Mieux comprendre et prévoir la dynamique des pêcheries : une étude de l’Ifremer rebat les cartes

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Le ICES Journal of Marine Science, journal scientifique de renom, vient d’ouvrir ses colonnes à l’étude de deux chercheurs de l’Ifremer – Paul Marchal et Youen Vermard- qui ont développé une nouvelle méthode croisant de manière inédite des jeux de données du Système d’Informations Halieutiques de l’Ifremer, pour analyser plus finement les interactions entre stratégie des pêcheurs et évolution des ressources dans le secteur des pêcheries mixtes en Manche orientale. Décryptage et premiers résultats expliqués par l’un des co-auteurs, Paul Marchal.

Quelle est l’originalité de la méthode que vous exposez dans cette étude ?

Pour évaluer la dynamique spatiale des pêcheries, la plupart des études croisent traditionnellement carte de l’effort de pêche1  et carte de la distribution des espèces dans un secteur maritime donné. La spécificité de notre étude est de faire rentrer une troisième carte dans le jeu des données analysées : la carte de la distribution des captures non désirées qu’on appelle aussi les rejets.  Ces espèces sont rejetées par les pêcheurs car il s’agit de poissons dont la taille est inférieure à la taille minimale de capture, ou pour lesquels le quota est dépassé, ou qui ne sont pas commercialisables. Cette approche spatiale par superposition de ces 3 cartes mises à la même échelle (15 minutes par minutes) permet de tester si des chevauchements existent et si des recoupements peuvent être déduits pour une même zone de pêche. Les données que nous traitons sont issues du système d’information halieutique de l’Ifremer via la base Sacrois mais proviennent également des campagnes océanographiques annuelles Channel GroundFish Survey (CGFS) qui fournissent des indices d’abondance pour les principales ressources halieutiques en Manche Orientale. Nous nous appuyons aussi sur le réseau Obsmer qui embarque des observateurs scientifiques à bord des navires de pêche professionnelle pour recueillir les données sur les captures et notamment la fraction rejetée.

En quoi peut-elle constituer une aide pour la gestion des pêches ?

Une gestion des pêches durable et efficace passe par une meilleure connaissance des dynamiques qui interagissent dans le milieu marin. Il s’agit notamment d’identifier et d’anticiper les stratégies des pêcheurs en matière de ciblage d’espèces ou de rejets pour mieux prévoir l’évolution des ressources marines et comment mieux les préserver. Cette nouvelle approche permet de connaître l’évolution du ciblage des espèces exploitées par la pêche professionnelle, mais aussi d’apporter des informations précieuses sur le lien entre taux de rejets et composition démographique des populations de poissons. On peut ainsi mieux évaluer les risques de rejets de poissons hors taille dans les zones couvertes par les campagnes en mer et pour lesquelles les données Obsmer ne sont pas disponibles. On peut enfin examiner dans quelle mesure le choix des lieux de pêche intègre la connaissance des zones où les risques de rejets sont élevés. La précision du diagnostic sur la durabilité des populations de poissons et de leur exploitation, étayée par ses nouvelles données, peut ainsi s’en trouver renforcée.

Quels sont les premiers résultats tirés de cette étude ?

En investiguant simultanément ces différents jeux de données, nous avons pu constater que l’effort de pêche coïncide avec la distribution des espèces ciblées. Logiquement, les pêcheurs choisissent des zones fréquentées par des espèces à forte valeur commerciale. Ce faisant, ils capturent aussi des espèces hors taille, telles que la plie et le merlan, dont la carte de distribution des rejets se superpose de manière satisfaisante à celle des indices d’abondances provenant des campagnes à la mer. Nous avons également pu établir qu’au cours des dix dernières années les céphalopodes -et à un moindre degré les rougets barbets et les bars- ont été les espèces les plus ciblées par les chalutiers français en Manche Orientale alors que des espèces historiquement importantes pour la pêche comme la morue ou le merlan ont semblé moins attractives. Le cadre assez peu réglementé qui entoure ces espèces, non soumises aux TAC (Total Autorisé de Captures) mis en place dans le cadre de la Politique Commune des Pêches de l’Union Européenne, pourrait constituer une explication. Si ce niveau de prélèvement reste aussi soutenu, le risque est grand qu’elles deviennent rapidement surexploitées. L’autre enseignement concerne les rejets : l’obligation de débarquement de toutes les captures2 , introduite depuis 2015 dans le cadre de la Politique Commune des Pêches dans le but de réduire les rejets dans les eaux de l’Union Européenne, ne semble pas avoir eu d’effets visibles sur l’évolution des stratégies de pêche.

Financement : Cette étude a été cofinancée par le programme de recherche et d’innovation Horizon 2020 de l’Union Européenne, sous le numéro 633680 (projet DiscardLess)

Sources de données : DPMA (Direction des Pêches Maritimes et de l’Aquaculture) et Ifremer SIH (Systèmes d’Informations Halieutiques)

Notes

  • 1Effort de pêche : Mesure de l’activité de pêche dans un secteur maritime donné. L’effort de pêche prend en compte le temps de pêche, le nombre de navires impliqués, leur puissance, leur caractéristique, les engins utilisés et leur efficacité.
  • 2Pour toutes les captures d’espèces sous TAC et quotas européens (ou soumises à une taille minimale européenne pour la Méditerranée). Des exemptions existent toutefois.