Comment préserver les aliments des microbes ?
Beaucoup d’aliments sont naturellement contaminés par des microorganismes, dont de nombreuses bactéries. Si ces bactéries se développent, elles peuvent être dangereuses pour le consommateur, ou dégrader la (sidenote: Qualités organoleptiques Les qualités organoleptiques d’un aliment sont ce qui est détecté par nos sens : l'apparence, l'odeur, le goût et la texture de l’aliment. ) de l’aliment : il change de couleur, d’aspect, d’odeur… C’est pour cela que l’on conserve les aliments au froid, ou en bocaux et boites stérilisées. La conservation des matières premières peut aussi se faire par des méthodes de fermentation, basées sur des microorganismes : la transformation du lait en fromage, du chou en choucroute… mais ces méthodes transforment souvent le produit !
Bactéries contre bactéries.
La technique de la biopréservation des aliments, aussi appelée bioconservation, se développe aujourd’hui. Cette technique douce de conservation consiste à intégrer dans l’aliment des microorganismes présentant des activités anti-microbiennes et ne modifiant pas les caractéristiques du produit (le saumon fumé reste du saumon fumé !). La plupart du temps, ces microorganismes sont eux aussi des bactéries, qui sont dans ce cas bénéfiques pour le produit et sa conservation.
L’Ifremer conserve les produits de la mer grâce à des bactéries marines
À Nantes, les scientifiques de l’Ifremer développent des méthodes de biopréservation des aliments issus de la mer. Ils ont identifié de « bonnes » bactéries marines capables de combattre les « mauvaises » bactéries qui peuvent s’installer dans les aliments.
Nos scientifiques s’intéressent à la conservation des produits comme le saumon fumé ou gravlax, les poissons en barquettes (emballés sous atmosphère protectrice), les crevettes cuites décortiquées... Ces produits se conservent peu de temps ou nécessitent du sel, du fumage ou parfois des conservateurs. Les recherches de l’Ifremer permettent ainsi de remplacer les additifs chimiques et de diminuer les quantités de sels, pour contribuer à une alimentation plus saine.
L’Ifremer a déposé deux brevets et autorisé l’utilisation, sous licence, de plusieurs bactéries par des industriels, pour de nombreuses applications en biopréservation des aliments. Une autre utilisation envisagée est de les pulvériser sur les surfaces, en usine, pour éviter la contamination lors de la découpe et de la préparation.
5 000
souches de bactéries sont stockées dans la collection de l’Ifremer dédiée aux biotechnologies. Il s’agit en majorité des bactéries récupérées sur des produits de la mer. D’autres viennent des sources hydrothermales profondes.
Identifier les bactéries les plus appropriées en agroalimentaire
Les scientifiques de l’Ifremer choisissent les bactéries.
Pour cela ils se basent sur plusieurs critères, nécessaires pour rendre leur utilisation possible par les entreprises agroalimentaires. Celles-ci doivent :
- avoir une action antimicrobienne, par exemple contre les bactéries de la famille des (sidenote: Listeria Cette famille de bactéries, présente presque partout, est très résistante. Les Listeria peuvent survivre au froid et à la désinfection des mains, couteaux ou ateliers de production de l’agroalimentaire. L’une d’elle, Listeria monocytogenes, est responsable chez l’humain de la maladie listeriose (diarrhées, symptômes grippaux, voire méningites ou décès chez les personnes fragiles). ) ;
- ne pas être elles-mêmes toxiques pour les consommateurs ou les animaux ;
- préserver les qualités organoleptiques du produit : certaines bactéries détériorent la chair de saumon, ou sentent mauvais ;
- avoir des aptitudes technologiques. L’Ifremer cible en particulier des bactéries (sidenote: Lyophilisation Ce procédé consiste à dessécher, sous vide d’air, des aliments préalablement congelés. Les aliments (ou ici les bactéries !) sont alors faciles à conserver et prennent moins de place. C’est une méthode couramment utilisée pour le café instantané, les soupes en sachets... ou les menus des astronautes ! ) et faciles à cultiver.
Les bactéries choisies sont le plus souvent des bactéries lactiques, c’est-à-dire capables de transformer les sucres en acide lactique. Ces microorganismes sont utilisés dans le monde entier, en particulier dans les laitages fermentés (le yaourt, le fromage), mais aussi pour la fermentation des légumes, du vin, du pain, etc.
Identifier des gènes d’intérêt.
Les scientifiques de l’Ifremer étudient aussi le génome des microorganismes. Par exemple, s’ils identifient chez une bactérie un mécanisme intéressant (la production d’une toxine antimicrobienne par exemple), les chercheurs peuvent remonter jusqu’au gène qui code pour cette toxine. Ils peuvent ainsi rechercher de manière automatisée cette caractéristique génétique chez d’autres bactéries et ainsi trouver des bactéries potentiellement intéressantes pour la bioconservation des aliments.
Vérifier le goût et l’odeur des aliments.
Une fois sélectionnées, les bactéries passent rapidement à l’étape du test sur un produit de la mer. Enfin, les produits sont dégustés par un jury de consommateurs de l’Ifremer qui vérifie que les qualités organoleptiques des produits sont bien conservées.
Un jury d’experts
L’Ifremer dispose en interne d’un jury de consommateurs, composé de 30 membres de l’institut, formés à la dégustation.
Un laboratoire unique en France
L’Ifremer améliore aussi la connaissance sur ces bactéries marines aptes à biopréserver les aliments. Les scientifiques étudient ces bactéries marines pour comprendre leurs mécanismes d’action et caractériser leur génome. À Nantes, un laboratoire de l’Ifremer étudie ces bactéries depuis près de 30 ans. Ce laboratoire est unique en France et son expertise est reconnue à l'international.