Maladies des coquillages marins : quelles solutions innovantes pour des élevages durables ?
Depuis les années 1990, on observe des épisodes de mortalité massive de coquillages de plus en plus fréquents. Les conchyliculteurs voient un grand nombre des coquilles ouvertes ou vides, ou bien une baisse de récolte. La présence d’un organisme pathogène n’engendre pas toujours des mortalités, mais peut perturber la croissance ou le bon développement des huîtres.
Les causes des mortalités sont souvent multiples et liées : elles mêlent des conditions environnementales (augmentation de la température de l’eau, pollution…), des pratiques d’élevage, des agents infectieux (virus, bactéries…). Les recherches de l’Ifremer visent à comprendre les mécanismes en jeux et à modéliser les risques associés à ces combinaisons de facteurs. Les scientifiques s’intéressent à tous les coquillages et en particulier ceux ayant un intérêt économique : huître creuse, huître plate, palourde, moule, coque...
Focus sur les mortalités dues à des organismes pathogènes (bactéries, virus, parasites) et les solutions innovantes développées à l’Ifremer.
Surveiller la présence des organismes pathogènes
L’Ifremer apporte son soutien à la surveillance de virus, bactéries et parasites affectant les coquillages dans les élevages conchylicoles. L’institut a une mission d’appui aux politiques publiques et dispose de mandats (aux niveaux national et européen) de laboratoire de référence pour le diagnostic des maladies affectant les mollusques marins. Il développe des techniques de détection, forme et apporte son soutien aux laboratoires d’analyses spécialisés, en France et en Europe. En effet, les techniques comme les connaissances scientifiques sur les animaux et les organismes pathogènes, évoluent.
Le laboratoire de référence pour les mollusques marins
Comprendre la biologie des bivalves et les « attaques » des bactéries, virus et parasites
Les scientifiques de l’Ifremer s’attachent à comprendre la biologie des coquillages, le fonctionnement de leur système immunitaire, leur relation avec l’environnement. Ils étudient aussi dans quelles conditions les virus, bactéries et parasites prolifèrent (température de l’eau, pratiques d’élevage, âge de l’huître…).
Ils anticipent aussi les évolutions futures. Par exemple, certains organismes pathogènes qu’on pensait absents du littoral français peuvent être aujourd’hui détectés : sont-ils nouveaux ? ou bien étaient-ils présents mais ne posaient pas de problème avant ? Les épisodes de mortalité massive se déroulent souvent en été, lorsque l’eau est chaude. Quelles seront les conséquences de l’augmentation de température de l’eau de mer, de son acidification, et de l’augmentation des pollutions sur la réponse immunitaire des coquillages ?
OsHV-1 µvar, un variant de l’herpesvirus qui décime les jeunes huîtres
L’herpesvirus OsHV-1 est un agent pathogène de l’huître creuse connu sur les côtes françaises depuis le début des années 90. En 2008, un variant a été nouvellement détecté, en association à des épisodes de mortalité massive dans l’ensemble des zones ostréicoles françaises : le variant µvar (se prononce « microvar »). Il cause une mortalité en moyenne supérieure à 50% de la population et jusqu’à 90% selon les lots touchés. Le virus OsHV-1 s’attaque aux naissains (huîtres de moins d’un an), sur les côtes françaises mais aussi dans d’autres pays d’Europe et dans le monde. Les moyens de lutte contre cette maladie sont encore limités. Pour l’instant les professionnels s’adaptent, par exemple en augmentant la quantité de naissain afin de garder une production finale suffisante. Des résultats ont aussi été obtenus concernant la sélection d’huîtres creuses présentant des meilleurs niveaux de résistance à l’infection virale ou bien encore la stimulation des capacités de défense vis-à-vis du virus.
Vibrio aestuarianus s’attaque aux huîtres creuses juvéniles et adultes
Cette bactérie cause des mortalités importantes, même si elles peuvent apparaître moins foudroyantes que celles liées au virus OsHV-1. Elles peuvent durer dans le temps et au total, le nombre d’individus morts est conséquent ! La bactérie Vibrio aestuarianus pose d’autant plus problème qu’elle s’attaque aux juvéniles et adultes, en fin d’élevage (donc une fois que les ostréiculteurs ont effectué la majeure partie du travail d’élevage).
Identifier des solutions pour l’ostréiculture de demain
L’Ifremer cherche des moyens de lutte contre ces organismes pathogènes avec des approches à la fois de sélection génétique, d’épigénétique, d’immunologie, mais aussi de technique d’élevage.
OsHV-1 interagit avec la flore bactérienne des huîtres creuses
Les scientifiques de l’Ifremer ont montré que le virus OsHV-1 s’attaque à la fois aux cellules et au système immunitaire de l’huître creuse. Ces agressions aboutissent à une modification de son microbiote. L’infection virale induit un déséquilibre de la flore bactérienne de l’huître creuse ; en particulier elle aboutit à une réduction de la quantité de bactéries bénéfiques. Déstabilisé, ce microbiote ne joue plus son rôle de protection. Affaiblie, l’huître peut mourir d’une infection bactérienne généralisée. Cette compréhension des conséquences d’une infection par OsHV-1 est utile pour ouvrir des pistes de solutions.
Sélectionner des huîtres creuses plus résistantes à certaines infections
L’Ifremer a montré l’existence de bases génétiques liées à une meilleure résistance à l’infection à OsHV-1 ou bien à l’infection par la bactérie Vibrio aestuarianus chez certaines huîtres creuses. Ces bases peuvent servir au développement de programmes de sélection génétique (portés par le secteur professionnel). Par croisements successifs, il est possible d’obtenir des animaux qui résistent mieux à certaines maladies. Cependant, les programmes de sélection vis-à-vis de la résistance à certaines maladies doivent aussi préserver la diversité génétique. Cette diversité permet aux populations d’huîtres creuses de mieux supporter d’autres changements.
Les scientifiques ont aussi identifié des critères (sidenote: Epigénétique L’épigénétique est l'étude de la façon dont les comportements et l’environnement peuvent provoquer des changements qui affectent le fonctionnement des gènes. Contrairement aux modifications génétiques, les modifications épigénétiques sont réversibles et ne modifient pas la séquence d'ADN, mais elles peuvent modifier la façon dont le corps lit une séquence d'ADN pour produire une protéine. Alors que les changements génétiques peuvent modifier la protéine fabriquée, les changements épigénétiques affectent l'expression des gènes pour activer et désactiver les gènes. ) , pour permettre la sélection d'huîtres creuses mieux adaptées à leur environnement ou plus résistantes à certaines maladies.
Stimuler les défenses des huîtres creuses
Les huîtres, comme les autres invertébrés, n’ont pas d’anticorps. Cependant, les scientifiques ont découvert que les mollusques ont une forme de mémoire immunitaire qui peut être stimulée : un huître creuse exposée au virus OsHV-1 inactivé réagit mieux à une nouvelle exposition à ce même virus infectieux. L’Ifremer a ainsi mis au point une technique qui permet de protéger en laboratoire des huîtres creuses contre l’infection virale.
L’institut poursuit le développement de ces travaux en immuno-stimulation pour une application potentielle chez les professionnels. Il s’agit aussi d’évaluer le risque associé à cette nouvelle pratique : quel impact cela a-t-il sur la croissance, la reproduction de l’huître creuse ? Ces essais sont effectués sur les plateformes d’expérimentation de l’Ifremer.
La plateforme mollusques marins de La Tremblade
Stimuler l’immunité via le microbiote
Les huîtres creuses sont des animaux qui se nourrissent en filtrant les particules présentes dans l’eau de mer. Elles vivent ainsi en permanence avec un cortège de microorganismes dans et sur leur corps et qui jouent un rôle pour la santé de l’huître.
Les scientifiques de l’Ifremer essaient de renforcer ce microbiote des huîtres. Dans un premier temps, ils ont montré qu'exposer des huîtres creuses, à des stades d’élevage très précoces, à une microflore issue d'huîtres creuses saines, permettait d'améliorer la survie des huîtres creuses face au virus OsHV-1. Ce bénéfice se prolonge sur plusieurs générations : c’est une forme d'éducation du système immunitaire à mieux reconnaître les « bonnes » bactéries des « mauvaises », notamment via des mécanismes épigénétiques. Ces travaux ont permis d'identifier des souches de bactéries bénéfiques pour l'huître creuse qui pourront être utilisées comme probiotiques pour améliorer la santé et renforcer l'immunité de ces animaux.
Faire évoluer les pratiques d’élevage
Les progrès des connaissances scientifiques peuvent amener l’Ifremer à émettre des conseils pour l’élevage. Par exemple, chez l’huître plate, les chercheurs ont compris que le parasite (sidenote: Protozoaire Les protozoaires sont des êtres vivants constitués d'une seule cellule eucaryote (c’est-à-dire pourvue d’un noyau, comme nos cellules et contrairement aux bactéries) et sans chlorophylle qui permet de pratiquer la photosynthèse (contrairement aux microalgues). Quelques exemples de protozoaires : les amibes, les paramécies, les foraminifères… ) Marteilia refringens, est bien présent dans le sédiment. Les scientifiques ont donc préconisé de favoriser les élevages sur supports (comme pour l’huître creuse), plutôt que sur le fond sableux marin, où le parasite est plus présent.
L’institut répond aussi aux sollicitations des professionnels, pour vérifier des constats empiriques et comprendre leurs causes. Par exemple, des professionnels de la lagune de Thau ont constaté qu’émerger temporairement les huîtres creuses améliore leur survie et leur croissance. L’Ifremer étudie les mécanismes en jeu pour aider la filière à développer de telles pratiques vertueuses.