Cartographie : quelles espèces vivent le long du littoral ?

Quelles espèces vivent sur les fonds marins, le long du littoral ? Comment vivent-elles, se reproduisent-elles, que mangent-elles ? L’Ifremer cartographie la présence des espèces marines et cherche à mieux comprendre leurs modes de vie. L’institut s’intéresse aussi à l’évolution de cette biodiversité face aux activités humaines et au changement climatique.

Qui vit sur les fonds marins ?

La zone côtière rassemble une grande diversité d’écosystèmes et une riche biodiversité. Les scientifiques de l’Ifremer étudient les organismes marins qui vivent sur ces fonds côtiers : les (sidenote: Espèces benthiques Ce terme désigne tout ce qui vit (plantes, animaux…) sur les fonds marins ou enfoui dans le sédiment : des organismes fixés, ou qui se déplacent sur de faibles distances (contrairement aux poissons ou au plancton). On parle aussi de benthos. ) . On les distingue des (sidenote: Espèces pélagiques Il s’agit de toutes les espèces qui vivent librement dans la colonne d’eau (c’est-à-dire le volume d’eau compris entre le fond et la surface), sans lien avec les fonds marins, hormis parfois pour la reproduction. Les espèces pélagiques sont par exemple les poissons, les méduses, les dauphins, le plancton… ) , qui vivent entre le fond et la surface de l'eau.

L’Ifremer étudie la (sidenote: Biogéographie Cette discipline décrit la répartition spatiale des espèces vivantes, et vise à comprendre pourquoi ces espèces vivent à un endroit donné. Par exemple, quelles conditions environnementales sont favorables au développement de cette espèce ? ) de ces espèces benthiques sur tout le littoral de l’Hexagone, de la Corse et de la Réunion. Il s’agit de connaître leur répartition sur les fonds marins et de comprendre pourquoi une espèce est présente à un endroit donné, quels facteurs déterminent le développement de sa population. Pour cela, les scientifiques doivent aussi étudier la biologie des espèces

Comment cartographier les espèces benthiques ?

L’Ifremer dispose d’une gamme variée d’approches. La principale, et la plus ancienne, est l’observation : les scientifiques observent, prélèvent et comptent des individus, à pied sur le littoral ou en bateau avec des outils de prélèvement : drague, chalut, benne… Plus récemment, les chercheurs ont développé des méthodes non destructives, comme l’imagerie sous-marine. C’est-à-dire qu’ils photographient et filment les fonds marins, avec des véhicules sous-marins téléopérés, ou avec le Pagure, un module de vidéo sous-marine traîné par un bateau.

L’Ifremer est co-coordinateur du réseau d’observation Benthobs (au sein de l’infrastructure Illico), qui met en œuvre un suivi standardisé de la (sidenote: Macrofaune Elle désigne les animaux suffisamment gros pour être visibles à l’œil nu, c’est-à-dire à partir de 1 millimètre. ) benthique sur 20 sites du littoral métropolitain (tellines, huîtres, crépidules, vers marins...). Grâce à ce réseau, les scientifiques ont une vision nationale des communautés d’espèces qui vivent sur les substrats meubles (sables vaseux à sables grossiers) et de leur évolution dans le temps.

La recherche s’appuie aussi sur la modélisation numérique. C’est un outil puissant pour comprendre la répartition des espèces, le fonctionnement des écosystèmes, et pour anticiper les évolutions liées au changement climatique ou à l’impact direct des activités humaines.

Modéliser pour comprendre et anticiper

La modélisation de la biogéographie d’une espèce consiste à déterminer les conditions environnementales nécessaires au développement de ses populations. Il s’agit par exemple de quantifier les relations entre la présence (ou l’absence) d’une espèce et divers paramètres (température de l’eau, courants, pollution, type de sol…). Les modèles ainsi créés se nourrissent des observations de terrain à la fois pour entraîner le modèle (c’est-à-dire lui apprendre les relations espèces-environnement), mais aussi pour évaluer les prédictions produites par le modèle 

Les modèles numériques permettent ainsi de compléter des informations éparses (par exemple lorsque les individus sont collectés par des traits de chalut) et de mieux comprendre l’écologie des espèces. Ces relations espèce-environnement permettent ainsi d’estimer à large échelle la répartition des espèces à partir d’observations localisées, et de produire des cartes décrivant la répartition des espèces benthiques, en s’intéressant en particulier aux espèces ingénieurs (algues laminaires, récifs d’hermelles, herbiers marins...) et aux espèces d’intérêt commercial et écologique, comme la langoustine.

Les scientifiques peuvent aussi utiliser la modélisation pour anticiper les bouleversements complexes en cours et à venir. Par exemple, ils peuvent simuler les conséquences d’une augmentation de la température sur l’ensemble des espèces d’un écosystème. Ils peuvent par exemple étudier évaluer l’impact de la température sur les hermelles, des vers marins qui sont une (sidenote: Espèce ingénieur Une espèce ingénieur a la capacité de créer son propre habitat. Elle donne ainsi un support à de nombreuses autres espèces et apporte de nombreux services écologiques utiles à l’environnement et aux humains. ) et les conséquences sur les crabes, poissons plats, poissons de roches et autres espèces qui s’y abritent et s’y nourrissent.

Quels sont les effets des activités humaines ?

Les espèces benthiques sont de très bons indicateurs de l’état de l’environnement. Elles sont souvent sédentaires et ont une durée de vie allant d’une, ou de quelques années, à plusieurs dizaines d’années pour certaines espèces. Ainsi, les espèces benthiques peuvent intégrer les variations de l’environnement, garder les traces de perturbations passées.  

Les organismes marins sont impactés par le changement climatique, qui modifie la houle, la température de l’eau, son pH (l’eau devient plus acide)… Les activités humaines ont aussi un impact direct : le chalutage racle les fonds, (sidenote: Eutrophisation Forme de pollution qui se produit lorsqu’un milieu aquatique reçoit et accumule trop de nutriments, principalement l’azote (nitrates) et le phosphore. Ces nutriments sont consommés par les algues et autres végétaux aquatiques, qui prolifèrent. Ce développement des végétaux cause une asphyxie du milieu et une baisse de la lumière, qui conduisent à une perte de biodiversité de l’écosystème. ) appauvrit le milieu en oxygène, les extractions de minéraux dégradent les zones exploitées,  les structures d’énergies marines renouvelables, dont les chantiers d’installation détruisent temporairement la biodiversité présente...

Les travaux de recherche de l’Ifremer sont souvent centrés sur des espèces ingénieurs, ou espèces fondatrices, comme les herbes marines qui constituent les herbiers (de véritables prairies sous-marines!), les algues laminaires, les hermelles (des vers bâtisseurs), etc. Autour de ces espèces se développe tout un écosystème. Ainsi, cartographier, étudier et protéger ces espèces fondatrices contribue à protéger l’habitat de nombreuses autres espèces qui s’y abritent, s’y nourrissent, s’y reproduisent.

Des espèces qui migrent vers le nord sous l’effet du changement climatique

Face au réchauffement de l’eau (+0,8°C par décennie en moyenne dans la Manche), les limites de distribution des animaux évoluent. Les espèces ont tendance à remonter vers le nord, ou à descendre vers les profondeurs. Ainsi, les scientifiques observent des espèces qui déclinent, du fait d’eaux trop chaudes, et des « réfugiés climatiques » qui arrivent de zones où elles ont trop chaud. C’est par exemple le cas de la coquille Saint-Jacques : dans les années 50, la production était principalement située sur la façade Atlantique. Mais de nos jours c’est la Bretagne et la Normandie qui sont le cœur de la production !

L’augmentation des températures est plus rapide que le déplacement des espèces : certaines s’adaptent, d’autres se raréfient.

Nicolas Desroy
Ifremer | Chercheur en écologie benthique

Nicolas Desroy, chercheur en écologie benthique, étudie les liens entre les pressions humaines et les impacts sur les espèces benthiques. L’objectif est de donner les informations nécessaires aux gestionnaires pour anticiper leurs impacts ou agir sur la réduction des pressions. L’Ifremer émet par exemple des avis consultatifs sur les projets d’installation d’éoliennes pour évaluer les études d’impact réalisées par des bureaux d’études. L’institut s’intéresse aussi à la restauration écologique, par exemple pour évaluer le temps de restauration d’un site après une activité d’extraction de granulats, ou encore l’intérêt de restaurer les récifs d’huîtres plates très présents par le passé et aujourd’hui très rares sur le littoral européen. Les scientifiques étudient leurs fonctions écologiques et les services écosystémiques qu’ils rendent. Ils préparent ainsi les connaissances qui serviront les projets de préservation et de restauration de demain.

Martin Marzloff utilise des modèles numériques pour comprendre le fonctionnement des écosystèmes, mais aussi pour envisager les changements à venir en simulant des scénarios futurs. Cela contribue à évaluer les effets du changement climatique sur les écosystèmes côtiers, ou encore les effets d’activités humaines locales telles que la pêche.

Nous essayons d’appréhender comment des espèces qui cohabitent au sein d’un écosystème vont être affectées, chacune de manière spécifique, par un ensemble de pressions (climat, pêche et autres activités humaines).

Martin Marzloff
Ifremer | Chercheur en modélisation des écosystèmes côtiers

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