Images inédites au plus près du volcan sous-marin de Mayotte
En mai 2019, les scientifiques ont découvert un volcan sous-marin âgé d’à peine un an, au large de Mayotte à plus de 3000 m de fond. C’est le 4e volcan actif de France. Assister à une telle naissance géologique presque en direct et observer l’évolution d’un jeune volcan sous-marin, si profond mais si proche de zones habitées, est unique au monde.
Près d’une vingtaine de missions de surveillance, coordonnant des scientifiques du CNRS, de l’Ifremer, de l’IPGP et du BRGM, se sont succédées depuis deux ans malgré les confinements et restrictions sanitaires liées à la Covid-19. Au-delà de cette surveillance se posent des questions scientifiques sur l’origine du magma émis, sur les processus de mise en place du volcan et sur l’impact des éruptions sur la vie sous-marine ou la composition chimique de l’eau.
Pour améliorer les connaissances scientifiques, la mission de recherche Geoflamme coordonnée par l’Ifremer et l’IPGP a eu lieu pendant plus de 40 jours du 17 avril au 25 mai 2021, à bord du navire océanographique Pourquoi Pas ? avec le concours de 70 scientifiques.
« La naissance d’un tel volcan est un événement brutal pour le milieu marin. Le volume de lave émis en quelques mois est estimé à plus de 6 km3, soit l’équivalent d’une couche de plusieurs dizaines de mètres qui recouvrirait la ville de Paris, souligne Emmanuel Rinnert, chef de mission et chercheur à l’unité Géosciences marines de l’Ifremer. Jamais un volcan sous-marin n’a été étudié aussi jeune et à ces profondeurs. C’est un objet exceptionnel et les données que nous avons récoltées sur le terrain vont nous permettre de mieux le comprendre. »
Des images et des prélèvements d’une précision chirurgicale
Geoflamme est la première campagne de recherche basée sur des prélèvements et observations précis du nouveau volcan. En effet, les scientifiques ont mené un vrai travail d’investigation en allant voir de près le volcan, grâce à une panoplie d’outils déployée par la Flotte océanographique française opérée par l’Ifremer, l’une des 5 plus grandes au monde : robot autonome pour la cartographie et les prélèvements sur le fond, drague ou carottier, rosette pour les échantillons d’eau. Pour la première fois, le fond a été ausculté grâce au submersible Victor 6000, capable de plonger à 6000 m de profondeur. Un robot de la taille d’une voiture citadine, piloté depuis la surface et relié au bateau par un câble. Il a mené 17 plongées d’une durée de 24 à 36 heures, avec des images et des prélèvements d’une précision chirurgicale.
« Ces photos sont issues de notre première plongée avec le submersible Victor 6000 sur le volcan. Nous avons été très surpris durant les premières heures de plongée car on ne voyait rien alors qu’on était à 2 m du fond, l’eau était très trouble, raconte Emmanuel Rinnert. Mais au bout de 6h, on est sorti de ce nuage et on a pu voir le volcan. Là, on a retenu notre souffle, devant ces images exceptionnelles : pour la première fois, on le voyait de près, comme si on y était. On distingue très bien les laves en forme de tubes, typiques des éruptions sous-marines, avec des coulées qui s’enchevêtrent. La couleur ocre est sans doute due à des particules de fer oxydé, comme de la rouille. On observe aussi des zones où la lave est très noire, brillante, ce qui montre qu’elle est particulièrement « fraiche ». Le volcan s’est mis en place il y a trois ans, ce qui représente une micro seconde à l’échelle des temps géologiques. »
Des sorties de fluides et un démarrage de la vie
Geoflamme permet de mettre en évidence des émissions de fluides de natures différentes : d’une part, de l’eau de mer réchauffée par les coulées de lave mises en place fin 2020 et, d’autre part, des sorties riches en dioxyde de carbone (CO2) et en méthane (CH4). Autour de certaines de ces zones d’émission récente de fluides, des traces de vie sont déjà visibles, des biofilms de micro-organismes mais également de la macrofaune telle que des crevettes.
Un risque sous surveillance
Le volcan est situé à 3400 m de profondeur à 50 km à l’est des côtes de Mayotte, dans l’océan Indien. Il ne présente pas en lui-même de risque pour la population ou pour la navigation. Sa naissance est liée à une poche magmatique à plusieurs dizaines de kilomètres de profondeur à l’est de l’île. En se vidant, celle-ci a entrainé le déplacement vers l’est de l’île et son enfoncement de l’ordre d’une vingtaine de centimètres, ainsi qu’une série de séismes.
« Nous n’avons pas vu de coulées en cours de formation pendant notre campagne, on a globalement un sentiment d’accalmie de l’activité volcanique actuellement, conclut Emmanuel Rinnert. D’ailleurs, les séismes à terre et l’affaissement de l’île sont quasiment arrêtés pour le moment. »
La surveillance du volcan se poursuit grâce au Revosima (Réseau de surveillance volcanologique et sismologique de Mayotte). Un projet d’observatoire complémentaire sur le fond, baptisé Marmor, a également commencé début 2021.
Haut comme 3 tours Eiffel, à plus de 11 tours Eiffel de profondeur…
La base du volcan mesure 5 km de large, elle est située à 3400 m de profondeur. L’édifice mesure 820 m de haut (près de 3 fois la hauteur de la tour Eiffel). En mai 2019, le panache des éruptions s’élevait dans la colonne d’eau sur 2800 m, avec beaucoup de gaz et de particules, il formait un brouillard épais. Les éruptions ont ensuite changé de nature, avec des laves assez fluides qui ont provoqué l’étalement de la base du volcan.
À Propos
La campagne Geoflamme a été coordonnée par l’Ifremer et l’Institut de physique du globe de Paris (IPGP), aux côtés du CNRS, du BRGM et de l’Université de Paris Saclay avec la participation à terre et en mer de scientifiques des laboratoires suivants : Institut des sciences de la Terre d'Orléans (CNRS/BRGM/Université d’Orléans), Laboratoire magmas et volcans (CNRS/IRD/Université Clermont Auvergne), Géosciences Paris-Saclay (CNRS/Université Paris-Saclay), Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement (CNRS/CEA/Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines) et Géosciences environnement Toulouse (Université Toulouse III Paul-Sabatier/CNRS/IRD/CNES).
Elle est financée par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation via la Flotte océanographique française, l’Ifremer et l’école universitaire de recherche interdisciplinaire ISblue (Université de Bretagne occidentale). Elle a été réalisée en complète synergie avec les travaux du réseau de surveillance Revosima.