Océan & climat

Changement climatique : une mission en Arctique pour mieux comprendre l’évolution des interactions entre la glace de mer, l’air et l’océan

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Navire autonome conçu et déployé par l’Ifremer lors de la campagne Dark Edge

Navire autonome conçu et déployé par l’Ifremer lors de la campagne Dark Edge en octobre 2021 dans la baie du Baffin en océan Arctique

En Arctique, il y a des zones où la glace de mer est fine et fond chaque été et d’autres où la couverture de glace reste épaisse, comme dans la région de Tuvaiijuittuq, qui signifie « l’endroit où la glace ne fond jamais » en Inuktitut. Ce sanctuaire de « vieille » glace épaisse – ou glace pluriannuelle –, l’un des derniers de l’Arctique, est un vestige de la période préindustrielle, encore relativement épargné par le changement climatique. Cette région moins étudiée que d’autres zones en Arctique joue pourtant un rôle majeur pour la biodiversité et les écosystèmes locaux mais également pour le climat de l’hémisphère Nord. Une équipe multidisciplinaire de scientifiques s’y rend actuellement à bord du navire brise-glace NGCC Amundsen pour récolter des données sur les interactions physiques, biologiques et chimiques de l’océan et de l’atmosphère avec la glace épaisse de cette région. Leur objectif est de comparer, à terme, ces données avec celles collectées par d'autres équipes sur la banquise plus fine pour mieux comprendre comment évoluent les interactions entre glace, air et océan sous l’impact du changement climatique.

Deux chercheurs et deux ingénieurs du laboratoire d'océanographie physique et spatiale de l’Ifremer partiront ce 5 septembre pour rejoindre l’océan Arctique et les 55 scientifiques de la campagne océanographique Refuge Arctic dirigée par Mathieu Ardyna, chercheur CNRS au laboratoire international de recherche Takuvik au Canada. Ils prendront place à bord du NGCC Amundsen, navire brise-glace de la Garde Côtière Canadienne. L’objectif de cette mission est de mieux comprendre la façon dont le changement global influence l'écosystème et les cycles biogéochimiques de l'océan Arctique en s'appuyant sur ce refuge emblématique du changement climatique, la Mer de Lincoln, située au sud de la région de Tuvaiijuittuq, où la couverture de glace, pérenne depuis la dernière période interglaciaire, est la plus importante. 

Cette région joue un rôle capital pour le climat de l’hémisphère Nord grâce à l’effet « albédo » (la couverture de glace réfléchit les rayons du soleil et régule l’apport de chaleur sur terre), et à l’effet refroidissant de ces grandes étendues de glace sur les masses d’air. Mais au rythme où la glace de mer fond en Arctique, ces effets vont-ils perdurer et réguler les températures de l’atmosphère de l’hémisphère Nord encore longtemps ? Au cours des 40 dernières années, l'étendue de la glace de mer de l'océan Arctique a en effet diminué de 10-15% par décennie, et la glace pluriannuelle (ayant survécu à au moins un été et excédant généralement 1,5 mètres) a diminué de 70 % sur cette même période, mettant en péril tout un écosystème dépendant de la glace de mer.

Les mesures qui seront réalisées par les scientifiques de l’Ifremer permettront d’étudier finement les interactions entre l’air et la glace, et entre la glace et l’eau, dans cette zone-clé de l’océan Arctique, où la couverture de glace est restée épaisse car moins impactée par le changement climatique. Nous connaitrons ainsi l'état "initial" de ces interactions avant qu'elles soient modifiées fortement par le changement climatique comme c'est le cas ailleurs en Arctique.

Peter Sutherland
Océanographe et physicien, Responsable du volet physique de l’expédition
Ifremer

Mais avant de pouvoir étudier ce secteur, l’équipe doit relever un défi de taille : remonter le détroit de Nares pour atteindre la mer de Lincoln, où la couverture de glace est par endroit si épaisse, que le navire brise-glace pourrait ne pas réussir à passer. 

C’est une situation singulière car nous avons dû prévoir une solution de secours : déployer les instruments dans le détroit, en aval de la mer de Lincoln, en cas de blocage du navire.

Peter Sutherland
Océanographe et physicien, Responsable du volet physique de l’expédition
Ifremer

Ces instruments, préparés par le service Technique d'Observation In Situ (TOIS) de l’Ifremer, seront nombreux : bouées dérivantes équipées de capteurs pour mesurer l’énergie des vagues, drones pour cartographier et reconnaitre le type de glace à la surface ou encore un petit navire autonome (conceptualisé et fabriqué à l’Ifremer) pour mesurer la turbulence de l’océan, les courants, la vitesse du vent, les radiations du soleil et le transfert de chaleur entre l’eau et l’air.

L’Ifremer déploiera également pour la première fois un véhicule sous-marin autonome (AUV) sous la glace pour y mesurer la température et la salinité de l’eau, mais également pour avoir des observations sous la surface de la glace permettant de caractériser sa solidité.

Cet embarquement est rendu possible grâce à un partenariat transatlantique signé le 10 février 2022 entre l’Université Laval et l’Ifremer. Grâce à cet accord, les chercheurs canadiens peuvent embarquer sur les navires océanographiques français qui sillonnent l’Atlantique Nord, et réciproquement, les Français ont accès au brise-glace NGCC Amundsen.

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