Du poisson au menu sur la future base lunaire ?
Depuis son lancement en 2019, le programme Lunar Hatch a marqué de belles avancées. Plusieurs centaines d’œufs de bar produits en aquaculture ont subi une batterie de tests et montré leur capacité à résister aux conditions du décollage d’une fusée et d’un voyage spatial.
« Nous avons testé les effets de plusieurs facteurs susceptibles de perturber le développement embryonnaire ou la viabilité des œufs de bar. Le bar est un poisson-modèle à l’Ifremer dont nous maitrisons l’élevage aquacole. C’est aussi l’une des espèces candidates pour voyager vers la Lune, explique Cyrille Przybyla, chercheur en biologie Marine à l’Ifremer et premier auteur de la publication. Nous savons programmer la date de l’éclosion de ses œufs en agissant sur la température de l’eau : les œufs mettent environ une centaine d’heures pour se développer à 14°C et le double à 10°C. Cette fenêtre temporelle coïncide parfaitement avec la durée d’un voyage vers la Lune soit entre 4 à 8 jours ».
Après avoir soumis ces œufs aux vibrations d’un lancement d’une fusée Soyouz et à l’environnement sonore associé, ils ont été soumis à l’hypergravité, c’est-à-dire à une accélération de la fusée de 1g à 5g. Les scientifiques du projet ont observé que la survie et le taux d’éclosion étaient identiques aux œufs témoins.
100 œufs de bar mis en apesanteur
L’étape suivante a consisté à tester sur la plate-forme expérimentale de l’Université de Lorraine habilitée par l’ESA, avec le soutien du CNES, les effets de la microgravité simulée, autrement dit l’apesanteur (ou l’absence de pesanteur) pendant 39h soit une durée équivalente à 26 tours en orbite basse autour de la Terre dans l’ISS.
« Ici encore, la proportion des œufs qui ont éclos est la même que celle des œufs témoins restés à la gravité terrestre. Tous en bonne santé, ils ont en revanche éclos 6h avant les autres, signale le scientifique. Nous ne savons pas encore précisément pourquoi mais ce phénomène d’éclosion avancée a déjà été observé chez le poisson lors d’un changement d’environnement comme l’acidification du milieu ou encore lors d’une expérimentation dans une station orbitale ».
Au-delà de la qualité de la ponte, l’équipe scientifique de l’Ifremer a montré que les jeunes larves âgées de 4h ayant été mises en apesanteur n’ont pas montré de différence de comportement par rapport à leurs homologues restées à la gravité terrestre.
L’équipe évalue actuellement l’influence du rayonnement cosmique sur les embryons pendant le voyage. En quittant la magnétosphère et l’atmosphère terrestres, ils seront en effet fortement exposés à un bouquet de particules chargées. Pour évaluer les possibles impacts de ces rayonnements, les scientifiques travaillent en collaboration avec l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN), sur les installations d’irradiation MIRCOM et AMANDE, où ils exposent des centaines d’œufs de bar fécondés à des flux de protons et de neutrons. Les résultats sont en cours d’analyse et seront publiés en 2024.
La réalité rattrapera-t-elle la fiction ?
L’étape suivante consistera à envoyer plusieurs capsules remplies d’œufs de poisson en orbite basse pour étudier leurs comportements en situation réelle. Les scientifiques pourront alors conclure sur la faisabilité de les envoyer sur la Lune pour nourrir, en complément d’une production de fruits et légumes sous serre, un équipage de 7 futurs résidents. L’idée est de proposer du poisson au menu deux fois par semaine et de prévoir un ravitaillement en œufs de poissons tous les 6 mois environ. Quant à l’eau d’élevage des poissons, elle sera recyclée en circuit clos dans des systèmes d’aquaculture inspirés de ceux développés à l’Ifremer.
Embryogenesis of an aquaculture fish (Dicentrarchus labrax) under simulated altered gravity, Cyrille Pryzbyla et al., Frontiers in space Technology (2023)