La contamination chimique évolue, la surveillance aussi
Un suivi historique pour identifier les Évolutions sur le long terme
Chaque année depuis la fin des années 1970, les scientifiques de l’Ifremer effectuent des prélèvements dans le cadre du réseau de surveillance ROCCH (Réseau d'Observation de la Contamination CHimique du littoral) sur plus de 100 sites le long du littoral métropolitain, à la recherche de près de 150 molécules connues de longue date pour leur toxicité : métaux lourds, pesticides, polluants industriels. Cette surveillance à long terme met en évidence une diminution globale de la contamination chimique historique, mais également des problèmes de pollution qui persistent localement.
Vers une disparition totale du DDT dans le milieu marin
Depuis son interdiction en 1971 en France comme insecticide dans l’agriculture et les usages domestique, les concentrations de DDT (Dichlorodiphényltrichloroéthane) retrouvées dans le milieu marin ont connu une baisse progressive. Aujourd’hui, on ne le retrouve dans l’environnement marin qu’à des bas niveaux de concentrations. Dans le bassin d’Arcachon par exemple, on comptait 301 microgrammes de DDT par kilogramme dans la chair des huîtres analysées en 1980. Sur le même secteur, en janvier 2021, les concentrations n’atteignent plus que 0,258 microgrammes par kilogramme, soit 1000 fois moins.
Surveiller les contaminants et leurs dérivés : l’exemple du TBT
Le tributyl étain (TBT) est un composé utilisé dans les produits anti-salissures et de traitement du bois, et notamment sur les coques des navires jusqu’en 2003. Dans le milieu marin, ce composé chimique se dégrade en métabolites (DBT et MBT), qui présentent une toxicité plus faible mais qui peuvent toujours avoir un effet sur les écosystèmes. Pour évaluer correctement l’impact global de cette contamination, les scientifiques doivent donc surveiller non seulement ce composé polluant mais aussi ses métabolites.
À Hendaye, malgré une diminution importante des niveaux de TBT dans les eaux côtières, la teneur en MBT chez les mollusques reste importante et est le signe d’une contamination ancienne en lente amélioration. Aux environs de Brest en revanche, les concentrations importantes de TBT mais également de ses dérivés indiquent qu’une contamination ancienne perdure encore aujourd’hui : en 2022, la quantité de TBT dans la chair des huîtres à proximité du port de Brest atteint près de 6 fois la teneur moyenne mesurée sur l’ensemble de la France.
Métaux : une contamination persistante
La présence de métaux lourds dans le milieu marin est commune dans les zones qui ont connu une forte activité industrielle. Ces pollutions peuvent perdurer dans les sédiments et les fleuves, même longtemps après l’arrêt des activités qui en sont la source. Les concentrations significatives de plomb que l’on observe à l’embouchure de l’Aulne et dans la rade de Brest, par exemple, s’expliquent par la présence d’industries minières en amont, définitivement fermées depuis les années 1930.
Un autre exemple est celui de la contamination de l’embouchure de la Gironde par le cadmium détectée dès la fin des années 1970, causée par le stockage de déchets de l’industrie sidérurgique 300 kilomètres en amont. Le confinement des résidus de minerais a permis la réduction progressive du cadmium dans le milieu marin.
Une veille active pour détecter les nouveaux polluants
Alors que la situation s’améliore pour certains contaminants historiques, de nouveaux composés sont régulièrement introduits sur le marché en remplacement des composés réglementés. Une multitude de ces nouvelles substances chimiques, avec des propriétés toxiques connues ou suspectées, attirent l’attention des scientifiques du fait de leur persistance et, en conséquence, de leur dispersion à large échelle. Ils effectuent une veille à travers les réseaux de surveillance et des projets de recherche pour identifier la présence de ces nouveaux contaminants et mieux comprendre leur évolution dans le milieu marin.
Surveiller les polluants persistants
Depuis 2010, l’Ifremer mène avec le programme Veille POP (Veille sur les nouveaux polluants organiques persistants dans les mollusques marins, financé par l’Office français de la biodiversité) un suivi de plus de 100 composés connus pour être persistants et s’accumuler dans les organismes vivants. Des moules et des huîtres, espèces sentinelles de la contamination environnementale, sont prélevées tous les ans sur une vingtaine de sites distribués sur l’ensemble du littoral métropolitain et ses grands estuaires et analysées pour identifier et quantifier les contaminants ciblés.
Les composés perfluoroalkylés et polyfluoroalkylés (PFAS, utilisés notamment comme antiadhésifs et imperméabilisants) et leurs précurseurs par exemple sont présents en concentrations particulièrement élevées dans les estuaires ou deltas recevant des apports urbains ou industriels, comme ceux de la Seine, de la Loire, de la Gironde et du Rhône. Les esters d’organophosphate (OPE), des retardateurs de flamme utilisés dans de nombreux produits pour leurs propriétés d’ignifugeants, de plastifiants, d’antimoussants et de lubrifiants, sont également présents sur l’ensemble du littoral à des concentrations bien supérieures à la plupart des autres composés. Dans ce cas précis, la distribution géographique inattendue de cette contamination rend difficile l’identification de ses sources. D’autres polluants, à l’inverse, sont plus localisés à l’embouchure des fleuves, comme les retardateurs de flamme bromés qui sont particulièrement présents dans l’estuaire de la Seine, et dans une moindre mesure dans les estuaires de la Gironde, de la Nivelle et de la Bidassoa sur la façade Atlantique.
Polluants éternels : le milieu marin n’échappe pas à la contamination par les PFAS
Article The Conversation de Wilfried Sanchez et Yann Aminot
Seuls quelques-uns de ces composés sont aujourd’hui réglementés, et les données collectées sur la durée permettent d’évaluer l’efficacité des mesures adoptées sur la contamination de l’environnement marin côtier. C’est le cas notamment pour le perfluorooctane sulfonate (PFOS), un polluant de la famille des PFAS retrouvé dans plus de 75% des échantillons en 2020 : depuis son interdiction en 2009, on a assisté à une diminution significative des concentrations, puis à une stabilisation depuis 2013. Des évolutions similaires ont été mises en évidence pour d’autres contaminants dorénavant réglementés, comme les hexabromocyclododécanes (HBCDD) et les polybromodiphényléthers (PBDE), des retardateurs de flamme bromés utilisés comme ignifugeants dans les plastiques, les textiles, les mousses d’isolation thermique, l’électronique, et les équipements domestiques. En revanche, certains de leurs composés de remplacement commencent à montrer des tendances à l’augmentation.
Assurer une cohérence de la surveillance sur le continuum terre-mer
L’Ifremer, l’unité mixte de recherche EPOC (Environnements et Paléoenvironnements Océaniques et Continentaux) et l’Office français de la biodiversité (OFB) sont engagés depuis 2020 dans le projet Emergent’Sea, qui a pour objectif de révéler les contaminants d’intérêt émergent pertinents sur le continuum terre-mer. Au total, 22 contaminants métalliques et 102 substances organiques sont recherchés : des pesticides, mais également des substances pharmaceutiques et des plastifiants. Une trentaine de sites répartis sur l'ensemble du littoral et exposés aux apports contaminants ont fait l'objet d'échantillonnages et d'analyses sur des mollusques et échantillonneurs passifs (des dispositifs qui captent certains composés chimiques dans l’eau de mer). A l’issue du projet en 2024, les composés jugés pertinents à l’échelle nationale ou régionale seront alors proposés pour intégrer une future surveillance réglementaire dans le contexte de la Directive Cadre sur l’Eau (DCE).