Vers une pêche française durable des petits poissons pélagiques

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Balle de sardines près de la surface

Balle de sardines près de la surface

ARTICLE RÉDIGÉ PAR OCÉANS CONNECTÉS - La sardine, l’anchois et d’autres poissons appelés « petits pélagiques » sont très sensibles aux conditions environnementales dans lesquelles ils évoluent. Depuis plusieurs années, leur abondance et leur qualité nutritionnelle diminuent, avec un impact direct sur les activités des pêcheurs et sur l’industrie de la conserve. Dans ce contexte, le projet de recherche DEFIPEL mené entre 2019 et 2023 a permis d’étudier les problématiques de développement durable de la filière des petits pélagiques en France. De nombreuses actions ont été identifiées pour mener à une gestion et une protection durable des ressources et de leur pêcherie.

Par Laurie Henry et Carole Saout-Grit

Comment assurer la durabilité de la pêche de certaines espèces essentielles comme la sardine et l’anchois, dans un contexte de changements climatiques et de fluctuations de la demande du marché ? C’est pour répondre à cette question qu’est né en 2019 le projet de recherche DEFIPEL (DÉveloppement d’une approche de gestion intégrée de la FIlière petits PELagiques). Porté par l’Ifremer et financé par France Filière Pêche, il a mobilisé pendant quatre ans un consortium de douze partenaires* publics et privés, dont des organismes de recherche et des organisations de pêcheurs. Les résultats seront prochainement présentés lors du colloque TRANSPEL début avril à Brest, avec l’objectif de consolider la viabilité de la pêcherie des petits poissons pélagiques de la pêche française.

Comprendre les variations des populations de petits poissons pélagiques

De la Manche à la Méditerranée en passant par le Golfe de Gascogne, les petits poissons pélagiques jouent un rôle crucial sur les écosystèmes marins et sur l’économie de la pêche en France. La sardine (Sardina pilchardus) et l’anchois (Engraulis encrasicolus) sont notamment des ressources clé de la chaine alimentaire, se nourrissant de plancton et servant de nourriture aux prédateurs supérieurs comme les oiseaux et mammifères marins.

Mais ces espèces sont très sensibles aux variations environnementales. Le changement climatique modifie des facteurs comme la température de l’eau, la disponibilité et la composition du plancton, avec des conséquences directes sur leur croissance et leur abondance. En Bretagne et en Méditerranée, les sardines sont devenues plus petites et moins grasses du fait de la diminution de la taille et de la qualité du plancton dont elles se nourrissent. Toutes ces variations affectent également la qualité nutritionnelle et la rentabilité économique des pêches, posant la question de nouvelles stratégies de leur gestion.

Le projet DEFIPEL s’est donc particulièrement intéressé aux variations saisonnières et interannuelles des populations de poissons. Ces dynamiques temporelles, complexes et interdépendantes, sont influencées par de nombreux facteurs environnementaux et biologiques. Les fluctuations saisonnières – comme la distribution, la qualité et le taux de matière grasse des poissons – et les variations interannuelles – comme l’abondance, la croissance et la qualité des poissons en fonction des conditions environnementales – affectent directement la pêche et l’industrie de transformation, qui dépendent tous deux de la quantité et de la qualité des poissons disponibles chaque année.

Des indicateurs innovants pour une gestion équilibrée des populations

Dans une approche intégrée globale, les scientifiques du projet DEFIPEL ont utilisé différents indicateurs (écologiques, économiques, dynamique des flottilles de pêche etc…) pour évaluer la santé des écosystèmes, et leur impact sur les fluctuations des populations. Des données sur les taux de mortalité par type de pêche, ou sur les seuils critiques de reproduction à respecter pour limiter les pressions sur les populations de poissons, ont également été utilisées. Enfin, dans un contexte d’augmentation de la demande en conserves de la part des consommateurs, des analyses économiques ont permis de réfléchir à l’optimisation de la rentabilité des pêcheries en même temps que leur durabilité, afin d’ajuster les pratiques de pêche à l’état des populations de poissons.

Selon Martin Huret, coordinateur du projet DEFIPEL, la biomasse des populations reste l’un des indicateurs les plus révélateurs de la santé des populations de petits poissons pélagiques aujourd’hui. « Cet indicateur est très suivi, en lien avec la gestion des populations puisque celle-ci sera la principale information prise en compte dans l’établissement des avis concernant la quantité exploitable. Cependant, des évolutions récentes sur la taille, le poids, et la condition des petits pélagiques sont particulièrement préoccupantes et sont révélateurs de changements profonds au sein des écosystèmes pélagiques ».

L’ensemble des indicateurs de suivi produits par DEFIPEL ont été regroupés dans un tableau de bord partagé par l’ensemble des acteurs, leur permettant de suivre la dynamique de la filière et de réagir à des levées d’alertes. Si les données montrent par exemple une diminution critique de la taille moyenne des poissons, des restrictions saisonnières ou des limitations des captures adaptées peuvent être mis en place pour permettre la régénération des populations de poissons concernées. Les zones de pêche prioritaires peuvent être redéfinies pour éviter de surexploiter des écosystèmes fragiles.

Ce tableau de bord est très apprécié et les acteurs de la filière « sont à l’écoute de nos résultats et des stratégies proposées. Les fortes contraintes actuelles les obligent par ailleurs à envisager toutes les solutions », souligne Martin Huret. Les observations des professionnels y sont intégrées pour affiner les indicateurs. Les pêcheurs, participant activement à la collecte de données sur les populations de poissons et les conditions de pêche, apportent ainsi une connaissance précieuse des dynamiques locales. Cette approche collaborative, qui implique également les transformateurs et les gestionnaires de l’espace maritime, permet de transformer les données scientifiques en actions concrètes et en adéquation avec les réalités du quotidien.

Des scénarios d’adaptation pour aller vers une pêche durable

Afin d’anticiper l’impact des changements climatiques sur les petits poissons pélagiques, certains scénarios d’adaptation ont ensuite été dressés sur la base de modèles numériques de simulation. « Nous utilisons un modèle bioénergétique pour simuler l’effet de la température et du zooplancton sur la croissance des sardines et anchois, et confirmer une tendance à leur diminution en cas de pénurie alimentaire, explique Martin Huret. Ce modèle souligne également que des régions comme la Manche ou la mer du Nord pourraient offrir de meilleures conditions dans le futur. Un autre modèle de simulation, intégrant les dynamiques de flottilles et les contraintes économiques, permet d’évaluer des scénarios de gestion sur les indicateurs écologiques et économiques à moyen terme ».

Les pistes d’adaptation s’orientent vers une valorisation d’une sardine plus petite, ou une capacité de valorisation plus importante d’espèces comme l’anchois, le poulpe ou le thon rouge (avec dans ce dernier cas une limitation en termes de quota actuellement).

Le constat scientifique est fait que depuis la fermeture de la pêche à l’anchois de 2005 à 2010, et malgré de fortes biomasses depuis la réouverture, le marché a été en grande partie perdu pour la France, notamment en raison de la taille réduite du poisson. Les faibles quotas sur le maquereau et le chinchard ayant en parallèle limité la disponibilité de ces espèces, l’ensemble des flottilles de pêche sont donc paradoxalement devenues plus dépendantes à une population de sardines pourtant fragilisée.

Martin Huret ajoute : « il est vrai que la disponibilité d’espèces différentes est un facteur de stabilité économique, il faut y travailler en diversifiant les marchés et en assurant la bonne santé de l’ensemble des populations de poissons pour une meilleure visibilité à moyen terme pour les pêcheurs ».

Par son approche globale prenant en compte les réalités écologiques, économiques et climatiques, le projet DEFIPEL se distingue et pourrait servir de modèle pour d’autres initiatives similaires. « DEFIPEL a eu l’avantage de nous rapprocher fortement des professionnels de la filière, pêcheurs et conserveurs, explique Martin Huret, l’acculturation s’est faite dans les deux sens et c’est un acquis pour l’avenir. Nous allons continuer à collaborer, autour de notre campagne d’évaluation, au travers de l’expertise réalisée chaque année, et nous l’espérons dans de nouveaux projets de recherche ».

Mieux communiquer auprès du consommateur fait également partie des enjeux nombreux et complexes rencontrés par la filière des petits pélagiques. Le consommateur a en effet un rôle clé à jouer en consommant local, pour une meilleure valorisation des produits de la pêche française permettant de limiter au maximum les imports et un excès de transformation des produits. Grâce à ses innovations, le projet DEFIPEL contribue à la résilience et à la durabilité de la filière des petits poissons pélagiques, tout en répondant aux attentes de préservation de la biodiversité marine.

Les partenaires du projet DEFIPEL