Innover pour mieux surveiller demain
Grâce à des innovations technologiques capables de repérer un éventail accru de substances et même de quantifier la toxicité des contaminants pour la biodiversité marine, la surveillance franchit un nouveau cap. Armée de données toujours plus précises sur la présence et les impacts des contaminants chimiques, la lutte contre la pollution gagnera encore en efficacité à terre. Illustration par l’exemple.
Détecter et surveiller les nouveaux contaminants
À partir d’échantillons récoltés lors de la campagne SuchiMed, des scientifiques de la faculté de pharmacie Aix Marseille Université cherchent par exemple à caractériser les molécules anticancéreuses potentiellement accumulées par les moules.
« Contrairement aux molécules oestrogéniques utilisées pour la contraception dont il a été démontré qu’elles entrainent une « féminisation » de nombreux animaux terrestres et aquatiques et des troubles digestifs chez la moule, les effets des médicaments pour traiter les cancers sont moins connus », constate Daniel Lafitte, biochimiste et directeur de la plate-forme de spectrométrie de masse de la faculté de pharmacie de l’Université Aix Marseille. Avec le concours financier de l’agence de l’eau, son équipe s’y intéresse de près.
Les échantillons d’eau et de moules fraîchement récoltés cette fois-ci seront étudiés par imagerie et bioinformatique. Cette nouvelle technique devrait permettre de détecter des molécules plus discrètes.
« Au regard des résultats à venir, nous pourrions aider les entreprises spécialisées à développer de nouveaux filtres de stations d’épuration efficaces pour limiter voire stopper les rejets de ces molécules », ambitionne Daniel Lafitte qui traque également avec son équipe les pesticides et les HAP présents dans le milieu marin.
Une contamination en chaîne : du plancton aux poissons
Mieux connaître les impacts des contaminants sur la biodiversité marine est un des enjeux majeurs de la surveillance de demain. Quels sont les organismes les plus impactés et pourquoi ? Comment les substances chimiques rejetées en mer sont transférées de l’eau vers les plus petits maillons de la chaîne alimentaire et jusqu’aux grands prédateurs ? « De nombreux travaux montrent que les organismes marins ne se contaminent pas tous de la même façon, explique Daniela Bănaru, maître de conférence en biologie et écologie marine à l’Institut Méditerranéen d’Océanologie – Aix-Marseille Université.
Les substances chimiques rejetées en mer peuvent contaminer les organismes soit par diffusion de l’eau, par leur peau, leur bouche, leurs branchies (bioconcentration) ou par l’alimentation (bioaccumulation). Dans certains cas, la contamination des espèces s’amplifie à mesure que l’on monte dans le réseau trophique : un prédateur comme le thon rouge est ainsi plus contaminé qu’une sardine elle-même plus contaminée que le plancton dont elle se nourrit.
Dans d’autres cas, des mécanismes de détoxication opèrent notamment pour les métaux : certains poissons « diluent » leur contamination en grandissant, d’autres montrent des niveaux de contamination plus faible que leurs proies (bioréduction). Pour comprendre comment se font les transferts de contaminants vers les organismes marins,
il est donc essentiel de considérer leurs habitats, leurs traits biologiques (espèce, taille, âge, croissance, sexe, tissus, etc) et leurs interactions trophiques (alimentation).
L’exemple surprenant du mercure
Une étude a révélé que les rougets de Méditerranée sont 6 fois plus contaminés par ce métal que leurs cousins de Mer Noire où les concentrations dans l’eau sont pourtant plus élevées. Comment expliquer ce constat étonnant ? Première hypothèse : la mer Noire est plus riche en plancton que la Méditerranée et la dilution des contaminants dans la biomasse y est donc plus forte. Deuxième hypothèse : le plancton de la mer Noire est dominé par des espèces de phytoplancton à grosses cellules et celui de Méditerranée par des espèces à petites cellules. Or, d’après les résultats de la récente campagne Hippocampe et du projet CONTAMPUMP, dans des conditions identiques, les plus petites cellules de plancton concentrent 2 fois plus de mercure que des plus grosses cellules.
Parce qu’elle est pauvre en nutriments et en plancton, la Méditerranée abrite donc des poissons plus contaminés que ceux qui vivent en Atlantique ou en mer Noire. « Les efforts opérés à terre ont certes permis de limiter les rejets de contaminants en mer comme le mercure mais ils ont aussi réduit les apports en nutriments utiles au développement du plancton de plus grande taille », pointe la scientifique. Avec des conséquences en cascade : la production primaire baisse favorisant les espèces à petites cellules lesquelles sont une porte plus perméable à l’entrée des contaminants dans la chaîne alimentaire. Les conclusions de ces recherches sur les transferts de contaminants pourraient alimenter la définition des stratégies d’assainissement dans les années à venir.