Lagons perlicoles de Polynésie Française : une présence significative de microplastiques
Plastique : l’océan paye la rançon du succès
Matériau phare plébiscité par une industrie florissante dans les années 1950, le plastique a suscité un véritable engouement dont le revers se mesure aujourd’hui très concrètement dans les océans. Les incertitudes sont encore importantes, mais on estime qu’entre 93 000 et 236 000 tonnes de plastique flottent à la surface des mers, représentant de 5 000 à 50 000 billions de fragments dont environ 90 % sont des microparticules de plastique de moins de 5 mm (les microplastiques). Le hic c’est que ce type de plastique microscopique se fraye un chemin de la surface aux sédiments en passant par la colonne d’eau et entre même dans le menu des organismes marins qui les ingèrent involontairement.
Dans certains lagons de Polynésie française où sont menées des activités de perliculture, un volume de déchets plastiques important avait été identifié lors de plongées et un premier trait de filet dans leurs eaux avait laissé suspecter une présence significative de particules. D’où la volonté de la Direction des Ressources Marines de Polynésie de financer, dans le cadre du projet Microlag, des analyses complémentaires pour estimer plus précisément la quantité de microplastiques dans certains lagons.
Les lagons développant des activités de perliculture très impactés
Pilotée par l’Ifremer, une étude s’est attachée à évaluer la contamination dans trois lagons de l’archipel des Tuamotu dans lesquels la perliculture est bien présente : Ahe, Manihi et Takaroa. Les résultats des campagnes d’échantillonnages ont révélé l’omniprésence de microplastiques dans les eaux de surface (de 0,2 à 8,4 microplastiques par m3), la colonne d’eau (de 14,0 à 716,2 microplastiques par m3) et les tissus d’huîtres perlières en élevage (de 0,3 à 21,5 microplastiques par g de chair humide). « Par comparaison avec d’autres sites au niveau mondial, ces niveau de contamination par des microplastiques sont élevés, notamment chez l’huître », souligne Tony Gardon, premier auteur de cette étude réalisée pendant sa thèse à l’Ifremer du Pacifique et actuellement post-doctorant au CRIOBE (Centre de recherches insulaires et observatoire de l’environnement). En effet, l’huître perlière, animal filtreur par excellence, se montre particulièrement vulnérable à cette exposition sachant qu’un individu adulte filtre jusqu’à 25 litres d’eau de mer par heure. Une caractéristique qui en fait un des bivalves les plus sensibles à la pollution plastique au monde.
Ces niveaux de contamination peuvent surprendre dans des lagons a priori peu soumis aux pressions liées à l’activité humaine même s’ils restent des écosystèmes fragiles du fait de leur environnement semi-fermé. Préservés d’une forte fréquentation touristique et faiblement peuplés (674 habitants au maximum), les trois atolls étudiés n’abritent pas d’industrie lourde. Les activités économiques sont principalement représentées par la pêche et la perliculture.
Comprendre l’origine de la contamination
Pour remonter la source de ces microplastiques, les scientifiques de l’Ifremer ont caractérisé la taille, la forme, la couleur et la nature des microplastiques récoltés. « Nos investigations mettent en évidence la présence dominante de fragments de microplastiques de petite taille (20–200 µm), qui semblent issus de débris de plus grande taille. La nature des plastiques identifiées dans l’eau est semblable à celle relevée chez l’huître perlière qui se nourrit de particules comprises entre 2 et 200 µm », précise Arnaud Huvet, biologiste à l’Ifremer à Brest et coauteur de l’étude. Parmi les plastiques identifiés, le polyéthylène est celui que l’on retrouve en plus grande abondance. Cette composition et une couleur noire-grise montrent des similitudes avec les équipements en plastique utilisés en perliculture, notamment les collecteurs de naissains et les cordes qui fixent les stations d’élevage.
Dans ces lagons, la perliculture représente le cœur de l’activité économique depuis 40 ans, mais ce développement ne s’est pas forcément accompagné d’un plan structuré de gestion des déchets. Au tournant des années 2000, suite à la chute du cours de la perle, le secteur a traversé une période de crise qui a conduit à la fermeture en cascade de fermes perlières et parfois à l’abandon des installations dans les lagons. Or, sous l’effet combiné du soleil, de la houle et du courant, les plastiques très fragiles se fragmentent et se disséminent dans l’environnement marin. A cette source de contamination pourraient aussi s’adjoindre à la marge les déchets plastiques issus des activités domestiques, de la pêche ou de la proximité de la Polynésie française avec le gyre océanique du Pacifique, réunion de différents courants marins qui charrie également une grande quantité de plastiques.
Vers une perliculture plus durable
Une prise de conscience s’est amorcée sur la nécessité de pratiques plus durables en matière de perliculture avec le renforcement de la loi en vigueur encadrant les activités professionnelles liées à la production et à la commercialisation des produits perliers et nacriers en Polynésie Française. Elle prévoit notamment que les installations soient démontées et retirées des lagons après usage. Un plan de gestion et de valorisation des déchets perlicoles est aussi à l’étude. Déjà, l’utilisation de plastiques plus robustes est privilégiée mais l’objectif à terme est de développer des matériaux alternatifs aux plastiques utilisés dans les équipements perlicoles.
Sans plastique, l’huître perlière préserve sa santé
Une plus grande durabilité de la perliculture est nécessaire car elle conditionne le devenir même de la filière. De premières études déjà publiées, effectuées par l’Ifremer in vivo en conditions contrôlées de laboratoire, démontrent en effet l’impact néfaste des microplastiques sur les huîtres perlières. Chez les individus exposés, on constate un dérèglement énergétique qui a des conséquences sur la capacité reproductive de l’huître et qui entraîne aussi une modulation des gènes impliqués dans les mécanismes de défense face au stress. Les plastiques « perlicoles » (collecteurs et cordes) ont aussi un potentiel de toxicité chimique qui conduit à l’altération du développement embryo-larvaire de l’huître. Une étude simulant le cycle de production d’une perle est également en cours pour voir l’impact des microplastiques sur la qualité de la perle.
Autant d’arguments qui plaident pour une filière perlicole qui diminue sa dépendance au plastique.
Résultats complets à retrouver sur l’article scientifique publié dans la revue Journal of Hazardous Materials.