Compter les poissons : une opération complexe pour les scientifiques européens
On peut compter facilement les arbres d’une forêt, moins facilement les poissons. Cela implique de procéder à des calculs complexes avec l’expertise des spécialistes en sciences de la pêche de l’Union européenne et des pays limitrophes. De leur naissance à leur vie d’adulte, les poissons ne connaissent pas de frontière. Il est donc nécessaire de mutualiser les données à l’échelle internationale pour opérer les calculs les plus fiables possibles et veiller à la préservation durable des ressources de la pêche.
La récolte de la donnée
Première étape de ce processus : la pêche à la donnée. Els Torreele, chercheuse à l’Institut flamand de recherche agricole, halieutique et alimentaire (ILVO, basé en Belgique) et membre expert du Conseil international pour l’exploration de la mer (CIEM ou ICES en anglais) décrit la méthode. « Tout commence à l’échelle nationale. Chaque Etat membre de l’Union Européenne collecte des informations sur les populations exploitées via deux sources principales, l’une commerciale et l’autre scientifique : les bateaux de pêche et les navires de recherche scientifique qui réalisent des campagnes d’abondance régulières dans les principales zones de pêche nationales et internationales ». Sont ainsi consignées les quantités de poissons capturées et débarquées par les pêcheurs. Un réseau d’observateurs, intervenant à bord ou en criée, documente également les caractéristiques biologiques (âge, taille, sexe, poids) des poissons. L' âge est évalué grâce à l’étude de leurs otolithes (petit os situés dans l’oreille interne du poisson dont les stries permettent de déterminer l’âge des individus). Enfin, lors des campagnes océanographiques des échantillonnages sont effectués avec des filets de pêche standardisés. Les poissons capturés sont là-aussi mesurés et leur âge évalué. Toutes ces données permettent de déterminer la pyramide des âges des poissons pêchés.
Les avis : fruit d’une coopération scientifique européenne
Une fois cette collecte de données effectuée par les instituts de recherche de chaque pays, la deuxième étape consiste à transmettre les informations à des organisations scientifiques intergouvernementales. Composées d’experts en halieutique venant de tous les pays participant à l’exploitation des ressources, ces instances sont chargées de produire des modélisations qui aboutissent à des diagnostics sur l’état de ces ressources et à des projections pour l’avenir. On peut citer par exemple le Conseil international pour l’exploration de la mer (CIEM ou ICES en anglais) qui couvre l’Atlantique nord-est et la mer Baltique, et, en Méditerranée, la Commission des pêches pour la Méditerranée (CGPM) et le Comité scientifique, technique et économique des pêches (CSTEP ou STECF en anglais) de la Commission européenne. Les scientifiques estiment ainsi la mortalité due à la pêche mais aussi la biomasse des adultes reproducteurs, de façon à s’assurer que le renouvellement des générations de poissons est assuré. Sur la base de ces évaluations, des recommandations scientifiques sont formulées.
Chiffres clés
Chiffres clés
Une trentaine
de campagnes océanographiques de la Baltique à la mer Méditerranée
150
populations suivies en Europe
Près de 6000
scientifiques mobilisés venant de 700 instituts de sciences marines de 20 pays membres de l’Union européenne et au-delà
Plus de 2500
scientifiques participent aux travaux du Conseil International pour l’Exploration de la Mer (ICES en anglais), un organisme créé en 1902
230
groupes d’experts mobilisés
Après les recommandations scientifiques, les décisions politiques
Ces recommandations scientifiques sont transmises directement à l’Union européenne ainsi qu’aux autres États (Norvège, Islande, Royaume Uni, Albanie, Monténégro, Turquie…). Elles ouvrent la voie à un chapitre plus politique puisqu’elles éclairent la décision des totaux admissibles de capture (TACs). En Europe, ces décisions sont prises par le Conseil européen des Ministres de la pêche, et ensuite déclinées en possibilités de pêche par pays. Par ailleurs, les scientifiques travaillent aussi ensemble pour fournir d’autres analyses essentielles, par exemple sur les captures dites “accessoires”, c’est à dire d’espèces ou de tailles non ciblées, sur les impacts sur les fonds marins etc, pour donner une vision la plus complète possible de l’activité de pêche et de ses impacts.