Quand la Terre respire : Comment les marées terrestres réveillent les failles sous-marines ?

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Déploiement d’un piézomètre lors de la campagne océanographique GHASS2 depuis le Pourquoi Pas ?, navire de la Flotte océanographique française, opérée par l’Ifremer et sa filiale Genavir.

Déploiement d’un piézomètre lors de la campagne océanographique GHASS2 depuis le Pourquoi Pas ?, navire de la Flotte océanographique française, opérée par l’Ifremer et sa filiale Genavir.

Une étude récente de l’Ifremer révèle que les marées terrestres, causées par l’attraction gravitationnelle de la Lune et du Soleil, peuvent réactiver des failles sous-marines. Cette réactivation pourrait non seulement déclencher d’importantes émissions de méthane, puissant gaz à effet de serre, dans l’océan puis l’atmosphère, mais aussi influencer la sismicité des failles. Cette découverte pourrait donc transformer notre compréhension de l’origine de certains tremblements de terre.

Les marées terrestres sont de lents mouvements de la croûte terrestre qui résultent, comme les marées océaniques, de l'attraction de la lune et du soleil. Une étude de l’Ifremer, publiée dans Journal of Geophysical Research: Solid Earth montre que ces marées terrestres pourraient influencer le comportement des failles sous-marines et impacter la pression des fluides emprisonnés dans les couches sédimentaires le long de ces failles.

42 jours de campagne en mer Noire

Une faille sismique est une surface de rupture entre deux blocs rocheux ou sédimentaires le long de laquelle se produisent des mouvements lents ou rapides pouvant induire un séisme.

Dans le cadre du projet ANR Blame et du projet européen DOORS, une équipe de chercheurs de l’Ifremer a voulu comprendre comment les failles s’activent en étudiant une partie de la marge roumaine en mer Noire. En 2021, ils ont ainsi embarqué à bord du Pourquoi pas ?, navire de la Flotte océanographique française, opérée par l’Ifremer et sa filiale d’armement Genavir, dans le cadre de la campagne Ghass2. 

Retour sur la campagne GHASS2 avec le youtubeur Melvak

Les scientifiques ont installé des capteurs, plus précisément des piézomètres développés par l’Ifremer, pour mesurer les variations de température et de pression dans les premiers mètres des sédiments sous-marins sur deux failles distantes de 790 mètres. Ce monitoring s’est déroulé sur deux périodes : une première de quinze jours en septembre 2021 pendant la campagne Ghass 2 et une seconde entre octobre 2021 et mai 2023. A la fin de la campagne, les scientifiques ont en effet décidé de laisser les piézomètres sur les 2 sites les plus intéressants pour les surveiller pendant 18 mois. 

Pendant la première période d’observation, les variations anormales de température et de pression des fluides sous-marins suggéraient qu’une activité de dégazage de méthane était en cours sur les deux failles, et qu’elle était parfaitement synchronisée avec les cycles des marées terrestres – dont la période est d’environ 12 heures. 

La déformation de la lithosphère, due à la marée terrestre, combinée à la pression des fluides, augmente la pression le long de la faille jusqu’à un seuil critique. Une fois ce seuil dépassé, la faille se réactive, provoquant la libération d’une partie du gaz, ici du méthane.

Vincent Riboulot
Géologue marin à l’Ifremer
Second auteur de l’étude

Pourtant, lors de la seconde période d’observation, plus longue, les chercheurs n’ont trouvé aucune trace de cette interaction. Pourquoi un tel contraste ? 

Quand la pression des fluides à l’intérieur de la faille est forte comme lors de la première période d’étude, une augmentation légère de la pression, induite par les marées terrestres, peut suffire à réactiver la faille et provoquer la libération des gaz dans la colonne d’eau. A l’inverse, si la pression est faible car le processus de recharge des fluides n’est pas terminé, la faille est moins sensible aux marées terrestres.

L’échappement de gaz lors la première période d’observation sur le site d’étude, a entrainé une baisse de pression. La faille est alors devenue insensible aux marées, ce qui explique que nous n’ayons pas observé de dégazage lors de la seconde période.

Vincent Riboulot
Géologue marin à l’Ifremer
Second auteur de l’étude

Une nouvelle piste pour surveiller les séismes

Ces découvertes ne concernent pas seulement les failles de la mer Noire : elles pourraient transformer notre compréhension de certains tremblements de terre partout sur la planète. En identifiant le rôle des surpressions de fluides dans la réactivation des failles, cette étude ouvre de nouvelles pistes pour surveiller les risques sismiques et pour mieux suivre les émissions de méthane, puissant gaz à effet de serre qui peut influencer le réchauffement climatique s’il passe de la colonne d’eau à l’atmosphère. 

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