Naissance du volcan sous-marin de Mayotte : la plus grande éruption sous marine jamais documentée
Étude dirigée par des scientifiques de l’IPGP, de l’Ifremer, du CNRS et du BRGM
Publiée le 26 août dans la revue Nature Geoscience, cette étude présente l’analyse et l’interprétation de données géophysiques et géochimiques acquises dans le cadre du programme de recherche SISMAYOTTE financé par l’État. Ce programme visait à comprendre l’origine de la crise sismique débutée en mai 2018 au large de l’île de Mayotte. Sa pierre angulaire était la mission en mer MAYOBS1 qui s’est déroulée en mai 2019 à bord du Marion Dufresne, navire de la Flotte océanographique française opérée par l'Ifremer, et qui visait à récupérer et redéployer six sismomètres fond de mer (OBS) installés 3 mois plus tôt et à acquérir des données du relief et de la nature des fonds marins (grâce notamment à un sondeur multifaisceaux et à un sondeur de sédiments) à la recherche de traces éventuelles d’activité volcanique . Cette campagne a permis la découverte d’un nouvel édifice volcanique à environ 50 km au large des côtes de Mayotte en mai 2019.
L’analyse de l’ensemble des données, sismologiques, bathymétriques, géodésiques et géochimiques récoltées par le programme dévoile un système volcanique complexe, sans analogue connu, qui s’enracine très profondément jusque sous la lithosphère en remobilisant des structures tectoniques régionales anciennes et néoformées pour émettre sur le plancher océanique un des plus important volume de lave de ces derniers siècles.
En comparant les données bathymétriques acquises en 2014 par le Service Hydrographique de la Marine Nationale et celles de MAYOBS1, les scientifiques ont estimé qu’un volume de lave de plus de 5 km3 s’était mis en place pour former le nouveau volcan. Cette éruption est de loin la plus importante des éruptions sous marines jamais documentées. Elle est comparable aux éruptions observées au niveau des principaux points chauds de la planète comme à Hawaii ou en Islande alors qu’elle ne se situe pas dans le même contexte géodynamique. La présence d’un panache acoustique et d’anomalies géochimiques dans la colonne d’eau à l’aplomb de l’édifice ont confirmé que l’éruption était en cours au sommet du volcan quand les scientifiques sont arrivés sur place.
Un nouvel édifice qui se situe à l'extrémité d'une ride volcanique
Il s’étend à l’est de l’île de Mayotte sur une longueur d’environ 50 km à l'extrémité d'une ride volcanique composée de dômes volcaniques et de coulées de laves très bien préservés, probablement mis en place au cours du Quaternaire (période géologique entre 2,5 millions d’années et aujourd’hui). Les édifices volcaniques terrestres, vieux de quelques milliers d’années, de l’île de Petite-Terre à Mayotte en font partie et certaines structures évoquent une ancienne caldeira sous- marine de 8 km de diamètre à 5-10 km des côtes à l’est de Petite-Terre.
L’étude de la sismicité, localisée précisément à l’aide des OBS, et l’analyse des données de géodésie terrestre et fond de mer ont permis aux auteurs de l’étude de proposer un modèle de stockage et de drainage magmatique lié à l’éruption.
Les séismes sont beaucoup plus profonds qu’habituellement observé en contexte volcanique et se situent sous la limite entre la croûte et le manteau terrestres (ou Moho). Ils soulignent l’existence de réservoirs et de systèmes de drainage très profonds étagés dans toute l’épaisseur de la lithosphère ce qui n’a encore jamais été observé clairement en volcanologie.
Les données de géodésie montrent un affaissement et un déplacement vers l’est de l’île de Mayotte à des vitesses exceptionnelles. Les modèles montrent que ces déformations seraient liées au vidage d’un ou de plusieurs réservoirs magmatiques très profonds dans le manteau terrestre. L’étude suggère que réservoir principal se situe près de l’île de Petite-Terre, sous la structure de caldeira ancienne. Cette structure de caldeira serait donc la plus profonde jamais documentée (55 km). Le magma aurait été drainé depuis ce réservoir principal par un filon (ou dyke) jusqu’à un deuxième réservoir plus superficiel puis vers la surface le long de la ride volcanique de Mayotte.
Cette ride volcanique est une structure volcano-tectonique similaires à d’autres rides documentées dans l’archipel des Comores. Ces structures volcano-tectoniques sont néoformées ou bien issues de la réactivation d’anciennes failles transformantes datant de l’ouverture du canal du Mozambique. Elles s’organisent en échelons le long de l’archipel des Comores pour accommoder les déformations tectoniques actives dans une zone de transfert entre la partie sous-marine du rift est-africain et les rifts malgaches. Entre ces structures en échelons, des zones d’endommagement seraient des sites privilégiés de stockage de magma et de formation de gros réservoirs magmatiques. L’activité volcanique à Mayotte comme dans de nombreuses autres régions au monde est donc contrôlée par la tectonique régionale.
Depuis la campagne MAYOBS1 et la création du REVOSIMA (Réseau de surveillance volcanologique et sismologique de Mayotte), de nombreuses autres campagnes à la mer ont eu lieu dans la zone pour surveiller l’éruption, la sismicité et la déformation associée. Ces campagnes continuent de fournir des données précieuses pour affiner la compréhension de ce système volcano-tectonique complexe et inédit.