Le canal du Mozambique, un laboratoire naturel pour étudier l’évolution géologique et environnementale de l’Est de l’Afrique : premiers retours sur l’expédition SEZAM

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La campagne SEZAM a permis de cartographier la partie centrale du Canal du Mozambique, où s’accumulent les sédiments apportés par le Zambèze et d’autres fleuves du Mozambique et de Madagascar.

La campagne SEZAM a permis de cartographier la partie centrale du Canal du Mozambique, où s’accumulent les sédiments apportés par le Zambèze et d’autres fleuves du Mozambique et de Madagascar.

Séparant Madagascar du continent africain, le canal du Mozambique a enregistré dans ses sédiments les traces de l’histoire géologique complexe de cette partie de l’océan Indien. À bord du navire océanographique Marion Dufresne, des scientifiques de l’Ifremer, du CNRS et de l’Université de Bretagne Occidentale ont exploré la partie centrale du canal en juin 2024 et découvert dans la partie profonde de ce bassin océanique non seulement des épaisseurs de sédiments insoupçonnées mais également plusieurs nouveaux monts sous-marins. Ces premières observations invitent à préciser certains détails de l’histoire tectonique, sismique, climatique et environnementale de l’océan Indien de ces derniers millions d’années. 

Le canal du Mozambique est né de la cassure du supercontinent Gondwana en deux blocs, il y a à peu près 165 millions d’années : la partie australe du Gondwana (bloc constitué de l’Inde, l’Australie, l’Antarctique et Madagascar) se sépare alors du bloc occidental constitué de l’Afrique et l’Amérique du Sud. Ce n’est que 30 millions d’années plus tard que ces deux blocs vont eux aussi se diviser et que l’île de Madagascar cessera de s’éloigner de l’Afrique, donnant la configuration actuelle du Canal du Mozambique et du Bassin de Somalie au Nord de l’île. 

Le canal du Mozambique jouit d’une configuration unique au monde et particulièrement intéressante lorsqu’il s’agit de comprendre l’évolution géologique et environnementale de l’Est de l’Afrique : les sédiments continentaux et marins qu’il recueille nous renseignent respectivement sur l’évolution de l’érosion - et donc du climat – d’un des plus grands bassins versants africains, mais aussi sur les variations du niveau de la mer et des masses d’eau à l’échelle de l’océan Indien et des autres océans de notre planète, expliquent Gwenael Jouet et Marina Rabineau, chefs de la mission SEZAM. En étudiant l’histoire sédimentaire de ce canal confiné mais connecté à l’océan global, on décrit une part de l’histoire océanographique et géologique de notre planète.

Plus au nord, se trouve en effet, un océan peut-être en devenir : le rift Est-Africain, ce grand fossé d’effondrement qui sépare progressivement la Corne de l’Afrique du reste du continent Africain et qui impacte largement la région mais d’une manière plus ou moins bien comprise par la communauté scientifique. 

D’impressionnants volumes de sédiments, archives des climats passés

Le canal du Mozambique recueille d’importants volumes de sédiments provenant du continent africain, principalement charriés par le Zambèze, l’un des plus grands fleuves au monde, mais également des sédiments marins carbonatés produits au sommet des édifices volcaniques voisins comme ceux des îles Eparses du Sud. En analysant leur nature et la géométrie de leur dépôt, les scientifiques sont capables de lire dans ces archives sédimentaires les traces des changements du niveau de la mer, de l’intensité de la circulation océanique et de l’impact des grandes variations climatiques sur l’érosion des massifs continentaux. 

Nous avons découvert que les sédiments accumulés depuis plus de 5 millions d’années, dans la partie centrale du canal du Mozambique atteignent plus de 500 m d’épaisseur, ce qui dépasse largement ce qui était jusqu’ici documenté. D’après l’âge de ces sédiments, le fonctionnement de ce système sédimentaire montre de longues périodes d’arrêt de plusieurs millions d’années. Nous devons maintenant comprendre pourquoi ces transferts de sédiments se sont arrêtés puis ont repris tardivement dans l’histoire du bassin il y a 350 000 ans.

Gwenael Jouet
Co-chef de mission et Chercheur en sédimentologie à l’Ifremer au sein de l’unité Geo-Ocean

Ce transfert des sédiments, du continent vers le bassin océanique profond, est également affecté par les courants océaniques, qui les redistribuent dans toute la région. La présence de figures d’érosion caractéristiques et de zones d’accumulations de sédiments allant de quelques dizaines à plusieurs centaines de mètres d’épaisseur témoignent des courants intenses sur le fond qui ont régnés dans la région à plusieurs époques et encore aujourd’hui.

Ces observations que les équipes doivent encore analyser en détail, sont autant d’indications précieuses sur la manière dont l’océan Indien a réagi aux changements globaux ces dernières centaines de milliers d’années.

Plusieurs monts sous-marins découverts 

Au cours de cette expédition, 4 monts sous-marins culminant de 1 à 2 km au-dessus des fonds marins, ont été découverts au milieu du canal du Mozambique. D’autres pourraient néanmoins être mis en évidence après une analyse plus fine des données de la campagne. 

Ces volcans sous-marins fossiles témoignent de l’activité volcanique et tectonique au milieu du canal du Mozambique. Ils s’intègrent dans un contexte tectonique marqué par la formation du Rift Est-Africain plus au Nord mais le lien entre ces structures n’est aujourd’hui pas complément démontré. L’étude approfondie de ces monts sous-marins permettra d’affiner nos connaissances sur l’histoire tectonique et sismique intense de la région Ouest de l’océan Indien. Ces déformations sont aussi enregistrées dans les accumulations de sédiments du canal.

Nous savons que les mouvements verticaux de la ride de Davies, située dans le canal au nord de notre zone d’exploration, expliquent une bonne partie de l’isolement de Madagascar et de l’endémisme de sa faune et de sa flore. D’après notre hypothèse, ces mouvements seraient en effet responsables de l’effondrement d’un pont continental qui reliait autrefois l’île et le continent, Aujourd’hui, la découverte de ces nouveaux volcans sous-marins montre que ces mouvements verticaux ont affecté une zone plus large que celle établie jusqu’ici.

Marina Rabineau
Co-cheffe de mission et Géologue au CNRS au sein de l’unité Geo-Ocean

Pour compléter les données de cartographie, l’équipe a collecté huit carottes sédimentaires, de 8 à 45 mètres de long, qui permettront prochainement de préciser l’âge et la nature de ces sédiments. Les scientifiques pourront ainsi mieux identifier les périodes d'alimentation en sédiments, leur provenance, et retracer l’histoire environnementale, climatique, tectonique et sismique de la zone sur plusieurs millions d’années.

⚓​🛳️​​ ON A DéCOUVERT UN VOLCAN 🌋 (pour de vrai)

La campagne SEZAM vue par la youtubeuse Valentine Delattre

En juin dernier, nous annoncions que la youtubeuse Valentine Delattre connue pour vulgariser les géosciences sur sa chaîne Science de Comptoir, embarquait sur le Marion Dufresne pour faire vivre au public cette campagne de l’intérieur. C’est chose faite avec cette première vidéo « On a découvert un volcan (pour de vrai) », d’une série de quatre, qui vous explique comment l’équipe de la mission a découvert un nouveau mont sous-marin.

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