L’Ifremer : 40 ans d’avancées scientifiques sur les mers du monde

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Illustration du sous-marin Nautile
Depuis 40 ans, l’Ifremer fait flotter haut le pavillon des sciences océaniques avec un signe particulier : être le seul organisme de recherche français intégralement dédié aux sciences océaniques. L’Ifremer naît le 5 juin 1984 de la fusion de deux organismes : l’ISTPM (Institut Scientifique et Technique des Pêches Maritimes) et le CNEXO (Centre National pour l’Exploitation des Océans). Cette double filiation lui confère un patrimoine scientifique exceptionnel qui touche tous les rivages des sciences marines.

« La mer nous a pris. Elle est verte, grise, noire, crêtée de blanc, elle nous ramasse sur son dos d’un coup de rein comme une bête habituée à ses parasites et nous jaillissons à sa cadence. C’est elle qui choisit son allure. Si elle rue, on se cramponne et ça repart »

Anita Conti
Le carent Viking : 70 jours en mer de Barents

Au début de l’histoire

L’Ifremer est l’héritier d’une longue tradition française formalisée dès le XIXème siècle par la création du Service technique puis du Service scientifique des pêches maritimes sur décision de l’empereur Napoléon III. Placé à la tête de l’institution, Victor Coste, médecin de l’impératrice Eugénie, est le premier inspecteur général de la pêche côtière maritime. On lui doit la création de la première station marine à Concarneau et la diffusion de nouvelles méthodes de pisciculture et d’ostréiculture.

Des grands noms au bastingage

Le 31 décembre 1918, l’OSTPM (Office Scientifique et Technique des Pêches Maritimes) succède au Service scientifique des pêches maritimes. Dans l’équipage de l’OSTPM, on croise quelques grandes figures de l’histoire maritime comme le commandant Jean-Baptiste Charcot, le célèbre explorateur polaire, membre du conseil d’administration. Il mettra d’ailleurs à la disposition de l’Office son bateau mythique le « Pourquoi pas ? » Toujours dans les coursives de l’OSTPM, on rencontre aussi l’auteure, photographe et première océanographe française Anita Conti, engagée par le directeur de l’époque Édouard Le Danois pour assurer ce qu’on appellerait aujourd’hui les relations publiques de l’Office. Elle organise notamment le baptême du Président-Théodore-Tissier, premier navire scientifique des pêches maritimes en 1935. Très vite, elle embarque elle-même sur des campagnes en mer et s’initie à l’océanographie. Ces expériences nourriront ses grands récits sur la pêche et les marins consignés dans des ouvrages comme « le carnet Viking : 70 jours dans la mer de Barents » ou « Racleurs d’océans ». L’OSTPM est ensuite remplacé par l’ISTPM (Institut Scientifique et Technique des Pêches Maritimes) en 1953.

 

La révolution des submersibles

Le développement de l’océanographie française est impulsé par le COMEXO (Comité pour l’Exploitation des Océans) en 1959 puis par le CNEXO en 1967, né de la volonté politique du général de Gaulle. La direction de l’organisme a été confiée à Yves la Prairie. Les travaux du COMEXO puis du CNEXO auront permis d’engager la révolution des submersibles avec la soucoupe SP 3000 (pensée par Jacques-Yves Cousteau, président de la commission technologie du COMEXO) qui deviendra la CYANA. Ce saut technologique sera le sésame pour plonger « in mare incognita » à la découverte des grands fonds. Quelques épisodes mythiques de l’histoire de l’océanographie sont ainsi inscrits au carnet de bord du CNEXO dont la fameuse campagne FAMOUS, première expédition internationale d’envergure menée en collaboration avec les scientifiques américains, et qui a permis de confirmer sur le terrain la théorie de la tectonique des plaques grâce à la première exploration humaine d’une dorsale médio-océanique, ces chaînes de montagnes sous-marines. Sans oublier les missions qui ont révélé les spécificités des sites hydrothermaux ou les ressources minérales telles que les nodules ou les sulfures polymétalliques.

 

Une fusion acquisition de compétences

Pour renforcer le rayonnement et les moyens de l’océanographie française, la fusion de ces deux organismes pionniers apparaît comme une nécessité pour les pouvoirs publics. À la manœuvre de ce rapprochement, Jean-Paul Troadec, directeur de l’ISTPM et Yves Sillard, président-directeur général du Cnexo. Jean-Paul Troadec, passé par l’ORSTOM (Office de la recherche scientifique et technique Outre-mer) et la FAO (Food and Agriculture Organization) est un spécialiste de l’évaluation des populations de poissons et du développement des pêches. Quant à Yves Sillard, il a effectué son parcours professionnel aux deux confins de la Terre, acteur à la fois de la conquête spatiale en qualité de directeur général du CNES puis de l’exploration de l’océan. « Dès la fin 1982 le Cnexo et l’ISTPM ont commencé à fonctionner comme un tout, sans attendre la sortie des décrets. Chacun a œuvré pour la réussite de l’entreprise » aimait à rappeler Jean-Paul Troadec. De son côté Yves Sillard témoignait en 1994 « Un organisme comme l’Ifremer avec sa spécificité est primordial pour le développement du pays. La France, insistait-il, est l’une des rares nations au monde à disposer d’un tel organisme, avec à la fois une vocation de recherche et en même temps une mission très forte au service des professions concernées par cette recherche ». Sous leur influence, l’Ifremer prend un nouveau cap avec l’arrivée de l’océanographie spatiale et d’une approche plus « écosystémique », non plus seulement intéressée à la description des environnements marins mais aussi aux interactions à l’intérieur de ces écosystèmes.

 

Vieil héritage et nouveau cap

Dès sa création, l’Ifremer a continué à associer son nom à des épisodes marquants de l’océanographie comme la campagne Kaiko en 1985 qui a permis d’observer pour la première fois une zone de subduction dans les fosses japonaises à 6000 mètres de fond, sans oublier la première exploration de l’épave du Titanic en 1987 Côté aquaculture, l’Ifremer s’est distingué par la maîtrise du cycle de vie de plusieurs espèces emblématiques (crevettes, ormeaux, bars, salmonidés…) et par la recherche sur les pathologies des poissons et des mollusques et la prolifération des algues nuisibles et toxiques. À la faveur du développement permanent de nouvelles technologies (sondeurs, sonar, robots téléopérés, observatoires de fonds, profileurs ARGO déployés sur les océans du monde, précision accrue des satellites), les scientifiques parviennent à lever une partie du voile sur les mystères de l’Océan et de ses habitants entre découvertes de nouvelles espèces et identification de molécules d’intérêt pour la santé humaine mais ils peuvent aussi mieux surveiller l’océan et les contaminations qui le menacent, agir pour préserver ses ressources autour d’une gestion optimisée des pêches mais surtout anticiper l’océan de demain grâce à la collecte de données et à la modélisation numérique. L’aventure océanographique se poursuit avec dans les mains des chercheurs de nouveaux outils comme l’ADN environnemental qui décèle les traces d’organismes présentes ou passées dans l’eau de mer pour un inventaire taxonomique en version accélérée. C’est encore dans la mer que les scientifiques de l’Ifremer viendront puiser les solutions aux enjeux majeurs de notre temps en facilitant la transition vers les énergies marines renouvelables. L’Océan est l’une des clés de régulation de la machine climatique, une clé que nos chercheurs s’attachent à décrypter et qui constitue leur défi pour les décennies à venir sur la route d’une connaissance augmentée et donnée en partage à la société.

« Moment fort aussi, bien sûr, celui de la première plongée en sous-marin. Pas à cause de l’angoisse d’un incident quelconque (même si le risque n’est pas nul), car là aussi, on est fasciné par cette dizaine de techniciens et ingénieurs gravitant, des heures avant et après chaque plongée, pour contrôler et contrôler encore le bon fonctionnement de l’engin ; mais plutôt à cause de la mise à l’eau du sous-marin, merveille de haute technologie et pourtant fétu de paille dérisoire, se balançant sous le portique avant d’être abandonné dans l’eau pendant huit heures. Puis vient la descente, avec cet enfermement, avec cette lumière qui diminue progressivement, pour disparaître complètement ; l’arrivée sur le fond chaotique des basaltes noirs, couverts de poussière, donnant, avec l’éclairage blafard des projecteurs de la soucoupe Cyana, des paysages lunaires. Et surtout, l’arrivée brutale, inattendue au milieu de ce désert, de cheminées grouillantes de vie, là depuis des millions et des millions d’années, à l’insu de toute conscience. Que de questions passent alors dans la tête sur l’origine de la vie, son apparition sur cette planète, tout ça… »

Michel Segonzac,
ancien biologiste des grands fonds à l’Ifremer