De l’herpèsvirus chez l’huître au cancer chez l’Homme : la découverte d’un mécanisme commun ouvre de nouvelles pistes de recherche
Chez l’Homme comme chez la plupart des animaux, l’âge des parents à la conception a généralement des effets négatifs sur leur descendance : la survie et les performances des descendants de parents âgés sont en effet plus faibles. C’est ce qu’on appelle le vieillissement reproductif. Les scientifiques suspectent depuis plusieurs années que les télomères, ces séquences d’ADN répétitives situées aux extrémités des chromosomes, soient l’un des marqueurs qui intègrent l’âge des parents, se transmettent aux descendants et prédisent leur survie plus faible. On sait en effet que les télomères — dont le rôle est de préserver l'information génétique au fur et à mesure des divisions cellulaires — se raccourcissent inexorablement au fil de la vie. Et ce malgré l’action de l’enzyme télomérase qui répare les télomères en les rallongeant lors de la fabrication des gamètes pour que la descendance démarre sa vie avec un capital de télomères suffisant.
La longueur des télomères est ainsi considérée comme une caractéristique du vieillissement commune à toutes les espèces. Néanmoins, le rôle précis des télomères et de la télomérase dans le processus du vieillissement reproductif demeure mal compris chez les vertébrés et encore plus chez les invertébrés et les coquillages qui sont très peu étudiés. En sont-ils le moteur aussi chez l’huître creuse Magallana gigas (autrefois appelée Crassostrea gigas) ?
L’huître creuse, un modèle biologique d’intérêt pour explorer les mécanismes de transmission entre générations
Pour démarrer, les scientifiques de l’Ifremer, en collaboration avec l’Université de Caen, l’Institut de Systématique, Évolution, Biodiversité et l’Institut Universitaire de France, ont croisé 12 mâles avec 12 femelles d’huître creuse de trois classes d’âge (« jeune » de 2 ou 3 ans, « moyen » de 6 ans ou « âgé » de 8 à 10 ans) et produit 36 fratries. Ils ont exploré deux phénomènes : d’une part, le succès du développement de la descendance — c’est-à-dire la survie et la croissance des larves, la résistance des jeunes huîtres (appelées naissains) à une infection virale, en l’occurrence à l’infection due au virus OsHV-1 (ostreid herpesvirus type 1), et la survie des huîtres adultes ; d’autre part, l’effet de l’âge des parents sur la longueur des télomères et les niveaux d’activité de la télomérase qui sert à les réparer.
« En choisissant l’huître creuse comme modèle biologique, nous nous sommes affranchis de la plupart des verrous méthodologiques qui biaisent d’ordinaire ce type d’étude en biologie évolutive, explique Andreaz Dupoué, chercheur en écophysiologie évolutive à l’Ifremer qui a piloté cette étude. Car c’est un animal dont la reproduction est simple et bien maîtrisée ; à chaque reproduction, il produit de nouveaux gamètes dont la qualité est directement tributaire de l’âge des parents ; et enfin, il ne fournit pas de soins parentaux à sa descendance ce qui évite des biais expérimentaux d’une famille à l’autre. »
Premier résultat : des parents âgés produisent des descendants qui survivent et grandissent moins bien, et qui sont plus sensibles à l’infection due au OsHV-1, responsable d’épisodes de forte mortalité des jeunes huîtres creuses dans le monde entier.
Second résultat : les télomères s’érodent plus vite chez les naissains issus de parents âgés. Cette diminution de leur longueur est susceptible d’expliquer leur sensibilité accrue à l’infection due au virus OsHV-1.
Sous l’effet du virus, l’enzyme télomérase est activée comme dans 90% des cancers humains
L’activation de la télomérase est en effet un préalable au développement des tumeurs humaines identifié dans 90% des cancers. Elle agit en rendant les cellules cancéreuses immortelles et permet ainsi la croissance des tumeurs.
Les scientifiques de l’Ifremer ont également montré que si l’action de la télomérase est essentielle aux jeunes huîtres pour résister à l’infection virale, elle devient délétère lorsqu’elle est trop active. Sous l’effet du virus, la télomérase s’emballe et produit des télomères trop longs, ce qui entraine des désordres génétiques et la mort de l’huître une fois adulte.
Andréaz Dupoué et al. Reproductive aging weakens offspring survival and constrains the telomerase response to herpesvirus in Pacific oysters. September 2024. Sciences Advances.