L’Ifremer dans le Pacifique : 50 ans de sciences océaniques
« Que ce soit dans le cadre de ses recherches en aquaculture, sur les huîtres perlières ou sur la préservation des écosystèmes coralliens, la force du centre Ifremer du Pacifique repose sur ses collaborations étroites avec les acteurs publics et privés locaux et sur l’appui scientifique qu’il apporte au développement de l’économie bleue de ces territoires, déclare François Houllier, Président-directeur général de l’Ifremer. L’océan est un bien commun que nous apprenons à connaître et à comprendre pour mieux le protéger tout en exploitant ses ressources de manière la plus durable possible. Ce défi, nous ne le relevons pas seuls mais en partenariat avec nos partenaires de la zone Pacifique. »
Contribuer à la durabilité des filières aquacoles
Aujourd’hui, en Polynésie française, les recherches menées au Centre Ifremer du Pacifique reposent sur trois grands enjeux :
1/ Diversification des productions aquacoles
L’Ifremer mène des recherches sur l’huître perlière, la crevette et le platax, et teste l’élevage de nouvelles espèces pour développer des filières aquacoles : huître de roche (pour la consommation), nouvelles espèces de poissons, holothuries et oursins. Certaines de ces filières, notamment celles qui impliquent des espèces herbivores, peuvent avoir des applications au bénéfice de l’environnement marin. L’aquaculture de restauration peut ainsi favoriser la résilience de l’écosystème corallien.
Historiquement, la plateforme a contribué à la mise au point de l’élevage de crevettes et du poisson platax. Les outils et compétences ont aujourd’hui été transférées aux acteurs des filières locales.
2/ Adaptabilité des espèces aux changements globaux
En Polynésie, la température de l’eau de mer varie peu au cours de l’année. Dans la perspective du changement climatique, les scientifiques étudient les mécanismes d’adaptation biologique mis en jeu par ces espèces dans le but d’aider à la sélection des espèces et des populations aquacoles les mieux à même de supporter les conditions climatiques des prochaines décennies.
3/ Réduction des impacts de l’aquaculture sur l’environnement
Les scientifiques s’intéressent aux impacts environnementaux des pratiques aquacoles. Il peut s’agir de la contamination par les plastiques d’origine perlicole ou encore de la contamination par les élevages en lagon. Ils veulent ainsi produire des indicateurs de pollution (en appui aux politiques publiques) et développent des approches de bio-remédiation pour limiter les rejets environnementaux de l’aquaculture.
Les huîtres perlières, ces joyaux de Polynésie étudiés sous toutes les coutures
Jérémie Le Luyer, chercheur en génomique : « A l’Ifremer, nous cherchons à comprendre l’origine de la forme de la perle, qui est l’un des cinq traits de sa qualité. Les quatre autres étant sa couleur, sa taille, sa brillance et ses défauts de surface. La production de perles est un phénomène complexe influencé par la génétique de l’huître et l’environnement. Dans le cadre du projet PinctAdapt, nous cherchons à décrypter les mécanismes sous-jacents à la qualité de ces cinq traits. »
Découvrir la vidéo « Carte Bleue à l’huître perlière »
En savoir plus : Perles de Polynésie : leur couleur décodée !
Des liens forts avec le monde socio-économique et académique
« Dans le cadre de notre mission d’appui à la puissance publique, la Direction des ressources marines (DRM) de la Polynésie française est notre partenaire privilégié sur le territoire et pour le territoire, souligne Philippe Moal, directeur du Centre Ifremer du Pacifique. Nous œuvrons ensemble pour permettre aux filières aquacoles qui sont essentielles à l’économie locale, d’améliorer leurs pratiques, de se diversifier et de diminuer leurs impacts sur l’environnement toujours dans un esprit de recherche collaborative. Nous mettons à disposition de nos partenaires nos plateformes expérimentales et hébergeons même sur notre site de jeunes entreprises polynésiennes. »
L’Ifremer est présent sur le territoire polynésien aux côtés d’autres organismes de recherche : l’Université de la Polynésie française (UPF), le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), l’Institut Louis Malardé (ILM), l’Institut de recherche pour le développement (IRD), l’École Pratique des Hautes Études (EPHE), l’Université de Perpignan (UPVD) et l’Université de Californie-Berkeley. Ensemble, ils forment le consortium « Recherche enseignement supérieur innovation pour la Polynésie » (RESIPOL), dont l’Ifremer est membre fondateur.
Lutter contre la maladie du platax
Denis Saulnier, chercheur en physio-pathologie : « En condition d’élevage, le Platax orbicularis souffre d’une maladie d’étiologie bactérienne, la ténacibaculose. Le projet Aqua-Sana (co-financé par la DRM) met en place des stratégies de lutte contre les bactéries mises en cause dans cette maladie via la vaccination. Les premiers tests réalisés l’année dernière sont encourageants : les taux de survie des poissons vaccinés sont trois fois supérieurs aux non-vaccinés. »
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Vers une production locale d’huitres de consommation
Manaarii Sham Koua, technicien principal en écloserie de bivalves : « Dans le cadre de deux conventions avec la Direction des ressources marines et l’entreprise Ostrea Tahiti, l’Ifremer contribue au développement d’une nouvelle filière d’huîtres autochtone. L’objectif est de parvenir d’ici quelques années à produire plusieurs dizaines de tonnes d’huîtres pour limiter les importations qui s’élèvent actuellement à 100 tonnes par an. Pour cela, des scientifiques de Vairao se sont formés aux techniques d’élevage des larves d’huîtres à la station d’expérimentation Ifremer d’Argenton, en Bretagne.
Les premières huîtres pourraient arriver sur les étals en 2024 »
Découvrir la vidéo « Carte Bleue à l’huître de roche »
Quels sont les enjeux d'avenir dans le Pacifique ?
« Durabilité, responsabilité et restauration sont les trois mots qui guideront nos recherches dans les années à venir sur nos thématiques de prédilection en Polynésie que sont l’aquaculture et la perliculture, annonce le directeur du centre Ifremer du Pacifique. Nous travaillerons ainsi sur la diversification aquacole, la santé des cheptels, l’adaptation des espèces aux changements globaux, l’impact environnemental de l’aquaculture et aussi sur des questions plus écosystémiques. »
Ces thématiques impliquent les personnels présents sur le site Ifremer de Tahiti mais d’autres sujets portés par l’Institut sont d’intérêt majeur pour la zone Pacifique tels que les ressources d’innovation biologique, les énergies marines renouvelables, le rôle de l’océan dans la machine climatique et la biodiversité, l’exploration de la colonne d’eau, la connaissance des volcans sous-marins actifs...
Comment le changement climatique impactera les espèces marines de Polynésie ?
Cristian Monaco, chercheur en écophysiologie : « D’ici 10, 20 ou 30 ans, la température de surface des océans tropicaux pourrait augmenter de 1 à 2,5°C. Comment les bénitiers, les platax, les huîtres perlières et les huîtres de roche réagiront-ils ? Pour le savoir, nous étudions la réponse physiologique et le métabolisme de ces espèces à différentes conditions environnementales. Comment respirent-elles dans ces nouvelles conditions ? Comment mangent-elles ? Nous avons montré récemment que l’huitre perlière, qui est particulièrement sensible au changement de température, développe des mécanismes d’acclimatation. »
Découvrir la vidéo « Carte bleue au bénitier et à l’huître perlière »
Des lagons perlicoles contaminés par les plastiques
Alain Lo-Yat, ingénieur en écologie lagonaire : « Bien qu’a priori peu soumis aux pressions liées à l’activité humaine, les lagons polynésiens souffrent de l’omniprésence de microplastiques. Comparé à d’autres sites dans le monde, les niveaux de contamination mesurés dans le cadre de l’étude Microlag se sont révélés importants dans les eaux de surface, la colonne d’eau et dans les tissus d’huîtres perlières d’élevage. Ces microplastiques sont issus principalement de la dégradation d’équipements utilisés en perliculture (collecteurs de naissains, cordes…). Face à l’ampleur de cette pollution, des actions de ramassage ont commencé : 1000 m3 de déchets plastiques ont été rapatriés à Tahiti et un plan de gestion et de valorisation des déchets perlicoles est à l’étude. »
Découvrir la vidéo « Carte bleue aux microplastiques »
En savoir plus : Une présence significative de microplastiques dans les lagons
La flotte océanographique française présente en permanence dans le Pacifique
La Flotte océanographique française, opérée par l’Ifremer au bénéfice de l’ensemble de la communauté scientifique, est utilisée prioritairement pour effectuer des recherches et des observations dans tous les domaines de l’océanographie : géosciences marines, océanographie physique et biologique, bio-géochimie et chimie des océans, paléoclimatologie, biodiversité marine... Si plus de la moitié des campagnes océanographiques est réalisée dans les eaux atlantiques et méditerranéennes, environ 20% de l’activité de la Flotte océanographique française est effectuée dans l’océan Pacifique. Le dispositif déployé par la flotte dans le Pacifique repose ainsi sur l’Atalante (85 mètres), navire hauturier présent sur zone en moyenne une année sur quatre, et sur l’Alis présent en permanence.
Basé en Nouvelle-Calédonie depuis 1985, l’Alis sera remplacé vers la mi-décembre 2022, par l’Antéa qui ralliera le Pacifique depuis la métropole, via l’océan Indien. Ce navire de recherche pluridisciplinaire de 35 mètres a, tout comme l’Alis, la particularité de pouvoir se déplacer sur de longues distances et de réaliser des missions côtières dans des zones éloignées. Il réalisera désormais des missions océanographiques de physique et de biologie dans l’océan Pacifique Sud-Ouest, de la Polynésie Française à la Papouasie-Nouvelle Guinée. Capable de déployer les véhicules sous-marins autonomes (AUV) côtiers de l’Institut ou le robot Ariane, il apportera cette capacité nouvelle fort utile, en particulier pour l’étude de la biodiversité. Soucieux de mettre à disposition sur la durée un navire régional neuf disposant de capacité étendues, l’Ifremer travaille actuellement avec l’IRD et les partenaires régionaux en vue de la construction et de la mise en service d’un nouveau navire semi-hauturier, qui viendra remplacer l’Antéa d’ici 5 ans.
A la différence de l’Alis ou de l’Antéa, l’Atalante n’est pas spécifiquement rattaché à la zone Pacifique, mais la direction de la Flotte océanographique française planifie sa présence pour effectuer une série de campagnes majeures tous les 4-5 ans dans le Pacifique. L’Atalante y a ainsi passé l’année 2019 pour réaliser quatre missions longues sur l’étude de la biodiversité des grands fonds (ChuBacArc et Kanadeep), l’imagerie des panaches volcaniques (SPPIM) et les impacts des fluides hydrothermaux sur les cycles biogéochimiques et sur les écosystèmes pélagiques (Tonga), ainsi que des travaux au profit du Service hydrographique et océanographique de la Marine (SHOM).
Grands Fonds : connaitre pour protéger, explorer pour innover
Les recherches menées par l’Ifremer dans ce domaine concernent un vaste ensemble de sujets. Elles sont principalement conduites selon trois grands axes : les interactions entre l’océan et le plancher océanique, la dynamique et les fonctions des écosystèmes profonds, et les développements technologiques nécessaires pour avoir accès aux grands fonds (capteurs, instrumentation, comportement des structures en mer). Fort de ses travaux de recherche et de l’expérience acquise sur ces milieux extrêmes, l’Ifremer est mandaté par l’État français pour explorer les zones des deux contrats français avec l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM), dont celui qui porte sur les nodules polymétalliques dans la zone dite « de Clarion-Clipperton » (Pacifique). L’objectif de l’institut est d’éclairer la France pour une gestion adaptée de ces zones méconnues. Les travaux de recherche associés permettent d’évaluer les impacts des activités humaines, la capacité de ces écosystèmes à revenir à leur état initial, leur potentiel biotechnologique.
Une présence de longue date en appui à l'économie locale
Les sites du Pacifique à Vairao, sur l’île de Tahiti, et à Saint-Vincent, sur la Grande Terre de Nouvelle-Calédonie, ont été installés à la même époque au début des années 1970. A Vairao, les premiers travaux ont commencé en mai 1972 pour la réalisation de bassins pour l’aquaculture des crevettes pénéides. L’équipe du Centre national pour l’exploitation des océans (CNEXO, ancêtre de l'Ifremer) s’est installée en septembre 1972. Les premiers projets ont porté sur l’élevage des crevettes et des chevrettes (crevettes d’eau douce Macrobrachium rosenbergii), les moules, les huîtres tropicales et les poissons.
La pêche thonière, les nodules polymétalliques et l’énergie thermique des mers étaient alors également au cœur des enjeux de recherche.
Quelques dates-clés :
Années 1970 : L’aquaculture calédonienne commence avec l’installation d’une association Aquacal qui sera transférée en 1978 au CNEXO. La filiale SODACAL de l’Ifremer est créée en 1984. D’autres projets ont suivi comme la constitution d’un lot de reproducteurs de loup tropical (Lates calcarifer), des travaux sur la nacre et la production d’huîtres perlières.
Années 1990 : Des laboratoires de bactériologie, d’histologie, de physiologie, une unité de nutrition, trois écloseries expérimentales et deux écloseries pilotes sont créées.
Années 2000 : L’Ifremer élargit la palette de ses activités et participe à l’inventaire des ressources minérales et biologiques (Programme Zepolyf), l’étude des communautés microbiennes productrices d'exopolysaccharides (Programme Kopara), la surveillance des huîtres perlières (Projet Repanui). En 2003, l’institut lance le programme Desans (Défi Santé Stylirostris) pour parer aux mortalités qui affectent la filière d’élevage de crevettes. L’Ifremer participe au chantier « Lagon de Nouvelle- Calédonie » avec un réseau de suivi halieutique, l’étude des usages du lagon et des aires marines protégées ainsi qu'une campagne de bio-prospection des microorganismes de milieux atypiques.
La crevetticulture, une success-story pour l’Ifremer dans le Pacifique
Dès 1972, l’Ifremer a démarré une étroite collaboration avec le gouvernement local pour développer l’élevage de la crevette bleue (Litopenaeus stylirostris). Ces travaux ont permis de développer un savoir-faire sur l’amélioration génétique de l’espèce et d'augmenter ses performances de croissance. Des géniteurs ont été sélectionnés, dans un souci de préserver la variabilité génétique, pour créer une souche de crevettes utilisée pour l’élevage. Depuis 2015, la Polynésie française est autonome pour la gestion de la filière de crevetticulture. Le centre de production Vaia est en charge du maintien du groupe de géniteurs et de la fourniture de jeunes crevettes aux fermes crevetticoles. Le 24 septembre 2019, l’Ifremer a cédé officiellement sa part de copropriété de la souche crevette à la Polynésie française pour un franc pacifique symbolique. L’Institut poursuit néanmoins ses travaux de recherche sur la caractérisation de l’état de santé de la crevette bleue en Nouvelle Calédonie.