Les écosystèmes côtiers et estuariens sont soumis à de nombreuses contraintes, naturelles (l’océan, la météo, les apports des rivières…) ou induites par les activités humaines. Or, ces écosystèmes sont des lieux importants pour la biodiversité : par exemple, la plupart des coquillages et crustacés y vivent, de nombreuses espèces de poissons ou d’oiseaux viennent s’y nourrir, s’y reposer ou s’y reproduire.
L’Ifremer étudie les changements qui s’opèrent sur le littoral, et s’intéresse en particulier aux estuaires des fleuves. Ce sont des zones en mouvement, principalement sous deux influences :
- Le changement climatique, qui induit une montée du niveau de la mer, un changement du régime des tempêtes et du débit des fleuves (on s’attend à des crues plus intenses, et à des (sidenote: Étiage C’est le niveau le plus bas d’un cours d’eau. ) plus sévères et plus longs), une acidification des eaux.
- Les forçages anthropiques, c’est-à-dire les modifications liées aux activités humaines, notamment les creusements de chenaux pour la navigation, des aménagements (villes, ports), etc.
Quel est l’impact de la houle et des activités humaines sur les estuaires ?
L’Ifremer étudie les conséquences de ces influences, plus particulièrement sur les estuaires de la Seine, la Loire et la Gironde. Le Havre, Nantes et Bordeaux sont de grands ports, qui nécessitent le creusement et l’entretien des chenaux pour la navigation et la création de digues pour éviter le déplacement des bancs de sable. Ces aménagements changent la propagation de la marée et les courants. Ainsi, plus l’estuaire est profond et étroit, plus la marée remonte loin dans les terres, ce qui fait augmenter la salinité de l’eau et des sols à l’embouchure des fleuves.
L’institut souhaite évaluer l’impact du changement climatique et des événements intenses ou extrêmes sur les différents compartiments du système côtier, notamment :
- le transport de (sidenote: Sédiments En géologie, les sédiments sont des matériaux créés par l'érosion, la dégradation ou l'altération de matières minérales (roches, coraux, animaux, sable…). Les sédiments peuvent être transportés par le vent, les précipitations, les courants… et se déposent, par exemple, au fond de l'océan. ) et donc la morphologie de l’estuaire (c’est-à-dire sa forme) ;
- les espèces vivantes, perturbées lorsque de l’eau (sidenote: Saumâtre Une eau saumâtre est plus salée qu’une eau douce (moins de 1 gramme de sel par litre d’eau), mais moins que l’eau de mer (en moyenne 35 grammes de sel par litre d’eau). On trouve de l’eau saumâtre dans les lagunes, des marais salants, des estuaires, etc. ) pénètre dans un écosystème d’eau douce ;
- les zones de captage pour l’eau potable, qui peuvent être envahies d’eau salée.
Ces questions sont actuellement abordées dans différents projets du Programme prioritaire de recherche Océan et Climat.
Pour étudier ces conséquences, l’Ifremer s’appuie sur les données issues des réseaux d’observation de l’infrastructure de recherche ILICO, les bases de données issues des satellites (couleur de l’eau) et sur des modèles numériques. Ces recherches sont aussi nécessaires pour guider la décision des gestionnaires. Par exemple, dans la baie de Seine, selon où sont déposées les vases issues du dragage des ports, les plages situées au sud de l’estuaire peuvent être impactées ou non. Soit les eaux chargées en sédiment deviennent marron et provoquent une baisse d’attractivité pour la baignade. Soit, si le sédiment est déposé trop au large, il est perdu pour l’estuaire, alors qu’il est nécessaire pour protéger le littoral face à la montée des eaux.
L’Ifremer s’intéresse aussi aux effets des tempêtes sur les estuaires. Comment modifient-elles les bancs sédimentaires aux embouchures des fleuves ? Par exemple, en cas de forte tempête, les bancs peuvent être déplacés. Ceci modifie les entrées d’eaux marines, pouvant provoquer l’érosion ou l’ensablement, la dégradation, voire la destruction complète d’écosystèmes côtiers sensibles. Les tempêtes peuvent aussi provoquer un brassage des sédiments du fond des estuaires. Par le passé, les eaux côtières pouvaient être riches en métaux lourds et une partie de ces éléments s’est déposée sur les fonds des estuaires. Les scientifiques de l’Ifremer étudient comment les tempêtes peuvent remettre en suspension ces éléments ; ils évaluent leur déplacement pour estimer l’éventuel risque associé.
Quels sont les effets sur les estuaires de la montée du niveau de la mer ?
La montée du niveau de la mer sous l’effet du changement climatique avait jusqu’à présent une évolution progressive : les côtes s’adaptaient, les courants et les vagues apportaient du sédiment qui comblaient les parties déplacées par les tempêtes. Or, dans les 50 prochaines années, les scénarios attendus sont une hausse du niveau de la mer plus marquée et à l’augmentation de l’intensité des tempêtes et de la pluviométrie. Les côtes seraient ainsi soumises à une plus forte érosion et les estuaires à une augmentation du débit du fleuve. Comment les estuaires vont-ils évoluer ?
Deux cas sont possibles :
- soit les apports en sédiments sont suffisants et la côte peut se « nourrir »
- soit les apports en sédiments sont faibles (par exemple du fait d’un barrage en amont qui les retient, ou d’une forte extraction de granulats marins sur le plateau continental…) : le système peut-il s’adapter ou y a-t-il risque de submersion ?
Pour anticiper ces conséquences, l’Ifremer développe des modèles numériques qui combinent les effets des marées, du vent, des vagues, le débit des fleuves, etc.
40 ans de modélisation de l’estuaire de la Seine
Les scientifiques de l’Ifremer et leurs partenaires travaillent depuis les années 90 à mettre en équation l’estuaire de la Seine pour comprendre son fonctionnement. Ils sont à présent capables de simuler des paramètres clés pour l’écosystème : salinité, température, matières en suspension… en réponse à une morphologie donnée de l’estuaire et en considérant le vent, les vagues, la marée, le débit des cours d’eau… Ces modèles permettent à la fois de remonter dans le passé (sur la période 1960-2010) pour visualiser l’impact des aménagements réalisés depuis la fin des années 70, mais aussi de se projeter dans le futur, à l’échelle de 10 ans, 50 ans, pour anticiper les zones de formation de banc et celles où, à l’inverse, l’érosion s’accentuera, ou encore les effets de l’élévation du niveau marin liée au changement climatique.
Étudier le passé pour comprendre le présent (et réciproquement)
D’autres équipes de l’Ifremer remontent encore plus loin dans le passé, durant toute l’ère Quaternaire (qui correspond aux derniers 2,6 millions d’années jusqu’à nos jours). Les scientifiques analysent les sédiments transportés par les fleuves à cette époque, comme le paléofleuve de la Manche, et déposés dans les éventails sédimentaires des zones profondes pour étudier la succession d’épisodes glaciaires et interglaciaires. Ainsi, les sédiments permettent de reconstituer les climats et la géologie de l’époque (niveau de CO2, présence de glaciers, inclinaison de l’axe de la Terre, niveau marin…) : lors de la dernière glaciation, il y a 20.000 ans, l’Irlande était en partie recouverte de 300 m de glace. Ces travaux contribuent à une meilleure connaissance des processus climatiques en jeu et à une meilleure anticipation des changements climatiques futurs.
Les instabilités glaciaires actuelles et à venir, causées par le changement climatique, n’ont pas d’analogues dans un passé récent, enregistré par les humains et les satellites. En étudiant les sédiments passés, les scientifiques de l’Ifremer cherchent à comprendre les instabilités glaciaires récurrentes du Quaternaire, leurs conséquences en termes d’évolution du niveau marin global, de production de sédiments dans les bassins versants et de transport de ces sédiments jusque dans l’océan profond. Ainsi, les millions de mètres cubes de sédiment déposés au large des grands fleuves méditerranéens, comme le Rhône ou le Pô, constituent une archive précieuse de l’histoire des glaciations alpines et de leurs impact sur le transport sédimentaire au cours des derniers cycles glaciaires-interglaciaires.
Comment les écosystèmes sont-ils impactés ?
Les apports d’eau marines dus aux tempêtes
Les tempêtes causent la remontée d’eaux marines dans les zones d’eaux douces. Cette salinisation des zones humides fragilise de nombreux organismes. De plus, le sel, en pénétrant dans le sédiment, provoque des réactions chimiques qui causent la libération de phosphates dans l’eau. Cette pollution par les nutriments cause une prolifération de végétaux susceptibles d’asphyxier les autres espèces.
Les crues estivales peuvent causer des blooms de phytoplancton
Les modifications à venir du climat vont rendre plus incertaine la façon dont les eaux douces des fleuves se jettent dans les eaux côtières. Le changement climatique engendrera des événements météorologiques exceptionnels plus fréquents. L’un d’eux est la formation de crues des fleuves à des périodes où la température est encore chaude. Ces crues augmentent les apports de nutriments vers la mer. Ainsi, avec des nutriments et de la chaleur, les conditions sont idéales pour le développement d’un bloom de phytoplancton, qui peut asphyxier le milieu, ou être composé d’algues toxiques pour les écosystèmes ou les humains.
La température des eaux côtières modifie les écosystèmes
La température des eaux marines, comme celle des fleuves, risque d’augmenter sous l’effet du changement climatique. Certaines espèces pourraient ne pas survivre, ou migrer, ce qui modifiera ou déséquilibrera les chaînes alimentaires.
Les sédiments changent la chimie des écosystèmes
Un apport exceptionnel de sédiments ou une modification de la salinité peuvent impacter les autres éléments chimiques, notamment l’oxygène. En effet, selon la taille et la nature des particules sédimentaires apportées, les éléments chimiques dissous dans l’eau peuvent être modifiés, captés dans le sédiment du fond ou au contraire libérés dans l’eau.
Par exemple, les ostréiculteurs ont besoin d’anticiper les apports de sédiments car ceux-ci augmentent la turbidité, la présence de contaminants et diminuent l’oxygène disponible pour les huîtres.