L’huître plate : de l’espoir sous la coquille
Une huître entrée dans l’histoire
C’est l’histoire d’une huître dont la profusion était légendaire de la Norvège à la Croatie. « On trouve des traces de dégustation d’huître dans d’anciens sites mégalithiques à Quiberon et au XVIIe siècle elles sont évoquées comme une ressource « inépuisable » dans des ordonnances royales » révèle Stéphane Pouvreau, biologiste marin à l’Ifremer. Mais la surpêche et la mécanisation des techniques conduisent en deux siècles à une destruction massive des bancs d’huître plate. Au XIXe siècle, l’ostréiculture lui donne un second souffle mais Ostrea edulis affronte encore des vents contraires avec la mondialisation et l'émergence de deux parasites dévastateurs au cours des années 70-80 : Marteilia et Bonamia, qui font définitivement plonger la production française et européenne.
Un constat qui s’est traduit, au début du XXIe siècle, par l’inscription de l’huître plate sur la liste des espèces menacées de l’OSPAR (Convention pour la protection du milieu marin de l'Atlantique du Nord-Est). La prise de conscience est ensuite intervenue au niveau européen avec la création en 2017 de la NORA (Alliance européenne pour la restauration de l'huitre plate) regroupant au chevet d’Ostrea edulis une centaine de scientifiques et de gestionnaires. En France, cette démarche est assurée par le programme FOREVER ("Flat Oyster REcoVERy"), porté par le Comité Régional Conchylicole de Bretagne Sud.
Inventaire et bilan de santé
Stéphane Pouvreau, coordinateur scientifique du projet FOREVER, détaille les grandes étapes du projet : « Notre première initiative a été de dresser un inventaire des principales populations résiduelles en Bretagne, seule région française où l’huître – que l’on appelle ici la Belon- est encore présente à l’état naturel de façon significative ».
C’est à une véritable enquête que s’est livrée l’équipe scientifique mobilisée sur FOREVER pour débusquer les derniers bancs d’huîtres bretons. « On a utilisé des méthodes modernes comme des technologies acoustiques mais elles se sont révélées peu efficaces au vu de la densité trop faible de la population. On est donc revenu à des méthodes plus traditionnelles comme le bouche-à-oreille sur les ports mais aussi le recours à des sources plus anciennes comme le remarquable inventaire des huîtrières de France du naturaliste Louis Joubin, édité au début du XXe siècle. Sur la base de cet inventaire préalable, nous avons ensuite sillonné les côtes bretonnes à la recherche de ces huitrières oubliées. »
Une fois la cartographie de l’état écologique, génétique et pathologique des bancs effectués, le projet s’est concentré sur un second volet : la dynamique des populations. « Un chapitre que l’on pourrait intituler vie et mort d'un banc d'huîtres » commente Stéphane Pouvreau. Les scientifiques ont observé le quotidien des huîtres durant tout leur cycle de vie : abondance et dispersion larvaire, dynamique du recrutement, facteurs environnementaux, effets de la prédation, impact des maladies parasitaires… L’ultime étape de FOREVER a été d’initier une démarche unique en France en concevant et en testant des solutions de conservation et de restauration sur les dernières représentantes de l’espèce à l'état sauvage.
Dix bancs recensés et une croissance entravée
Les travaux de l’Ifremer montrent qu’il existe encore en Bretagne plus d’une dizaine de petits foyers de peuplement de l’huître plate mais dont l’étendue comme la densité restent très faibles. Ils se répartissent de la Baie de Quiberon dans le Morbihan jusqu’à l’estuaire de la Rance en Ille-et-Vilaine. Deux sites semblent disposer d’un potentiel particulièrement propice à l’accueil des huîtres plates : la Rade de Brest et la Baie de Quiberon.
Cette étude sur l’habitat actuel de l’huître plate a permis de mettre en évidence les facteurs qui freinent son développement : l’absence de supports pour se fixer, la présence de prédateurs redoutables comme le bigorneau perceur et la dorade, la persistance des parasites Marteilia et Bonamia, la sédimentation accrue lié au remembrement des terres et à la mécanisation agricole, la pression par pêche (dragage trop important et pêche à pied non régulée). Les scientifiques dépeignent l’environnement idéal pour le regain de l’espèce : des étés chauds avec une eau à plus de 18°C pendant quelques semaines pour assurer des concentrations larvaires élevées, une salinité suffisante car la Belon n’aime ni les eaux trop douces ni trop turbides, et enfin des supports rugueux qui facilitent l’accroche du bivalve et la constitution de récifs, essentiels à l'espèce.
Des solutions de restauration prometteuses
« Agir sur l’un ou l’autre de ces freins peut aider la population à se rétablir, au moins partiellement » considère Stéphane Pouvreau. « Une première solution peut consister à adopter, pour un banc donné, des mesures de gestion concertées ensemble entre les scientifiques, les organisations professionnelles (pêche et conchyliculture), les gestionnaires de l'environnement (Natura 2000 et OFB) et les autres usagers de la mer. Ces mesures de gestion doivent être locales et adaptées à chaque site (jachère sur certains secteurs, repos biologique sur d'autres). Mais la mesure qui semble produire le plus de résultats, indépendamment du secteur, pour la restauration de l’espèce s’avère l’introduction de supports destinés à jouer un rôle de noyau d’agrégation ou « éco-nucleus » comme point d’ancrage pour le redémarrage d’une colonie à croissance verticale comme le réclame la biologie de l’huître. »
« Nos essais pilote nous incitent à favoriser une structure tridimensionnelle neutre écologiquement (style coquilles d’huître ou béton calcaire) destinée à favoriser l’implantation des premiers individus. Les solutions testées fonctionnent mais doivent encore être améliorées avec l'idée d'un « squelette » minéral favorable à l'espèce mais défavorable aux prédateurs, tout en restant compatible avec les exigences environnementales des milieux côtiers. » Cette réflexion vers un support encore plus « intelligent » va être approfondie dans le cadre d’un nouveau projet de recherches en cours de discussion et qui pourrait être baptisé « REEFOREST », un clin d'œil aux forêts d'huîtres décrites par les biologistes du XVIIe siècle (voir encadré). À terme, l’huître plate pourrait aussi faire son grand retour sur d’autres côtes de France en Nouvelle Aquitaine, mais aussi en Méditerranée, dans la lagune de Thau, en concertation des travaux déjà en cours en Corse.
À la lumière des travaux de FOREVER, l’huître plate n’appartient donc pas forcément à l’histoire ancienne et pourrait trouver un nouvel ancrage dans le XXIe siècle, en phase avec la décennie pour la restauration lancée cette année par l'ONU (UN Decade on Ecosystem Restoration 2021-2030).
Le Projet Forever
Le projet FOREVER (Flat Oyster REcoVERy) avait pour objectif de dresser un état des lieux des derniers bancs d’huîtres plates en France et d’envisager les conditions d’une restauration possible pour cette espèce menacée. D’une durée de 3 ans (2018-2020), il a été financé par le FEAMP (Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche). Porté par le Comité Régional Conchylicole de Bretagne Sud, ce projet a été permis par la collaboration active et les moyens de l'Ifremer pour la partie scientifique et les suivis in situ, de l’ESITC (École supérieure d’ingénieurs des travaux de la construction) de Caen pour la création des récifs pour la fixation des huîtres, ainsi que la participation de bureaux d'étude bretons et du Comité Régional de la Conchyliculture de Bretagne Nord.
A la recherche des forêts d’huîtres perdues
Au fur et à mesure de la disparition des bancs d’huîtres plates en Bretagne, « une forme d’amnésie collective s’est installée » témoigne Stéphane Pouvreau. « On a oublié jusqu’à l’habitat naturel de ces huîtres qui, à l’état sauvage, s’agrègent sous forme de récifs. Des récifs que Moebius, le père de l’écologie moderne comparait à des forêts sous-marine ». Cette vie en « collectivité » ne présente que des avantages pour les huîtres qui s’offrent ainsi un ancrage et rempart utile pour se protéger des courants comme des prédateurs. Mais ce n’est pas là le seul intérêt de ces huîtrières qui servent aussi d’abris à presque une centaine d’espèces, du pétoncle à la seiche en passant par les ormeaux. Sans compter que les huîtres, coquillages filtreurs, contribuent à clarifier la colonne d’eau et permettent une meilleure pénétration de la lumière au bénéfice du maërl ou des herbiers de zostères. La restauration d’Ostrea edulis est donc un enjeu en soi mais aussi pour toute la biodiversité marine qui s’installe sur ses bancs.