Pêche & aquaculture

Comment la crise sanitaire liée à la Covid-19 a-t-elle impacté les filières des produits de la mer, des pêcheurs jusqu’aux consommateurs ?

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saumon emballé
D’après les résultats d’une étude menée pendant trois ans par des chercheurs en économie, la crise sanitaire liée à la Covid-19 a entraîné une série d’impacts en cascade sur les filières des produits de la mer avec une chute de 10% de l’activité de pêche en France en 2020 et de 30 millions d’euros des ventes en criée pendant le premier confinement. L’étude révèle aussi que les Français se sont tournés plus encore vers les produits de la mer frais importés et préemballés et non vers les produits frais issus de la pêche française alors en excédent sur le marché.

Alors que la France vivait ses premiers jours de confinement et que les pêcheurs restaient à quai, au printemps 2020, des scientifiques de l’unité mixte de recherche « Aménagement des usages des ressources et des espaces marins et littoraux » (UMR Amure 6308) qui rassemble des personnels de l’Université de Bretagne Occidentale, de l’Ifremer et du CNRS, ont proposé aux acteurs du monde professionnel et des gestionnaires publics de mener une étude sur les impacts de cette crise sanitaire inédite sur les filières des produits de la mer en France. Fondé sur une démarche transdisciplinaire, ce projet baptisé Copeco visait à évaluer à la fois les impacts économiques à court terme de la crise sanitaire et les effets des mesures de gestion mises en place, et les impacts à plus long-terme de la crise de nature à modifier profondément la structure de l’économie des filières pêche et aquaculture. Ce projet a duré trois ans et a livré hier ses résultats à l’occasion d’un colloque de restitution à Plouzané.

Une chute de 10% de l’activité de pêche en 2020 et une reprise difficile en France

En croisant les données de suivi des activités de pêche réunies au sein du système d’informations halieutiques (SIH) de l’Ifremer et les résultats d’une enquête qualitative menée auprès d’armateurs, les scientifiques sont parvenus à suivre l’impact de la crise sanitaire sur les activités de pêche en termes de nombre de navires, d’effort de pêche, de débarquement en quantités et valeur, de prix à la première vente en Atlantique et en Méditerranée. 

Impacts moyens de la crise sanitaire COVID-19 sur la pêche

Cumuls des impacts concernant la flotte des navires de pêche en France métropolitaine pour l'année 2020 (excluant thoniers - évolutions calculées en pourcentage par rapport à la moyenne de 2018-2019).

« Globalement, les navires de pêche ont connu en 2020, comparativement à la moyenne des deux années précédentes, une baisse d’activité de 10% (-49 000 jours de pêche) pour une baisse de production de 13% (-49 000 tonnes), et des pertes de chiffre d’affaires s’élevant à 126 millions d’euros, annonce Olivier Guyader, économiste des ressources halieutiques à l’Ifremer. Les impacts sur l’activité de pêche ont varié néanmoins selon les catégories de navires et les espèces pêchées ».

En Atlantique, même si les prix moyens à la première vente ont progressé en 2021 (+6,1% par rapport à la moyenne 2018-2019), la production française n’a pas retrouvé ses niveaux d’avant crise. La baisse de production a été de -6% avec une situation plus inquiétante pour les navires de plus de 12 mètres dont la production est restée à des niveaux proches de ceux de 2020. La tendance sur les trois premiers trimestres de l’année est assez similaire avec cependant des situations contrastées selon les flottilles.

Sans qu'il soit possible de quantifier la totalité des aides apportées à l'échelle nationale et européenne aux armateurs et aux marins embarqués, les aides ont joué un rôle déterminant pour amortir les impacts économiques négatifs de la crise sur les flottilles de pêche. En 2020 et 2021, environ 25 millions d’euros ont été alloués aux navires de pêche dans le cadre du dispositif européen d’arrêts temporaires des navires. Ce dispositif à l’origine dédié aux arrêts dits « biologiques » de la Politique commune de la pêche avait été adapté pour prendre en compte la situation exceptionnelle liée à la crise Covid-19. En pratique, ce dispositif a été davantage mobilisé par les plus grandes unités de pêche (65% des navires de plus de 12 mètres) que par les navires de petite pêche (25% des navires de moins de 12 mètres).

Une chute de 30 millions des ventes en criée entre mars et mai 2020

« Bien que marquée par des différences régionales, l’analyse des chiffre d’affaires mensuels des 34 criées (ou halles à marée) sur l’année 2020 à l’échelle nationale atteste d’une chute de 30 millions d’euros du montant des ventes sur la période du premier confinement entre mars et mai 2020, observe Pascal Le Floc’h, économiste et maître de conférence à l’Université de Bretagne Occidentale. En moyenne, le chiffre d'affaires mensuel moyen (hors confinement) des criées se situe entre 50 et 60 millions ».

Ce constat s’explique par une baisse des quantités de produits de la mer vendues en criée liée en particulier à la fermeture des restaurants et des cantines scolaires. Cette baisse n'a pas été compensée par une augmentation des prix de vente. Toutefois, cette lecture nationale masque des situations contrastées à l’échelle des territoires. Les criées les plus touchées sont celles situées en Bretagne, dans l’ouest du Cotentin (Cherbourg et Granville), à Boulogne-sur-Mer et dans le sud de la façade Atlantique sud (Les Sables d’Olonne, Oléron, Arcachon). Elles ont subi une perte supérieure à 18% de leur chiffre d’affaires en 2020 par rapport à la moyenne annuelle des trois précédentes années. A l’inverse, trois criées enregistrent une amélioration de leur chiffre d’affaires en 2020. Il s’agit de Dieppe (avec un dernier trimestre 2020 exceptionnel lié à une augmentation du prix de la coquille Saint-Jacques), de Saint-Malo et de Douarnenez (grâce à la présence des conserveries de sardines).

La consommation de poisson frais préemballé a augmenté

La France est un gros consommateur de produits de la pêche et de l’aquaculture avec plus de 30kg/an/habitant et notamment de produits frais. De précédentes études ont montré que cette consommation de produits frais, notamment de poissons, est majoritairement basée sur des produits importés (saumon, cabillaud) plus que sur des produits frais débarqués des ports français.

« Puisque les importations ont été largement restreintes, nous nous attendions à ce que les consommateurs se tournent vers les produits frais français alors en excédent en raison de la fermeture des frontières, et adoptent durablement ce mode de consommation plus local. Mais cela ne s’est pas produit ! », constate Fabienne Daurès, économiste des ressources marines à l’Ifremer.

Les dépenses des Français sur les produits frais entre 2019 et 2020 ont augmenté avec la hausse des prix - pour le consommateur - et non des volumes achetés. Seule la consommation de saumon frais a augmenté significativement, en volume et en valeur. Par ailleurs, l’achat de poissons frais « préemballés » s’est largement amplifié (+ 41 % au 1er confinement, + 45% au 2nd confinement) au détriment de poissons frais « servis par vendeur » (-27% au 1er confinement), pourtant moins cher rapporté au kg.

« Malgré quelques effets ponctuels observés (comportement de stockage, augmentation de la fréquentation des magasins de proximité…), la pandémie a probablement amplifié des tendances profondément ancrées plutôt que la remise en cause de certaines d’entre elles. Le produit préemballé reste un achat plus facile, plus rapide et plus informatif », constate-t-elle.

L’ensemble de ces résultats témoigne de la grande diversité des impacts de la crise sanitaire sur les filières des produits de la mer et leurs différents maillons. Ces travaux soulignent l’intérêt d’encourager la collaboration entre les acteurs du monde de la recherche, des professionnels de la filière et les institutions de gestion pour mieux faire face aux perturbations qui affectent ces filières (Brexit, concurrence spatiale avec d’autres activités, impacts du changement climatique, nouvelles tendances de consommation).

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