Départ de Patrick Vincent, directeur général de l’Ifremer : retour sur une escale très longue durée à l’Ifremer
Toulousain d’origine, le jeune Patrick Vincent a très tôt la tête dans les étoiles, et comment s’en étonner dans cette capitale française de l’industrie spatiale ? Son rêve d’avenir se confond d’abord avec sa passion des mathématiques, née au contact d’un enseignant de lycée, pédagogue et enthousiaste. « Ce professeur disait « une démonstration mathématique, en principe, quand elle est belle, elle a beaucoup de probabilité d’être juste » et même si ce n’est évidemment pas une vérité absolue, j’ai toujours été sensible moi-aussi à cette beauté des maths, cette notion de logique, de démonstration » se souvient le directeur général de l’Ifremer.
Une inclinaison qui le mène en école d’ingénieur à l’Ensta à Paris. « J’ai opté pour une double compétence d’ingénierie et de recherche, ce qui m’a permis de mener en parallèle un DEA en « mécaniques des fluides » à l’université de Paris 6, puis de passer une thèse à Grenoble sur le sujet de « la simulation numérique des marées océaniques ». Ce combo « recherche, ingénierie, et océan » seront les mots-clés du parcours de Patrick Vincent.
La tête dans les étoiles
Ses premiers pas dans la vie professionnelle, il les fait en 1987 au CNES (Centre National d’Etudes Spatiales) où il est embauché sur un poste alliant ingénierie de haute technologie et observation de l’océan autour d’objectifs très scientifiques « J’étais un ingénieur qui savait parler aux chercheurs parce que j’avais déjà pratiqué la recherche, et, par ma formation, je savais aussi me faire comprendre des ingénieurs ». Cette double identité constituera en quelque sorte sa marque de fabrique et facilitera dans la suite de son parcours le dialogue avec des communautés n’utilisant pas le même langage. « Les ingénieurs parlent des décibels mesurés par un instrument spatial quand les chercheurs parlent d’énergie des vagues et des courants. Faire la conversion entre les deux n’est pas toujours simple, cela se construit » témoigne-t-il.
Dans la constellation des souvenirs marquants de cette période au CNES, Patrick Vincent cite la mission Topex / Poséidon, la première mission franco-américaine, associant NASA et CNES dans le domaine de l’altimétrie spatiale, c’est-à-dire la mesure de la hauteur de la surface de la mer depuis l’espace. Les résultats obtenus ont contribué à une révolution de l’océanographie spatiale avec une précision de mesures inégalée jusqu’alors. « Je dirais que cette mission a constitué ma première chance professionnelle, mon premier succès et un des moments les plus extraordinaires de ma carrière y compris sur le plan humain aux côtés de Michel Lefèvre « monsieur Altimétrie spatiale », que je considère comme mon père professionnel ».
Dans le grand bain de l’Ifremer
Après avoir longuement observé la mer vue du ciel pendant les 18 ans passés au CNES, Patrick Vincent s’est ensuite immergé dans les profondeurs de l’Océan en rejoignant le navire Ifremer. Un « rapprochement » dans le sillage de la création de Mercator Océan, initiée par cinq institutions de recherche française dont l’Ifremer, membre fondateur et le CNES, présent au début de l’aventure. « L’ambition de Mercator Océan était de réaliser une modélisation de l’océan mondial qui nécessite non seulement des données spatiales, pour acquérir des informations sur la surface de l’océan, mais aussi de données in situ obtenues grâce aux flotteurs Argo, aux bouées immergées ou lors des campagnes océanographiques. « Bien que ma culture initiale ait été plutôt spatiale, j’ai abouti au constat que j’avais besoin de rencontrer les « vrais » océanographes -dont ceux de l’Ifremer- pour explorer l’océan dans ses trois dimensions ».
A l’époque, Alain Colin de Verdière, un professeur de l’Université de Bretagne Occidentale (UBO avait d’ailleurs baptisé Patrick Vincent « l’océanographe aux pieds secs ». Il prend finalement la décision, trempée au coin de l’audace, de venir « se mouiller les pieds à l’Ifremer, chez l’un des champions nationaux, européens et internationaux de l’observation de l’océan in situ ».
Encourager la multidisciplinarité
Cette plongée dans le grand bain de l’Ifremer en 2005, l’amène à devenir responsable de la thématique Océan et Climat puis directeur des programmes scientifiques de l’Institut « C’est une période que j’ai particulièrement aimée car elle a permis d’initier un travail de construction interdisciplinaire entre équipes pour faire dialoguer biologistes, dynamiciens, chimistes ou géologues ». Pour Patrick Vincent, cette multidisciplinarité fait l’ADN de l’Ifremer, sa spécificité. « L’une des grandes caractéristiques de l’Ifremer réside dans sa capacité à pouvoir considérer l’ensemble du système océan, tient-il à souligner. A l’Ifremer on ne s’attache pas à résoudre uniquement une équation de la dynamique ou un problème de biologie.
En 2011, le poste de directeur général se libère et Patrick Vincent est pressenti pour occuper la fonction. « C’était un peu comme sauter dans un autre monde, pour moi qui n’avait évolué que dans un univers de sciences et technologies. Je me suis finalement lancé car je trouvais intéressant de porter une vision sur l’ensemble de l’Ifremer ».
De scientifique à directeur général
L’aventure se poursuivra finalement pendant 12 ans, sous les mandats de trois présidents : Jean-Yves Perrot, François Jacq et François Houllier. Durant ces années quelques dossiers particulièrement complexes occuperont le haut de la pile dans son bureau, en premier lieu, le déménagement du siège de l’Institut de Paris à Plouzané ou plus récemment la gestion inédite de la crise du COVID.
A l’heure de quitter sa « deuxième maison », le directeur général souligne son attachement à l’Ifremer « Outre l’acquisition de nouvelles connaissances, notre marque de fabrique est de produire une science utile à la société, utile aussi bien aux professions de la pêche et de l’aquaculture qu’au secteur économique ou à la préparation des transitions écologiques ». Un positionnement qui répond à l’explosion du besoin de connaissance sur l’océan consécutive à la prise de conscience collective de l’importance de l’environnement marin sur des sujets comme le changement climatique, la transition énergétique, la biodiversité ou l’alimentation ».
L’océan : une nouvelle vague de défis pour la science
Pour lui, les sciences marines offrent encore un vaste champ d’exploration pour la recherche. « Il y a beaucoup à découvrir sur les interactions entre l’océan et l’atmosphère, les surfaces continentales, la cryosphère, les grands fonds... Et parallèlement l’innovation va continuer de révolutionner la façon d’étudier le milieu marin ». Il cite pêle-mêle les méthodes d’observation en mer qui vont bénéficier de l’apport de nouveaux outils précieux comme les drones, évoque les avancées importantes permises par des techniques comme l’ADN environnemental, ou encore en océanographie spatiale avec un bond technologique qualificatif comme avec le satellite SWOT pour une étude des phénomènes à toute petite échelle.
« Nous avons un bel institut qui nous permet d’être ambitieux si l’on continue à développer notre vision système ». Il faut donc rêver large dans le spectre des thématiques traitées comme dans la géographie ciblée. « Aujourd’hui on ne fait plus de la recherche tout seul dans son coin, rappelle-t-il. L’océan il n’y en a qu’un, c’est donc par essence un objet international. L’avenir passera une amplification de notre stratégie européenne et internationale. Il s’agira là d’un élément de reconnaissance majeure de l’Ifremer ».
Dans le sillage des balises posées par son ex-directeur général, l’Ifremer poursuit sa route à bonne allure et souhaite bon vent à Patrick Vincent pour rejoindre son nouveau cap.