Les ostréiculteurs ont su s’adapter aux crises écologiques et économiques. Qu’en est-il face aux défis actuels ?

Pour décrypter le passé de l’ostréiculture, les scientifiques ont effectué un minutieux travail de recueil et d’analyse de données issues de différents réseaux nationaux d’observation : de l’état des écosystèmes littoraux (REPHY, ROCCH, DCE), de la ressource ostréicole (ECOSCOPA), et liés à la surveillance sanitaire (REMI, ROCCH). Ils ont également mobilisé des informations météorologiques et hydrologiques, des archives (rapports d’expertise, études...), ou encore des données économiques et sociales concernant notamment l’évolution du secteur ostréicole de ces territoires. Une enquête a également été menée auprès de 168 ostréiculteurs sur leur perception de leur métier et de son évolution depuis 50 ans.

L’histoire écrite ici révèle une succession de crises majeures : celle des mortalités de l’huître creuse portugaise dans les années 1970 à laquelle les professionnels remédient en se lançant dans la culture de l’huître creuse japonaise ; s’ensuit jusqu’aux années 1990 une période d’expansion de l’activité ostréicole favorisée par des innovations technologiques mais semée d’embûches (sécheresses, pollutions, crises sanitaires, concurrences d’usage, changement des réglementations de protection environnementale, pratiques commerciales…). Enfin, les épisodes de mortalité massive d’huîtres creuses japonaises observés depuis 2008, qui touchent l’ensemble des bassins ostréicoles et sont liés à la présence d’agents infectieux, et auxquels les professionnels n’ont eu d’autre choix que de s’adapter, puisqu’il n’existe pas d’autre espèce d’huître de substitution.

« Pour faire face aux forts épisodes de mortalité récurrents, les professionnels de la conchyliculture ont su s’adapter grâce à leur connaissance très fine de leurs animaux et du milieu où ils les cultivent, explique Rémi Mongruel, chercheur à l’unité d’économie maritime de l’Ifremer. Ils ont ainsi mis en place de nouvelles méthodes pour sécuriser leur production, en jouant sur l’utilisation des huîtres de captage naturel, de naissains d’écloserie et de l’huître triploïde. Ils ont aussi modifié leurs stratégies économiques : ils ont eu recours à la mécanisation, ils se sont davantage tournés vers l’expédition et la vente directe. Le nombre d’entreprises a certes été divisé par deux en 20 ans dans les bassins historiques dont Marennes-Oléron, mais cette tendance est antérieure à la crise des mortalités de 2008 et l’ostréiculture est toujours là ».

De l’importance de la qualité de l’eau aux effets du changement climatique

Le projet Retroscope a mis en lumière les trajectoires d'évolution socio-écologique de ces trois bassins conchylicoles entre 1970 et 2018, leurs points communs et leurs différences.

En baie des Veys, la qualité de l’eau représente un enjeu majeur dès l’essor de la conchyliculture au début des années 70 et le demeurera malgré des efforts précoces et croissants en termes de suivi et de gestion. Si les gestionnaires sont parvenus à diminuer la contamination chimique de la baie, il reste encore des efforts à fournir en termes de contamination microbiologique. Par ailleurs, le fonctionnement de la baie se modifie : depuis la mise en place progressive de la surveillance de la Directive Cadre sur l’Eau au début des années 2000, les concentrations en nutriments (excepté les nitrites-nitrates) et en chlorophylle diminuent et la composition du phytoplancton, nourriture privilégiée des huîtres, change. Ce site est très exposé aux mortalités d’huîtres, qui ont d’abord touché les adultes dans les années 1990, puis les jeunes huîtres (naissains) à partir de 2008.

Du côté du bassin de Marennes-Oléron, la qualité de l’eau s’est globalement améliorée.  Cependant, aux épisodes de mortalité massive qui se répètent depuis 2008 s’ajoutent les aléas climatiques (tempêtes, sécheresses, diminution du débit des fleuves…), les épisodes de contamination par les microalgues toxiques pour l’homme (Dinophysis spp.), la diminution de la diversité du phytoplancton et les contaminations microbiennes localisées dans les zones les plus côtières. Autant de symptômes d’un écosystème en pleine mutation auquel les conchyliculteurs ont dû et doivent encore s’adapter.

Dans la lagune de Thau, une démarche de gestion du bassin versant s’est mise en place à partir des années 1970 pour améliorer la qualité de l’eau et remédier aux épisodes de contamination microbiologique qui engendraient régulièrement des interdictions de vente des coquillages, mais aussi des périodes fréquentes de manque d’oxygène (« malaïgues » en occitan) qui provoquaient des mortalités massives d’huîtres et de moules. Dans les années 2000, soit 30 ans plus tard, l’eau a enfin retrouvé un bon état écologique. Aucune malaïgue n’a été observée pendant 11 ans jusqu’à la canicule de 2018. Les conchyliculteurs doivent désormais s’adapter au changement climatique en cours, dont les effets se font déjà sentir dans l’eau de la lagune.

Concurrence d’usages ou partage raisonné de l’espace 

Ces territoires sont aujourd’hui considérés à la fois comme des lieux d’activités traditionnelles, un patrimoine, des espaces de biodiversité à conserver et des espaces de loisirs. Une situation globale qui interroge les professionnels : leur activité est-elle toujours prioritaire vis-à-vis des autres activités ?

Oscillant entre une activité traditionnelle de « paysan de la mer » ancrée dans le milieu naturel, et une activité industrielle à l’image de l’agriculture moderne, les ostréiculteurs s’interrogent sur leur identité et sur le rôle social de leur profession. Ils restent globalement optimistes sur l’avenir de leur métier et sont conscients que c’est la diversité de leurs pratiques et des représentations du métier qui leur permet de s’adapter à des environnements écologiques et économiques versatiles et de rebondir encore.

En retraçant l’histoire de la conchyliculture, le projet Retroscope a mis en lumière les solutions qui ont permis aux conchyliculteurs de surmonter les crises écologiques ou économiques, celles qui n’ont pas fonctionné, identifiant ainsi les actions à reproduire ou à éviter. Pour les aider face aux défis actuels et à venir, l’Ifremer continue d’accompagner les professionnels à travers ses réseaux d’observation et de surveillance sanitaire du milieu côtier, les avis et les expertises qu’il produit à la demande des pouvoirs publics mais aussi à travers ses recherches sur la physiologie des mollusques marins, depuis l’étude de leurs mécanismes d’interaction avec les pathogènes jusqu’à leur capacité d’adaptation aux changements environnementaux et climatique.

Pour partager ces nouvelles connaissances, l’équipe a réuni les principaux résultats du projet Retroscope au sein :

• d’un site web
• de frises chronologiques interactives et
• de vidéos résumant l'histoire des 3 bassins ostréicoles : baie des Veys, bassin de Marennes-Oléron, lagune de Thau.