Plateformes carbonatées, des archives sédimentaires pour prédire les changements futurs
Les plateformes carbonatées, qu’est-ce que c’est ?
Formées dans des eaux peu profondes, les plateformes carbonatées sont des structures géologiques qui se créent à partir de
(sidenote:
Sédiments
En géologie, les sédiments sont des matériaux créés par l'érosion, la dégradation ou l'altération de matières minérales (roches, coraux, animaux, sable…). Les sédiments peuvent être transportés par le vent, les précipitations, les courants… et se déposent, par exemple, au fond de l'océan.
)
calcaires d’origine organique : c’est ce qu’on appelle une bioconstruction. Ces plateformes sont construites soit par des organismes qui se fixent sur un substrat (coraux, algues…) soit par une accumulation de sédiments calcaires provenant de squelettes d’organismes planctoniques.
Ce sont des structures souvent longues de plusieurs kilomètres voir des milliers de kilomètres (Bancs des Bahamas, barrière de corail du Belize, grande barrière de corail d’Australie…).
Les organismes bâtisseurs des plateformes carbonatées diffèrent selon leur situation géographique et plus précisément, selon la température de leurs eaux. En zone intertropicale, les coraux sont les éléments de structure, alors qu’en eau froide ce sont des algues calcaires, comme le (sidenote: Maërl C'est une structure marine créée par une accumulation d'algues rouges calcaires situées en eaux peu troubles et peu profondes (30 m maximum). ) en rade de Brest.
Il existe 4 types de plateformes carbonatées :
- Les (sidenote: Récifs Ce sont des rochers ou chaîne de rochers qui se situent proche de la surface de l'eau. ) frangeants, situés sur le littoral d’un continent ou d’un volcan ;
- Les récifs barrières, des structures concentriques séparées du continent ou du volcan principal par un lagon ;
- Les rampes carbonatées, situées sur une pente douce et régulière entre le continent et le bassin profond ;
- Les plateformes isolées, des structures en hauts fonds dont la particularité est de ne pas être connectées à un continent. Ce sont par exemple des atolls : des couronnes récifales entourant des lagons.
Pourquoi étudier ces plateformes ?
On sait qu’avec le changement climatique, le niveau des mers augmente. Or, on ne dispose de relevés de ce niveau que depuis 150 ans. Cela ne permet pas d’avoir le recul nécessaire pour savoir comment vont réagir les écosystèmes. C’est là qu’intervient l’étude des plateformes carbonatées. L’analyse de leurs sédiments calcaires, qu’on peut récupérer par forage, permet de remonter jusqu’à 20 000 ans ! Avant cette période, les datations sont peu précises et les incertitudes sont plus nombreuses à cause de la dégradation des sédiments.
Les sédiments qui composent les plateformes carbonatées sont des archives du passé, ils peuvent apporter différents types d’informations :
- situer l’histoire d’une structure en datant les couches de sédiment
- étudier les organismes présents dans les sédiments, témoins des changements climatiques et d’environnement (changements de température des eaux de surface, changement de la dynamique des courants océaniques…)
- comprendre le système climatique dans son ensemble grâce aux coraux, ces organismes ont le potentiel de pouvoir enregistrer avec leur squelette tous les petits changements de leur environnement (voir plus bas).
L’objectif des chercheurs de l’Ifremer est de rassembler des données en réalisant des mesures sous différentes formes (forages, relevés, observations, études des données et des documents existants…).
L’Ifremer participe à des campagnes d’exploration pour mieux comprendre l’histoire géologique et le contexte global du changement climatique.
Les récifs coralliens, témoins de l’histoire des écosystèmes
À l’Ifremer, les études sur les plateformes carbonatées sont principalement réalisées dans les zones intertropicales sur des récifs coralliens. Les coraux sont des organismes très sensibles aux variations environnementales. Ce sont donc des archives sédimentaires importantes pour l’étude des événements environnementaux passés et pour réaliser des prédictions sur les évolutions futures.
Les coraux ont des facteurs de développement spécifiques permettant une récolte précise des données. Ils doivent être dans la zone de pénétration de la lumière, c’est-à-dire à 20 mètres de profondeur maximum pour 80 % des espèces. Il faut un substrat sur lequel les larves de coraux peuvent se fixer. Les coraux doivent avoir accès à la lumière et donc ne pas être dans des zones d’eau trouble. Il faut qu’ils soient dans une eau chaude, entre 25 °C et 28 °C.
Ainsi, les coraux se développent en suivant la variation du niveau de la mer afin de rester dans la zone de pénétration de la lumière nécessaire à leur évolution. Leur développement est ralenti voir arrêté lorsque les eaux sont troubles (par exemple à cause de sédiments venant des rivières), ou que le niveau de la mer augmente trop vite, ou que le niveau descend au point qu’ils soient émergés.
Ces recherches s’inscrivent dans l’ambition de l’Ifremer de comprendre et prévoir l’évolution de l’océan à l’horizon 2100.
Les données récoltées sur les changements climatiques à différentes périodes de l’histoire sont utilisées par des organismes comme le GIEC afin d’alimenter des modèles climatiques pour réaliser des simulations. Plusieurs projections avec des marges d’incertitudes différentes, de la plus optimiste à la plus pessimiste, sont présentées. Le sixième rapport du GIEC prévoit que le niveau de la mer sera plus élevé de 15 cm à 30 cm en 2050.
Impacts des humains sur le développement des plateformes carbonatées
Les plateformes carbonatées connectées à un continent sont soumises aux sédiments venant de l’érosion des bassins versants, via l’écoulement des rivières et les précipitations. Cette érosion est accentuée par le changement climatique et l’activité humaine. Certaines recherches à l’Ifremer ont pour but de comprendre dans quelle mesure cela peut modifier les écosystèmes d’un lagon ou d’une plateforme carbonatée.
Des travaux sont notamment réalisés dans le lagon de Nouvelle-Calédonie pour essayer de comprendre comment ces environnements coralliens peuvent réagir à des modifications de leur environnement. Que ce soit l’élévation du niveau marin, les mouvements des continents, le réchauffement des eaux, l’impact humain. Il y a 20 000 ans le lagon de Nouvelle-Calédonie était une plaine, parcourue par de nombreux fleuves. Une partie des recherches a pour but de comprendre comment le remplissage de ce lagon s’est effectué depuis la dernière remontée du niveau marin. Une seconde partie des travaux concerne l’impact de l’activité humaine (extraction de minerai à ciel ouvert) sur la sédimentation du lagon.
La théorie de Darwin sur la formation des atolls est incomplète
Darwin a été le premier à émettre une théorie concernant la formation des atolls. Dans ses travaux publiés en 1842, il explique la formation de ces plateformes par la sortie d’un volcan qui au fil du temps s’enfonce pour ne plus être visible. Sa théorie est que les 3 types de récifs qu’il observe sont les 3 étapes de formation : d’abord le volcan s’élève puis le récif frangeant se crée autour, lorsque le volcan commence à s’enfoncer, puis il devient un récif barrière pour, in fine, devenir un atoll.
À cette époque, il manquait à Darwin au moins 3 concepts :
- le concept de variation du niveau de la mer, découvert à la fin du 19e siècle ;
- celui de la dissolution du calcaire sous l’action de l’eau de pluie (mis en évidence en 1930) ;
- la découverte de plateformes carbonatées qui ne sont pas basées sur une chaîne volcanique, comme les atolls aux Maldives.