écosystèmes aquatiques. ) , notamment dans les lieux semi-fermés comme les lagunes méditerranéennes. Or, c’est en période de chaleur qu’il y a un fort (sidenote: Métabolisme Il correspond à l’ensemble des réactions chimiques qui se produisent dans un être vivant, pour sa digestion, sa respiration, sa reproduction… ) des organismes vivants (efflorescence de phytoplancton, reproduction des huîtres et des poissons...) et donc une forte consommation de l’oxygène dissous par le vivant dans l’eau.

Les altérations du cycle de l’eau modifient aussi la salinité de l’eau, selon le régime des pluies, ou limitent la dissolution dans l’eau du CO2 atmosphérique.

Quels impacts de ces événements sur la biodiversité ?

L’impact des vagues de chaleur sur le phytoplancton

La chaleur modifie le métabolisme des microalgues qui composent le phytoplancton. Certaines vagues de chaleur provoquent par exemple raréfactions ou proliférations de microalgues, ou modifient la composition des communautés présentes.

L’impact des événements extrêmes sur les poissons

Ces animaux sont particulièrement sensibles aux variations de l’environnement. Les conditions environnementales peuvent modifier le comportement et la physiologie des poissons (croissance, alimentation, maturité sexuelle, reproduction…). 

Les années de canicule, on observe chez les poissons des niveaux de stress beaucoup plus importants.

Christophe Lebigre
Ifremer | Chercheur en écophysiologie et halieutique

Depuis 2017, Christophe Lebigre pêche des bars dans la Loire, la Gironde, la Seine, la baie de Douarnenez et dans la ria du Conquet, un fleuve côtier près de Brest. Les premiers résultats indiquent un lien entre les canicules et le cortisol, une hormone indicatrice de stress, dans les écailles de poissons l’année suivante. En revanche, les forts apports d’eau douce lors de crues ne semblent pas générer de stress notable. Les scientifiques poursuivent leurs travaux pour disposer de séries temporelles plus longues et comprendre plus précisément si ce stress est causé par la chaleur, la diminution de l’oxygène, l’augmentation de salinité… ou une combinaison de ces facteurs. 

L’Ifremer mène aussi des expériences en bassins sur le site expérimental de Plouzané, particulièrement sur le bar, un poisson d’intérêt commercial et dont la physiologie est bien connue des scientifiques. Les scientifiques exposent les poissons à des conditions de température, de pH ou d’oxygène attendues dans les futures décennies.

On pensait le bar peu sensible à l’acidification, mais en réalité une légère baisse de pH suffit à modifier son comportement, sa croissance, la qualité de ses œufs.

Arianna Servili
Ifremer | Chercheuse en physiologie des poissons

La croissance des poissons apparaît affectée, notamment du fait d’une nourriture moins riche, en cas de chaleur et de diminution d’oxygène.

L’acidification, même temporaire, cause un décalage d’un mois plus tôt de la première ponte des bars, et beaucoup d’œufs sont de moindre qualité. Ces mêmes poissons continuent à vivre dans une eau acidifiée, la deuxième année leur ponte n’arrivera qu’une quinzaine de jours en avance, avec des œufs de meilleure qualité. Cette adaptation à la température semble se transmettre à leurs descendants : lorsqu’un bar est exposé à l’acidification, la génération suivante fera mieux face à ce stress.

Les bars au stade larvaire, c’est-à-dire dans les quelques semaines après leur éclosion, sont souvent plus sensibles car leur développement n’est pas terminé. Ainsi, chez de jeunes bars exposés à des températures plus élevées, leur sexe peut être modifié (des mâles qui développent des organes de femelles par exemple), et ce de manière durable même après un retour à des conditions optimales.

L’institut s’intéresse aussi à la génétique des bars, pour identifier et favoriser, par des croisements (sans manipulation du génome), des individus plus susceptibles de s’adapter au changement climatique. Les scientifiques soumettent à des vagues de chaleur, dans le respect de la réglementation, des bars issues de plusieurs régions du monde : Turquie, Égypte, Atlantique. Ils mesurent ainsi les effets des vagues de chaleur sur le poids, la croissance, la consommation d’oxygène de ces différentes familles de bars.

Les conséquences des vagues de chaleur sur les coquillages

L’Ifremer s’intéresse de près aux conséquences des vagues de chaleur sur l’huître creuse Crassostrea gigas, une espèce commerciale et un modèle dont la physiologie est bien connue. Son étude permet de mettre en évidence des mécanismes transposables à d’autres coquillages à la biologie moins bien connue. 

Le réseau ECOSCOPA, qui suit depuis 30 ans la croissance et la mortalité de lots d’huîtres sentinelles (depuis 2011, des lots homogènes sont produits par le même pool de géniteurs) sur le littoral français, de la Normandie à la Méditerranée, observe entre autres, les effets de l’augmentation de la température de l’eau de mer sur les huîtres. Les huîtres sont aussi étudiées en milieu contrôlé dans les bassins expérimentaux de l’institut : les scientifiques analysent les impacts des vagues de chaleur à différentes échelles de l’huître (de la molécule jusqu’aux individus) selon différents scénarios d'exposition.

On sait ainsi, grâce aux séries d’observation de long terme, que le changement climatique perturbe la reproduction des huîtres. Il crée un décalage de la date de ponte et peut désynchroniser les pontes dans certains cas, perturbant l’organisation des professionnels pour collecter le (sidenote: Naissain Embryons et larves de coquillages (huîtres, moules…). Pour la conchyliculture, il peut être obtenu par reproduction en écloserie, ou par un captage dans la mer. ) en mer. Sur le long terme, l’acidification causée par le changement climatique perturbe aussi la formation des coquilles, car la chimie du calcaire est déséquilibrée. De plus, les modifications du phytoplancton ont des répercussions : lorsque les larves d’huîtres se développent, elles ne trouveront peut-être pas les microalgues qu’elles consomment d’ordinaire, parce que leur phase de bloom est décalée dans le temps, ou que d’autres espèces de microalgues ont pris le dessus.  

Les lagunes du littoral méditerranéen sont particulièrement sensibles

Les lagunes sont des étendues d’eau côtières, peu profondes. Ce sont des milieux semi-ouverts : elles sont séparées physiquement de la mer mais y restent connectées de manière permanente ou intermittente. Leur température et salinité sont plus variables que celles de la mer, et elles présentent une biodiversité particulière. Les lagunes sont aussi des lieux importants pour les activités humaines. La lagune de Thau, par exemple, accueille 10 % de la production française d’huîtres.

Leur petite étendue (155 km² pour celle de Berre, la plus grande du littoral méditerranéen) en fait des lieux particulièrement sensibles aux perturbations. Le phénomène le plus marquant pour les lagunes est la présence de phénomènes extrêmes pouvant conduire à des bouleversements écologiques : des pics de température, une alternance d’aridité et de pluies violentes et des crises (sidenote: Anoxie Manque d’oxygène. Ce phénomène peut concerner tous les écosystèmes aquatiques. ) . La baisse des précipitations et l’évaporation liée à la chaleur peuvent aussi créer une augmentation chronique de la salinité de l’eau. Là où la salinité est d’environ 38 g/kg d’eau de mer en Méditerranée, elle peut, en cas de chaleur, s’élever à 40, voire 42 g/kg d’eau en lagunes. 

Dans la lagune de Thau, les phénomènes sont amplifiés. On peut s’attendre à ce que les pics de chaleur se généralisent à la façade Atlantique.

Elodie Fleury
Ifremer | Chercheuse en écophysiologie
Coordinatrice du réseau ECOSCOPA

Ces épisodes, bien que brefs dans le temps, représentent un stress important pour les écosystèmes. Après de telles crises, deux scénarios sont possibles : soit l’écosystème retrouve son équilibre antérieur, soit l’équilibre est modifié et l’écosystème fonctionne selon un nouveau régime.

2018-2019 : une microalgue de taille micrométrique a envahi la lagune de Thau

L’année 2018 a connu une prolifération brutale de la microalgue Picochlorum dans la lagune de Thau (près de Montpellier), l’une des plus grandes du littoral méditerranéen. Une microalgue jusque-là inconnue à Thau ! Le contexte météorologique de 2018 était exceptionnel, marqué par un été très chaud et une pluviométrie importante le reste de l’année, donc de forts apports nutritifs via les cours d’eau. Ces apports nutritifs associés à la vague de chaleur estivale ont créé les conditions d’une (sidenote: Anoxie Manque d’oxygène. Ce phénomène peut concerner tous les écosystèmes aquatiques. ) dans l’eau de la lagune ! Cette anoxie a mené à la perte de 100% des élevages de moules et 30% des élevages d’huîtres. Ensuite, par une cascade d’effets, l’efflorescence algale hivernale de Picochlorum a conduit à l’amaigrissement des huîtres, incapables de digérer cette microalgue. Depuis, l’écosystème semble revenu à son état d’origine avec une productivité remarquable. L’Ifremer a travaillé, avec une entreprise locale, à la mise au point d’un outil de diagnostic rapide, qui permet de détecter rapidement la présence de Picochlorum si le scénario météorologique et hydrologique de 2018 et 2019 revenait.

La « malaïgue », quand l’eau de la lagune devient blanche

Dans un milieu peu agité par les courants comme la lagune de Thau, la chaleur estivale en surface crée une stratification : les eaux chaudes restent en surface et ne se mélangent plus avec les eaux plus froides du fond. Ainsi, l’oxygène disponible en surface n’atteint plus le fond. Ce manque d’oxygène déclenche la "malaïgue" ("mauvaises eaux" en occitan) : une eau blanche qui sent l’œuf pourri. L’assainissement de la lagune, très chargée en nitrates et phosphates jusque dans les années 70-90, a permis de réduire l’intensité du phénomène. Mais l’augmentation de température sous l’effet du changement climatique peut favoriser une plus grande fréquence et/ou intensité du phénomène. L’Ifremer travaille à la compréhension de ce phénomène de malaïgue, notamment en analysant la dynamique des éléments chimiques en jeu : oxygène, température de l’eau, phosphore… Pour quantifier les effets du changement climatique dans les lagunes, l’institut déploie depuis 2022 un observatoire, basé sur 21 stations de mesure, de la frontière espagnole jusqu’au sud de la Corse.

Un augmentation de 1 °C multiplie par trois le risque de malaïgue.

Valérie Derolez
Ifremer | Chercheuse en écologie

Les herbes marines

Les (sidenote: Herbes marines Ces plantes marines ne sont pas des algues : ce sont des plantes à fleurs ! Elles forment des forêts sous-marines riches en biodiversité. Les plus connues sont les posidonies (principalement en méditerranée) et les zostères (Atlantique et Méditerranée). ) sont reconnus pour abriter une grande biodiversité. Ces « forêts sous-marines », constituées de plantes à fleurs, sont productrices d’oxygène, captent du CO2 et jouent ainsi un rôle important dans le piégeage du carbone. 
Les herbes marines sont capables de s’adapter, dans une certaine mesure : la taille de leurs feuilles augmente ou se réduit, la production des fleurs arrive plus tôt dans l’année (comme pour les plantes à fleurs terrestres), ou encore elles stockent plus dans leur rhizome, qui est la partie souterraine qui leur sert de réserve énergétique et de mode de reproduction. 
L’étude de ces plantes sous-marines reste récente. L’Ifremer souhaite poursuivre pour comprendre les mécanismes de réponse de ces plantes aux vagues de chaleur pour mieux en anticiper les effets. La modification de la morphologie des plantes (feuilles plus courtes) et de la distribution des herbiers (régression, remplacement d’espèce) aura des conséquences sur tout l’écosystème que ces plantes abritent. 

Accompagner la filière conchylicole

L’Ifremer explore des solutions pour les conchyliculteurs. Dans la lagune de Thau, historiquement, les conseils de l’institut ont conduit les professionnels à diminuer la densité des huîtres dans les élevages, et à éloigner les tables ostréicoles du bord de la lagune, ou encore à mettre en évidence l’impact positif de la présence d’ (sidenote: Herbes marines Ces plantes marines ne sont pas des algues : ce sont des plantes à fleurs ! Elles forment des forêts sous-marines riches en biodiversité. Les plus connues sont les posidonies (principalement en méditerranée) et les zostères (Atlantique et Méditerranée). ) pour favoriser les niveaux d’oxygène dans l’eau environnant les élevages de coquillages.

Les recherches portent aussi sur une souche d’huître locale, c’est-à-dire native de Méditerranée, qui pourrait avoir une meilleure tolérance aux conditions méditerranéennes que les souches atlantiques actuellement mises en élevage.

L’Ifremer accompagne aussi l’innovation pour la filière ostréicole. Par exemple, l’institut collabore avec la startup Seaducer qui développe un dispositif innovant pour produire des huîtres et diminuer les mortalités, dans un environnement changeant sous l’effet du changement climatique. L’institut accompagne les essais pour produire des connaissances scientifiquement robustes.