Des vagues d’émissions de gaz en Arctique sous l’influence des marées
Un phénomène intriguant et méconnu
De la glace qui brûle ? Ce n’est pas un tour de magie mais un phénomène naturel qui bouleverse nos représentations traditionnelles. Et pour cause, les hydrates de gaz, formés dans des conditions particulières combinant basse température et forte pression, ont toutes les apparences de la glace. Ces petites molécules de gaz -souvent du méthane- emprisonnées dans des « cages » d’eau à l’état solide peuvent, lorsque les conditions de température ou de pression sont modifiées, migrer vers le stade liquide et gazeux et se disséminer dans l’eau des océans voire l’atmosphère. Sachant que le méthane est très inflammable, on comprend mieux l’appellation de « glace qui brûle » fréquemment employée pour qualifier ces fameux hydrates de gaz.
Des enjeux « brûlants » pour la science
Ces propriétés étonnantes n’expliquent pas à elles-seules l’intérêt manifesté par les scientifiques pour ce sujet. Derrière l’étude des hydrates se cachent de nombreux enjeux : enjeux énergétiques car certains pays y voient une ressource potentielle, enjeux climatiques car l’augmentation de la température des océans provoque la décomposition des hydrates qui à son tour génère des émissions de gaz dans l’océan voire dans l’atmosphère. Conséquence : une acidification accrue des océans avec à la clé des impacts sur la biodiversité et les écosystèmes marins sans compter que le méthane libéré est un gaz à effet de serre 25 fois supérieur à celui du C02 !
Autre enjeu majeur lié à la dégradation des hydrates : le risque géologique du fait de la déformation des sédiments sous-marins, susceptible d’occasionner des glissements de pente. « Il y a 8000 ans le glissement de Storegga (au large de la Norvège) a été à l’origine de vagues de tsunami estimées à plus de 20 mètres sur les îles Shetland ; la décomposition des hydrates de gaz a probablement contribué à cet évènement catastrophique » rappelle Nabil Sultan.
Des émissions rythmées par les marées
Tous ces enjeux conduisent les scientifiques à opérer une surveillance étroite sur les sites où sont détectés les hydrates de gaz. En octobre 2019, les chercheurs de l’Ifremer et leurs partenaires de l’Université arctique de Norvège et du Geological Survey of Norway ont ainsi initié une mission dans une zone connue pour sa richesse en hydrates de gaz et sa sensibilité au changement climatique : la marge ouest du Svalbard, à proximité du cercle arctique. « Par 1100 m de profondeur, nous avons déployé pendant 3 à 4 jours des piézomètres développés à l’Ifremer. Ces tiges instrumentées pénètrent dans le sédiment pour acquérir des données (température, pression…) utiles pour comprendre ces phénomènes ». Parmi le bouquet d’informations remontées à bord durant cette campagne, un élément nouveau a été mis en évidence : la corrélation entre l’intensité et la périodicité des dégazages de méthane et le niveau des marées. « Les émissions de méthane sont bloquées le temps de la marée haute mais s’échappent dans la colonne d’eau à marée basse. C’est le même principe que quand on ouvre une bouteille de champagne ou de soda : la pression diminue et le gaz s’évacue sous forme de bulles » explique Nabil Sultan. L’étude montre qu’une variation même limitée du niveau de l’eau peut jouer sur la libération du gaz. «Dans cette zone la différence entre la haute mer et la basse mer n’est que de 80 cm » pointe le géologue de l’Ifremer.
Un facteur d’optimisme ?
Des investigations complémentaires vont être poursuivies sur de nouveaux sites dans la zone du Svalbard et sur une durée plus longue pour étayer ces premières observations.