Anticiper l’impact du changement climatique sur les huîtres et les moules
Les activités humaines sont responsables de 90 % des rejets de CO2 dans l’atmosphère. L’océan absorbe chaque année 25 % de cet excès de dioxyde de carbone, avec pour conséquences une acidification observée de 0,1 unité de pH et une augmentation de température de 1°C depuis l’ère industrielle. Cet excès de CO2 dans l’eau de mer provoque également une diminution de la concentration en carbonate de calcium. Or, c’est à partir de cet élément chimique que le plancton, les coraux, les mollusques (huîtres, moules...) et beaucoup d’autres organismes marins dits « calcifiants » construisent leur coquille ou leur squelette interne.
L'acidification : un stress pour le développement des huîtres
« Les effets du réchauffement et de l’acidification de l’océan sur la santé des huîtres sont en partie connus, mais la plupart des études réalisées dans le monde jusqu’ici se limitent aux effets à court-terme sur une seule espèce à un stade de développement donné, et sans considérer les effets d’autres facteurs de stress comme la température ou la nutrition. L’originalité de notre projet porte donc sur la prise en compte de l’évolution future du pH et de la température sur plusieurs générations de bivalves et plusieurs espèces maintenues dans des conditions écologiques aussi réalistes que possible. »
Fabrice Pernet, chercheur à l’Ifremer spécialiste de la physiologie des organismes marins et coordinateur du projet CocoriCO2
En 2019, les premiers résultats d’un précédent projet baptisé AïAïAï montraient que les juvéniles d’huîtres creuses peuvent supporter des baisses importantes du pH jusqu’à atteindre un point de bascule physiologique autour de 7,3, ce qui est bien en deçà du niveau actuel des côtes françaises où le pH varie entre 8,1 et 7 ,8.
« Après avoir analysé de plus près certaines caractéristiques d’huîtres ayant grandi dans des conditions même peu acides, nous avons découvert que leur coquille était moins épaisse et plus légère, suggérant une moindre résistance à la prédation et aux chocs (vagues ou manipulations conchylicoles), révèle Fabrice Pernet. Par conséquent, une exposition à long terme à une acidification modérée au-dessus du point de basculement pourrait nuire à la condition générale des huîtres sans forcément compromettre leur survie. L’impact est plus frappant chez les larves pour lesquelles la survie est compromise en dessous de 7,6. »
À travers le projet CocoriCO2, l’Ifremer en partenariat avec le CNRS, le Comité National de la Conchyliculture et les Comités Régionaux de Bretagne-Nord et de Méditerranée, veut aller plus loin pour permettre aux acteurs du monde conchylicole d’anticiper les effets de l’acidification et proposer des mesures d’adaptation à long terme.
Surveiller le pH sur tout le littoral
Depuis le début du projet CocoriCO2 en janvier 2020, un réseau de 14 sondes a été déployé près de sites conchylicoles depuis le nord de la Bretagne jusqu’à la Méditerranée (Morlaix, Brest, Quiberon, Oléron, Arcachon, Sète). Dans chaque zone, deux sondes sont installées : l’une près de la côte et l’autre plus au large pour observer les différences de pH.
« C’est le premier réseau de suivi de l’acidification des eaux côtières et conchylicoles en France, se réjouit Frédéric Gazeau, chercheur au CNRS au Laboratoire d’océanographie de Villefranche (CNRS/Sorbonne Université), également coordinateur scientifique du projet CocoriCO2. Grâce à de précédentes mesures, nous savons que le milieu côtier est plus vulnérable à l’acidification. Son pH est beaucoup moins stable qu’au large : il varie au fil des saisons (de 7,8 à 8,1) et de la journée. Et pourtant les modèles climatiques actuels sont fondés sur des mesures de pH effectuées au large. Il est donc essentiel de suivre le pH des sites conchylicoles afin d’évaluer leur vulnérabilité vis-à-vis de l’acidification et d’établir des projections réalistes. »
Grâce aux séries de données de pH haute-fréquence récoltées, les scientifiques connaîtront l’évolution de la composition chimique des eaux côtières et notamment leurs taux d’aragonite, un minéral indispensable pour la formation de la coquille des mollusques.
Tester les conditions de scénarios du GIEC sur plusieurs générations
Deux stations expérimentales ont été installées à Porscave (29) au sein du centre technique conchylicole du CRC Bretagne-Nord, et en Méditerranée à Mèze (34). Dans ces deux bassins, des huîtres creuses, des huîtres plates et des moules sont maintenues dans des conditions de température et pH prévues en Atlantique et Méditerranée pour 2050, 2075 et 2100 par le GIEC. Le cycle des marées est reproduit et le phytoplancton pour alimenter les animaux provient du milieu naturel, ce qui permet d’être proche de la réalité.
L’objectif est ici d’analyser pendant 3 ans la croissance, la survie, la physiologie, la qualité des coquilles et la valeur nutritionnelle des coquillages.
« Ces expériences à long terme permettront d’évaluer les capacités d'acclimatation et d'adaptation des bivalves au fil des générations et de fournir un aperçu clair de l'avenir de ces espèces et de leur exploitation, des résultats cruciaux pour l’avenir de nos professions »
Philippe Le Gal, président du CNC
Des pistes de solutions
Au cours du projet, des enquêtes seront menées auprès des conchyliculteurs afin d’évaluer leur perception du risque lié à l’acidification. En parallèle, plusieurs pistes de solutions pour réguler le pH seront testées en laboratoire puis en conditions réelles dans des sites conchylicoles. L’utilisation de macro-algues communément trouvées sur l’estran et de produits issus de déchets coquillés pourraient contribuer à rendre le milieu plus alcalin (basique) et remédier localement à l’acidification océanique.
À propos
Le projet CocoriCO2 (La conchyliculture dans un monde riche en CO2) a démarré en février 2020 et se terminera juin 2023, les installations expérimentales sont opérationnelles depuis septembre 2021. CocoriCO2 est coordonné scientifiquement par l’Ifremer et le CNRS en partenariat avec deux Comités Régionaux de la Conchyliculture (CRC) de Bretagne-Nord et de Méditerranée, ainsi que le Comité National de la Conchyliculture (CNC). Le projet est financé par le FEAMP (Fonds Européen pour les Affaires Maritimes et la Pêche).