Doit-on fermer des zones à la pêche aux arts traînants pour protéger efficacement les écosystèmes des fonds marins ?
On vous parle ici régulièrement de l’objectif d’une pêche plus durable. Eh bien pour tendre vers une pêche plus durable, il faut relever un défi de taille : réussir à concilier pêche de fond et préservation des écosystèmes marins. Ce défi stimule de nombreux travaux de recherche à l’Ifremer alors on vous propose de débroussailler le sujet avec une scientifique pour qui tout cela est bien plus clair, de manière à avoir en tête les points clés et les principaux constats scientifiques. De quoi fonder nos réflexions sur de bonnes bases.
Pour y voir plus clair, nous avons posé 3 questions à Sandrine Vaz, chercheure en écologie marine à l’Ifremer.
Existe-t-il en France des zones aujourd’hui fermées à la pêche de fond ?
Le chalutage de fond est interdit au-delà de 1000 mètres en Méditerranée depuis 2010 et au-delà de 800 mètres dans les eaux européennes de l’Atlantique depuis 2016. De plus, en octobre dernier, l’Union européenne a interdit de pêcher en-dessous de 400 mètres avec tous types d’engins ayant un contact avec le fond (chaluts de fond, dragues, filets maillants de fond, palangres de fond, casiers et pièges) dans certaines zones qualifiées de « sensibles ». Ces 87 zones connues pour leurs écosystèmes vulnérables couvrent près de 16 500 km2 au large du Portugal, de l'Espagne, de la France et de l'Irlande. Elles abritent des colonies d’éponges, des stylos de mer, des requins, des poulpes à oreilles, des coraux d'eau froide ainsi que des poissons à la maturité sexuelle très tardive. En dehors de ces zones et au-dessus de 800 m, la pêche aux engins de fond est autorisée dans l’ensemble des eaux européennes, y compris dans les aires marines protégées. Moins de 1 % des zones métropolitaines classées comme « aires marines protégées » sont actuellement concernées par une protection forte qui implique des restrictions de pêche. Dans la zone côtière, le chalutage est interdit dans la bande des 3 milles marins. De nombreuses dérogations saisonnières locales sont néanmoins accordées pour certains métiers et le dragage de coquillages y est généralement autorisé.
Peut-on protéger les fonds marins sans interdire durablement la pêche de fond ?
Tout dépend de l’objectif de cette protection. Souhaite-on protéger un écosystème pour le « restaurer » ou pour le « conserver » ? La restauration consiste à favoriser la régénération d’écosystèmes dégradés. Pour restaurer des écosystèmes très impactés par la pêche de fond, il conviendra de diminuer suffisamment la pression de chaque type d’engin (en termes de fréquence et de surface balayée) pour atteindre et maintenir leur bon état écologique, sans nécessairement fermer totalement la zone à la pêche de fond. Une pression de pêche faible à modérée permettrait aux communautés d’espèces qui ont un cycle de vie court, naturellement adaptées à des milieux très perturbés (houle, courants, sédiments très mobiles), de recoloniser un milieu au bout de quelques semaines.
En revanche, pour les communautés d’espèces sensibles, comme par exemple les coraux d’eau froide qui vivent dans les profondeurs calmes et pauvres en nourriture et ont un cycle de vie très long (de plusieurs siècles), le plus petit impact aboutira à leur destruction durable. Pour ces espèces moins résilientes et se trouvant dans des écosystèmes encore intacts, l’objectif doit tendre vers la conservation. Dans ce cas, seule une interdiction durable voire définitive de la pêche de fond permettra de les préserver. Mais avant de fermer une zone à la pêche, il importe de mesurer toutes les conséquences de cette décision. Il faut en particulier anticiper le déplacement probable de l’effort de pêche vers une autre zone qui pourrait être à son tour plus impactée, et les risques de nouveaux conflits d’usage ou d’une consommation accrue de carburant. Pour limiter ces risques, la fermeture pourrait ainsi être assortie d’une réduction de l’effort de pêche équivalente à celui de la zone fermée.
Sur quels espaces serait-il le plus pertinent de renforcer les mesures de protection et de réduire les activités humaines, pêche de fond comprise ?
Prenons l’exemple des aires marines protégées françaises. D’ici 2030, 10 % de leur superficie seront soumises à un régime de protection forte. Réserver ces 10 % aux seules terres australes et antarctiques françaises ou autres zones peu pêchées serait certes plus simple à mettre en place. Cela permettrait certainement d’empêcher, à titre préventif, l’exploitation de ces espaces encore vierges, mais cela n’aurait que très peu d’intérêt pour limiter l’érosion actuelle de la biodiversité dans les zones exploitées. Dans l’idéal, la communauté scientifique préconise que les sites choisis soient représentatifs de la diversité des habitats marins, depuis les « hotspots » très riches à des habitats plus communs mais essentiels à la vie des espèces exploitées. Idéalement, elles pourraient être choisies pour prendre la forme d’un réseau cohérent et connecté qui favoriserait la résistance des espèces dans le contexte due dérèglement climatique.
Comment concilier la protection de la biodiversité et l’exploitation par pêche ?
Nous devons considérer plus étroitement les enjeux de « protection de la biodiversité marine » et de « durabilité des pêches ». Ainsi, des fermetures saisonnières des pêches sur des frayères ou des nourriceries d’espèces exploitées, qui sont des zones halieutiques essentielles, sont parfois préconisées pour permettre une exploitation plus durable de ces ressources. Ce type de régulation n’est que rarement lié à des enjeux de protection de la biodiversité des fonds à l’heure actuelle. Nous aurions pourtant beaucoup à gagner à mieux concilier ces deux enjeux.
Quoi qu’il en soit, et quel que soit l’objectif, protection de la biodiversité ou durabilité des pêches, de telles mesures restrictives doivent être impérativement co-construites avec toutes les parties prenantes pour être comprises et acceptées de tous et garantir ainsi leur succès.