Quand le climat fait des vagues en Arctique…
Depuis la fin des années 1970, la banquise - qui figeait autrefois tout le paysage dans la glace - réduit en surface et s’affine alors que l’océan « libre » s’étend et génère un champ de vagues plus intense. Comment ce déferlement plus important de vagues impacte la banquise ? A-t-il des conséquences sur la formation de la glace et sur sa distribution spatiale ? C’est sur ces questions que planchent une équipe de chercheurs du Laboratoire d’Océanographie Physique et Spatiale (LOPS) de l’Ifremer.
Une campagne à la lisière de l’eau et de la glace
Embarqués à bord de la campagne océanographique Dark Edge, une quarantaine de scientifiques canadiens, américains et français ont observé la période de formation de la glace, du 7 octobre au 3 novembre 2021, sur le plan de la biologie, de la chimie et de la physique. L’équipe du LOPS et leurs collaborateurs à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR) ont étudié les processus physiques à l’œuvre sur cette frontière mouvante glace-eau libre… Une mission inscrite dans le cadre du projet WAAXT (Wave-modulated Arctic Air-sea eXchanges and Turbulence) financé pour une durée de 5 ans par une bourse jeune chercheur du Conseil européen de la recherche (ERC) décrochée par Peter Sutherland, porteur du projet.
Mesures tous azimuts
« L’originalité de cette expérience repose sur sa capacité à prendre en compte simultanément un large spectre de paramètres tout au long d’un périple itinérant de 4 semaines de Cambridge Bay (Victoria Island) à Québec. Parmi les différents processus physiques passés au crible : la distribution spatiale et la variabilité de l’épaisseur de la glace, la hauteur, la puissance et les effets des vagues sur la banquise, la température de l’eau, la force du vent, les turbulences et courants observés ».
Catamaran et canoë naviguent de concert pour comprendre les changements dans l’Océan Arctique
Acquérir ces données dans un environnement extrême nécessite de faire preuve d’imagination dans la batterie d’instruments déployés. Certains ont d’ailleurs été spécifiquement conçus pour s’adapter au terrain complexe de cette mission. « Un catamaran à propulsion électrique (4 ×2,2 m) a notamment été spécialement équipé par le Service Technique d’Observation in Situ (TOIS) de l’Ifremer avec pour objectif d’évaluer les turbulences dans les eaux en limite de la banquise mais aussi la quantité de mouvement enregistrés ou les flux de chaleur. Le recours à un canoë à glace, convoyé depuis un brise-glace, a également été expérimenté pour accéder à la glace fine et déformée que l’on rencontre dans la zone « frontière » entre eau libre et glace » détaille Peter Sutherland. L’embarcation a par ailleurs été très utile pour déployer tout un réseau de bouées sur de la glace nouvellement formée ou plus ancienne avec pour vocation de faire remonter des données sur l’eau, le vent, les vagues et leur action sur la banquise. Enfin, pour disposer d’une vision « panoramique » de la situation, des drones (UAVs) ont parallèlement été mis à contribution. Leur rôle : cartographier la couverture, la position, la morphologie, et le type de glace et de turbulence rencontrés.
Vagues-banquise : un duo aux interactions complexes
« Nos premières observations témoignent des fortes interactions entre les vagues et la banquise. Par exemple, on a pu constater que la glace pouvait diminuer l’énergie des vagues après quelques dizaines ou quelques centaines de mètres parcourus. Dans le même temps, les vagues sont capables de casser de grandes surfaces de glace d’un seul coup - juste quelques vagues suffisent. Tout cela se passe à des échelles (spatiale et temporelle) beaucoup plus petites que celles résolues par la plupart des modèles numériques qui simule cette région et permettent donc d’établir un état des lieux plus précis de ces phénomènes» Peter Sutherland, chercheur au laboratoire d’océanographie physique et spatiale de l’Ifremer et chef de mission du volet physique de la campagne océanographique Dark Edge.
Ces données doivent maintenant être décryptées et affinées par les scientifiques en laboratoire avant une prochaine campagne sur zone en 2023. A l’issue du projet WAAXT le flou entourant encore l’évolution de la banquise en Arctique devrait se dissiper.
À propos
- Chef de mission : Marcel Babin (IRL Takuvik, CNRS, Université Laval à Québec)
- Organisateurs : Achim Randelhoff, Marie-Hélène Forget (IRL Takuvik, CNRS, Université Laval à Québec)
- Navire : NGCC Amundsen
- 40 chercheurs, ingénieurs, et techniciens du Canada, de France, de la Norvège et de l’Allemagne et des Etats-Unis
- Participants LOPS : Peter Sutherland, Emma Bent, Hugo Sellet, Claudie Marec
- Collaboration en océanographie physique vagues : Dany Dumont, Paul Nicot, Éloïse Pelletier (Université du Québec à Rimouski, UQAR)
- Partenaires Dark Edge: IRL Takuvik, LOPS, LOV, IBENS, LCQB, UQAR, U. Memorial, Arctic University of Norway, NTNU, AWI
- Financements : Amundsen Science, NSERC, ERC, ArcticNet, Sentinel North