Prévenir la contamination des huîtres par les norovirus est-il possible ?
4 questions à Soizick Le Guyader, chercheure en virologie et responsable du Laboratoire Santé, Environnement et Microbiologie de l’Ifremer, Laboratoire National de Référence pour la microbiologie des coquillages.
C’est quoi un norovirus ?
C’est l’un des habituels « virus de l’hiver ». Le norovirus, ou plutôt les norovirus, constituent la principale cause de gastro-entérites aigües chez l’Homme. Ce sont de petits virus à ARN non enveloppés très contagieux qui se transmettent principalement d’une personne à l’autre ou en portant la main à la bouche après contact avec des surfaces contaminées. Ingérer 10 à 100 particules virales peut suffire à être infecté. Mais l’infection peut également se faire par la consommation d’aliments ou de boissons contaminés. Cela peut conduire à des toxi-infections alimentaires collectives (TIAC), qui font l’objet d’une surveillance par les agences régionales de santé (ARS).
Comment les norovirus contaminent-ils parfois les coquillages ?
Lorsque qu’une personne est infectée, des norovirus sont excrétés dans ses selles et se retrouvent dans le circuit des eaux usées. Incapables de se multiplier hors de leur hôte humain, ces particules virales sont en revanche très résistantes, y compris aux traitements classiques des stations d’épuration, et nous pouvons encore les retrouver dans les eaux traitées en aval des stations. Aussi, lors d’épisodes de fortes pluies, il arrive que les réseaux d’eaux soient saturés et débordent, le surplus se déversant alors en mer. En cas d’épidémies hivernales de gastro-entérites, de très grandes quantités de particules de norovirus peuvent alors se retrouver dans le milieu marin et ainsi en contact avec les coquillages élevés en zone littorale.
Il est important de préciser que les coquillages ne sont pas malades pour autant ; le virus ne peut pas s’y multiplier. Mais ces animaux filtreurs, comme les huîtres qui sont capables d’absorber jusqu’à 5 litres d’eau par heure, accumulent les particules virales. Consommer des huîtres contaminées a donc de fortes de chances de rendre malade, considérant la faible dose infectieuse de ces virus.
C’est une contamination rapide qui résiste malheureusement aux pratiques habituelles de purification mises en place par les ostréiculteurs, en France et dans d’autres pays, que ces pratiques soient volontaires ou imposées par la réglementation. Depuis plusieurs années, les scientifiques et les conchyliculteurs travaillent ensemble pour développer des solutions pour mieux détecter et éviter les contaminations qui affectent la qualité des coquillages et fragilisent les exploitations conchylicoles.
Quelles sont les mesures mises en place pour éviter la contamination des huîtres et donc de leurs consommateurs ?
Ces dernières années, des efforts importants ont été fait par les collectivités pour limiter les rejets d’eaux usées sur le littoral mais les conditions climatiques peuvent compliquer cette tâche. L’Ifremer opère depuis 1989 le réseau de surveillance REMI, pour « REseau de Contrôle MIcrobiologique », pour répondre à la réglementation européenne. Ce réseau est basé sur le suivi régulier d’un indicateur bactérien de contamination fécale (Escherichia coli), dans les coquillages de zones de production exploitées par les professionnels et classées par l’Administration. Si le taux d’Escherichia coli se révèle supérieur au seuil maximal, le REMI prévient les autorités compétentes. Si la contamination est confirmée sur une zone d’élevage conchylicole, la préfecture peut déclarer une interdiction de vente et de pêche des coquillages jusqu’à ce que le risque soit levé.
Aujourd’hui, les norovirus ne sont pas surveillés dans le milieu marin de façon réglementaire. Des prélèvements dédiés à la recherche de norovirus sont réalisés uniquement si les directions départementales de la protection des populations (DDPP) et des territoires et de la mer (DDTM) sont alertées par l’ARS elle-même alertée par les déclarations de TIAC des médecins. Mais pour cela, il faut que les personnes, qu’une consommation de coquillages aurait rendu malades, aillent chez leur médecin. Faute de système de surveillance préventif fiable, les mesures de protection sont prises par les autorités en réaction à un problème sanitaire déjà avéré : retrait des lots contaminés mis sur le marché et fermeture de la zone pendant 28 jours.
Des pistes existent-elles pour mieux prévenir la contamination par les norovirus ?
D’autres indicateurs qu’Escherichia coli sont utilisés en complément dans la réglementation d’autres pays. Aux Etats-Unis, les gestionnaires traquent la présence des bactériophages – des virus infectant les bactéries – pour suivre la contamination de lots de coquillages. Cependant, la corrélation entre la présence de ces phages et de norovirus s’est montrée variable selon les études et les régions du monde : cette variabilité souligne les limites posées par l’utilisation d’un indicateur qui se substitue à la recherche de l’agent pathogène lui-même. Plusieurs conchyliculteurs ont choisi d’expérimenter cet indicateur bactériophage cet hiver 2024-2025 pour évaluer sa pertinence dans les conditions des zones d’exploitation françaises.
Anticiper l’émergence de nouveaux virus représente un des enjeux scientifiques étudiés par l’Ifremer. Un suivi des norovirus ou d’autres agents pathogènes pour l’Homme dans les eaux usées est ainsi à l’étude (projet Obépine+) : il est calqué sur l’expérience du réseau Obépine mis en place en 2020 pour suivre l’épidémie de SARS-CoV2. En cas d’alerte, les coquillages pourraient être sortis de l’eau et conservés dans des bassins d’eau de mer ultrafiltrée – voire réchauffée – jusqu’à ce qu’ils soient exempts de particules virales et consommables sans risque. Encore faut-il que les professionnels disposent de moyens de stockage adaptés.
Nous devons également améliorer notre connaissance des norovirus en termes de persistance dans le milieu, depuis les eaux usées jusqu’aux coquillages. Nous avons récemment montré, par exemple, que ces virus peuvent rester infectieux pendant 3 à 4 semaines dans l’eau de mer. Des travaux sont en cours pour évaluer leur persistance dans les huîtres. Cette meilleure connaissance nous aidera pour élaborer des systèmes d’alerte précoce permettant aux professionnels de sauvegarder leurs coquillages et pour préconiser les meilleurs conseils de gestion, notamment en termes de durées de fermeture de zones conchylicoles et de purification des coquillages.