L’Europe ruse pour maintenir l’observation des océans malgré la pandémie
La pandémie mondiale a perturbé nos vies quotidiennes mais aussi la recherche scientifique. De nombreuses missions en mer ont par exemple été annulées ou retardées, ce qui a fortement affecté le déploiement des flotteurs Argo. Pour y remédier, l’ERIC Euro Argo (voir au dos) a adopté une solution inédite : le 14 novembre, le voilier océanographique Iris a quitté Brest chargé de 17 flotteurs profileurs européens, avec pour objectif final de déployer une centaine de flotteurs (européens, américains et canadiens) dans l’océan Atlantique. À bord, l’équipage français «Blue Observer» sera responsable de cette ambitieuse mission scientifique.
L’expédition est co-financée par la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) et son partenaire Woods Hole Oceanographic Institution (WHOI), Argo Canada et Euro-Argo. Elle est le fruit d’une collaboration internationale coordonnée par OceanOPS. « C’est une première expérience innovante pour Argo de coordonner une telle opération de déploiement de flotteurs à partir d’un même bateau dans tout l’Atlantique et Euro-Argo est fier d’y contribuer. En cas de succès, cela pourrait devenir un moyen complémentaire des navires de recherche, à faible empreinte carbone, pour déployer ou récupérer des flotteurs en mer », explique Sylvie Pouliquen, directrice de l’ERIC Euro-Argo.
17 flotteurs profileurs européens prêts pour l’Atlantique
La mission en mer devrait durer environ trois mois. Les 17 flotteurs européens, mis à disposition par la France (Ifremer, Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer), les Pays-Bas (KNMI, Institut royal météorologique) et l’Allemagne (BSH, Agence fédérale maritime et hydrographique), seront déployés pendant le voyage transatlantique, en direction de Woods Hole (Massachusetts, États-Unis) où l’équipage récupérera ensuite les 83 flotteurs américano-canadiens. Ces derniers seront déployés pendant la deuxième partie du voyage, quand l’Iris poursuivra sa route dans l’Atlantique Sud, en direction de l’île de Sainte-Hélène, au large de la Namibie.
Qu’est-ce que le réseau de flotteurs profileurs Euro-Argo ?
• En 2014, plusieurs pays européens ont uni leurs forces pour contribuer au programme international Argo. Leur objectif ? Maintenir 25 % des flotteurs du réseau Argo d’observation des océans. Cette collaboration européenne a donné naissance à l’European Research Infrastructure Consortium (ERIC) Euro-Argo, qui compte aujourd’hui 12 pays membres.
• Argo est le 1er réseau global d’observation in situ des océans. Il permet d’observer, comprendre et prévoir le rôle de l’océan sur le climat de la planète. Il se compose de près de 4 000 flotteurs profileurs autonomes, qui mesurent en temps réel la température et la salinité de l’océan. Ces flotteurs sont déployés par bateau, puis plongent jusqu’à 2 000 ou 4 000 mètres de profondeur et dérivent ensuite au gré des courants marins. Après un cycle de 10 jours environ (voir schéma ci-contre) ces flotteurs finissent par remonter à la surface et envoient les mesures collectées. Ces données sont mises à la disposition des scientifiques, en accès libre. Elles leur ont par exemple permis d’affiner les estimations du stockage de chaleur par les océans. C’est un des paramètres déterminants pour évaluer l’ampleur du changement climatique et pour mieux comprendre les mécanismes de la hausse du niveau moyen des mers.
Quelle est la nouvelle mission scientifique d’Euro-Argo ?
Euro-Argo prévoit d’étendre la surveillance de l’océan et de traquer le signal du changement climatique jusqu’aux grands fonds océaniques, grâce aux flotteurs « DEEP ». L’Europe s’attaque aussi à un enjeu de taille : la santé des écosystèmes marins. Certains flotteurs dits « BGC » sont pour cela équipés de capteurs de mesure de six paramètres biogéochimiques. Ces deux nouvelles générations de flotteurs (voir encadré ci-contre) sont en parfaite adéquation avec la nouvelle ligne directrice du programme Argo international qui vise une « mission globale, multidisciplinaire et à toutes les profondeurs ».
De plus, Euro-Argo concentre ses efforts sur des zones spécifiques à l’Europe, telles que les régions côtières ou les mers marginales (mer Méditerranée, mer Noire, mer Baltique etc.). Ce sont des environnements particulièrement sensibles au changement climatique et qui nécessitent un nombre accru d’observations. Les 12 membres européens travaillent aussi de concert pour adapter la technologie des flotteurs aux zones les plus inaccessibles de l’océan. Pour affronter les zones partiellement recouvertes de glace, ils testent par exemple un algorithme qui permet au flotteur de replonger en profondeur en cas de détection de glace en surface.
Les nouvelles générations de flotteurs
- les flotteurs DEEP, capables de plonger jusqu’aux abysses (à 6000 mètres de profondeur), devraient apporter des données cruciales pour estimer les bilans d’échange de chaleur et de masses d’eau, ainsi que les variations du niveau marin.
- les flotteurs BGC, qui mesurent jusqu’à six paramètres biogéochimiques (oxygène, pH, nitrates, radiométrie, chlorophylle a, et particules en suspension). Les données biogéochimiques obtenues devraient permettre d’appréhender différents phénomènes, tels que l’acidification de l’océan ou la pompe à carbone.